Ruines Romaines EMT1, CA, 2e Cie

Dernière mise à jour : 03 février 2021

Photo du lieutenant Latournerie et son radio Bellami. ( Fin de page). 11 sept 2021 : SAHARI, Combat 2e cie du 21 janvier 1960 - point de vue du FLN.

Carte Michelin

Carte au 1/100.000°

" Rocher de Sel " poste est à 12 Km nord des Ruines Romaines.

Il est tenu par le 3e Escadron du 2e REC.

" Les Ruines Romaines " cantonnement de l'EMT 1 du 4° RT est à 8 km nord de Djelfa.

Ruines Romaines

Le poste des " Ruines Romaines" est le siège de l'EMT 1 du 4e RT.

L'EMT 1 comprend : l'EM et ses services, la Compagnie d'Appui, la 2e Compagnie, la 1ère Compagnie. Cette dernière occupe un poste à DIAR EL CHIOUKH au sud du djebel SAHARI, c'est le poste le plus au Nord du régiment et la 3e Compagnie qui est à MOUDJBARA à l'Est de ZACCAR, la plus proche des unités du Djebel BOU KAHIL.

Vue d'ensemble du poste des Ruines, cliché pris depuis le Kef qui par son altitude le protège . De gauche à droite figurent le PC de l'EMT1, le pool autos et la CA sous les arbres, les services communs, le mortier de 120 dans son alvéole et la 2e Compagnie. Au fond : l'Oued Melah et la ligne de chemin de fer reliant Djelfa-Alger. (photo lt. Latournerie)

(Geoguide) Ruines Romaines

Le poste des Ruines Romaines, situé sur la RN 1 à 10 km au nord de DJELFA est campé sur une sorte de col à 1290 m d'altitude entre le djebel SENALBA à l'ouest et le Djebel SAHARI au nord-est qui le dominent. Arrosé par l'oued MELAH qui coule toute l'année à son Ouest. Traversé par la RN 1 qui sépare le poste en deux parties égales. A l'Ouest l'EM et la CA, à l'Est la 2e Compagnie et les services communs. La ligne de chemin de fer ALGER-DJELFA qui serpente entre l'oued et le poste ne s'y arrête pas. A l'Est de cet ensemble domine la tour dressée à la crête de l'échine du KEF OURROU.

La garnison bénéficie de bâtiments en dur, sans étages, de quelques barraques "Fillod" et d'un camp de toiles pour la 2e Cie et les muletiers de la CA. Des murs en pierres sèches servent à compartimenter le dispositif et le protéger des coups directs.

Seule la tache verte du djebel SENALBA donne une impression de fraîcheur sur cet horizon pierreux et aride, très chaud l'été et froid et humide l'hiver.. Six imposants eucalyptus ombragent le mur de la CA, le bureau du vaguemestre et le cercle des officiers.

Le Commandant Genet , chef de l'EMT1, venant du 4e RTT, règne en maître sur ce dispositif qu'il veut propre et ordonné. Il s'attache aussi à l'enjoliver du mieux en créant des cadres de verdure et de composés floraux protégés par des murets peints à la chaux. Il fait construire une piscine alimentée par un ru pissant du Kef OURROU. Elle fut rarement fréquentée car exposée au vent et à l'eau glaciale. Chacun avait l'autorisation d'y accéder, Le commandant ne pratiquait pas la discrimination, sauf pour les mulets bien entendu. Cet officier supérieur, bon père de famille, un peu brutal dans ses propos, aimait bien son petit monde et montrait souvent l'exemple, surtout en opération où il aimait être en tête en toutes circonstances. Armé de son éternelle canne, il apostrophait les récalcitrants en la brandissant comme une menace, mais jamais elle ne sévit.

Photos du sergent-chef Louis de la CA.

La Compagnie d'Appui

Sous les ordres de l'EMT 1 demeurant également dans le poste des Ruines Romaines, la CA commandée par le capitaine LE BOURHIS jusqu'en juillet 1960 et par le capitaine MIOLLAN ensuite, comprenait : Une section de commandement et des services et deux sections aux spécialités diverses ( mortiers lourds, armes lourdes, peloton muletier et sections de combat.)

Les sergents d'active (européens) en plus de leur spécialités assuraient l'ouverture et la fermeture de route et la protection de la voie ferrée Alger-Djelfa. (portion comprise : au nord, le pont VF enjambant la RN 1, au sud, le passage à niveau à l'entrée de DJELFA ( 12 km env.). Les autres sergents assuraient la protection rapprochée du périmètre du poste. Mais pas seulement, nous étions tous sollicités à diverses opérations organisées par l'EMT1 dans le cadre ou non de leurs spécialités. Pour toutes ces missions, la formation des sections ou groupes de combat était aléatoire. Les bureaux, mess, foyer, cuisines étaient vidés de leurs employés et les cadres se chargeaient de former des éléments cohérents. On découvrait nos hommes à même la mission. Nous envions la 2e Cie qui n'avait pas à régler ce problème majeur pour une cohésion gage d'efficacité. Le sergent Louis, de par sa spécialité "Armes lourdes" s'estimait plus favorisé en employant régulièrement les muletiers avec ou sans les mules. Tous ces hommes venaient avec leur armement individuel, ce qui compliquait davantage la tâche du chef de section pour être au norme d'une section de combat. Pendant ce temps d'occupation provisoire, l'administration tournait au ralenti, il fallait combler le retard occasionné par des heures supplémentaires.

Lors des opérations, le sergent Louis estimait que cette Compagnie d'appui ne remplissait pas la mission dévolue à une CA classique, elle n'avait, somme toute, qu'un rôle de complément d'unité de combat sans avoir la capacité matérielle et manœuvrière pour le faire. D'ailleurs lors des opérations importantes, l'aviation assurait mieux la fonction d'appui, ainsi que les escadrons du 2e REC avec les automitrailleuses quand le terrain s'y prêtait.

"Les seules fois où j'ai pu exercer mon rôle d'appui avec le peloton muletier, harnaché et bâté pour le transport de l'armement et des munitions, ce fut sur un terrain au relief montagneux et à la couverture forestière très dense rendant impraticable l'accès aux véhicules. Le peloton livré à lui-même, passait d'une unité à une autre selon les ordres donnés. Jamais il n'a servi autrement qu'à la distribution de l'eau. (Ce qui était formellement interdit)." Sgt LOUIS.

La protection de la garnison était aussi assurée par un mortier de 120 m/m et de plusieurs mortiers de 81 m/m centrés dans les alvéoles judicieusement positionnées afin de couvrir les zones masquées des vues. Une tour de pierre sèche et un fortin rustique dressés sur l'échine du Kef OURROU permettait une vision quasi à 360° protégeant ainsi l'ensemble du poste de toutes interventions belliqueuses du FLN.

La CA en Opé 1959) photos du sergent-chef Louis.

Surveillance des voies de communication

Par le sergent-chef Louis de la CA.

"Péniblement les préposés à la corvée d'ouverture de route se tirent de leur lit vers 4 heures du matin. Été comme hiver, la nuit est toujours froide dans cet Atlas saharien, se vêtir chaudement est une nécessité à ne pas négliger d'autant que nous affrontons le déplacement d'air des véhicules en mouvement, Ils sont normalement non bâchés, mesure primordiale à la diligente réaction dans le cas d'une attaque surprise ennemie. En général, un Dodge 6X6 ou un Renault 4X2 protégé par un scout-car armé d'une mitrailleuse lourde suffisait à la mission. C’est vite dit ! Après plusieurs missions, j’avais épuisé les variantes manœuvres évitant de tomber dans les habitudes. Un renforcement des effectifs pour élargir le champ d’investigation eut été conseillé, mais ce ne fut pas à moi d’en décider malgré une demande orale auprès de mon supérieur qui me donna en guise de réponse , un haussement d'épaule.

L'ouverture de route s'effectue vers le Nord du poste, en remontant la RN 1 en direction d'ALGER. L'ensemble des personnels veille aux abords de proximité et au plus loin selon la visibilité. La chaussée attire toute notre attention, nous recherchons des indices de minage ou d'un obstacle insolite à éviter. Ce tronçon Nord n’a que 4 km de parcours environ, c'est vite fait…quand il fait clair! Au pont de chemin de fer enjambant la RN 1, les personnels, au préalablement désignés se scindent en 2 groupes; l'un chargé de la voie ferrée alors que l'autre lui assure sa protection et inspecte les environs. La place du chef est sur la voie ferrée à la détection des indices des mines et pièges, couvert par un homme positionné derrière lui. Le reste des hommes est en sûreté de part et d'autre de la voie en liaison à vue avec les véhicules. Nous prenons ainsi la direction du Sud en direction de DJELFA à l’allure du sous-officier. À partir du pont, nous tournons le dos aux légionnaires de ROCHER de SEL qui assurent la même mission sur leurs tronçons respectifs avec sans doute le concours des Artilleurs hébergés non loin d’eux.

Inlassablement, c'est-à-dire, tous les deux ou trois jours, sauf au cours des opérations commandées où d’autres sergents me remplaçaient, pendant plus de 6 mois, mes pieds souffriront des brûlures du ballast et mes yeux se troubleront à force de fouiller méthodiquement les traverses et ses intervalles sans omettre de jeter un œil sur les côtés des rails et observer le déplacement de mes hommes et des véhicules. Les entre-rails se prêtaient mal à la longueur du pas ce qui provoquait des martèlements à la nuque due à la frappe répétée du talon sur la traverse. Cette tâche est aussi partagée par L… qui en éprouvera les mêmes sentiments et les mêmes sensations physiques. Souvent au mess, il s’en plaignait et se révoltait d’une pareille rengaine à heure fixe sur ce parcours répétitif. Les horaires du train ne nous donnaient pas d’autres choix.

Dans un premier temps, la voie ferrée surplombe la route et l'oued EL MELHA, à 500 m avant le poste de l’EMT 1, elle la coupe pour la laisser traverser le camp et longe ensuite l'oued par son Ouest. Un rapide coup d’œil vers le poste endormi. Les mulets s'agitent déjà et les quelques moutons que nous entretenions pour les fêtes musulmanes accourent en notre direction butant sur les barbelés. Le chien du médecin-major vient aussi aux nouvelles, après quelques jappements de reconnaissance, ce bâtard récupéré se réfugie auprès de la sentinelle emmitouflée dans sa capote qui piétine sur place et nous observe. Dans le ciel, encore noircit par la fin de nuit, se découpe la haute silhouette de la tour, érigée sur l'arête rocheuse du Kef OUROU, embrasse l’ensemble du poste. Tout va bien braves gens, dormez tranquilles ! Un kilomètre plus loin, la voie rejoint la route à nouveau et la recoupe l'accompagnant de cette façon jusqu'au passage à niveau au nord de DJELFA, terme de notre mission.

Il reste 6 km à faire… se sont les plus durs. Les lueurs lactescentes de l'aube peu à peu laissent place à un soleil éclatant qui diffuse généreusement sa chaleur. Bientôt, il faudra s'alléger des vêtements de nuit et les ranger dans le sac à dos. À fur et à mesure que l'astre s'élevait dans un ciel devenu blanc, nous nous dévêtions davantage au point que certains se débraillaient impudiquement. Un coup de gueule suffisait à les rappeler à l'ordre. Le poste disparaît derrière nous. Nous sommes seuls et livrés à nous-mêmes. Les hommes du Kef doivent encore nous apercevoir. En contre-bas j'observe le manège des deux véhicules de protection qui ont mis du temps à nous rejoindre à cause des chicanes lors de la traversée du camp, ils ont dû aussi se restaurer rapidement en passant devant l'ordinaire. L'ordre des choses est rétabli, la mission peut être poursuivie avec ses moyens modestes.

Deux passages difficiles nécessitent une surveillance accrue, deux déblais arrachés à la roche. Je suis aveugle et isolé un moment, cela prend du temps car il faut positionner ses équipes de protection afin d'éviter une surprise venant de l'Est et le terrain très accidenté est difficile. Déjà se profile la barre rocheuse du Kef DECHRA qui nous écrase de sa masse imposante à la sortie du second passage, sur notre gauche apparaît le pont de la route qui enjambe à cet endroit l'oued d’où un mince filet d'eau coule 10 mètres plus bas sous son tablier. Plus loin, la voie passe sur le dernier pont de l'oued et nous débouchions au passage à niveau à 2 km de la gare de DJELFA. Notre mission du matin s'arrête là. À l’issue d’une courte pose, nous rejoignions les véhicules et rentrons au cantonnement en ouvrant la route avec les précautions nécessaires. Ce fait autorise les autres convois de l ‘emprunter. Notre journée débute avec d’autres hommes maintenant réveillés et prêts pour le rassemblement.

L’après-midi, à l'heure de la sieste pour les autres, avec les mêmes effectifs, nous referons la mission à l'identique du matin en usant de variantes pour gêner des observateurs mal intentionnés. La chaleur est écrasante et le ballast surchauffé brûle les pieds et assèche les yeux. Au passage à niveau de DJELFA, nous attendons la draisine. Un geste d'amitié adressé au conducteur lui assure de notre protection. Son sourire suffit à notre peine. Seulement alors nous rejoindrons DJELFA en un point donné. À l'heure prévue, nous accompagnerons les derniers véhicules pour former un convoi de civils et de militaires sous notre responsabilité afin de les mener à bon port. C'est la fermeture de route qui clos notre laborieuse journée.

Cette mission de surveillance des voies ferrées et routières est rébarbative, dangereuse et quelque peu chargée de pénibilité, mais vitale. Nous l'avions assumée jusqu'au bout sans rechigner, garantissant le passage du train et des convois routiers sans en tirer une quelconque vanité. Une tâche obscure, répétée à chaque tronçon, de DJELFA à ALGER, par une multitude de sergents et d'hommes totalement désintéressés et conscients de l'importance de la charge.

En fin de journée, le sergent Landréa, dit Gégène, pousse un ouf de soulagement et conclue comme à lui-même : " Ouf ! Gégène est rentré." ou encore " Les cons, ce n'est pas cette fois qu'ils butteront Gégène !" Nous rions de sa boutade sans savoir que ce fut prémonitoire. Il sera tué lors de l'embuscade du 26 novembre 1959 sur cette même voie."

Voir ci-dessous la responsabilité du bataillon du train pour sécuriser les transports par voie ferrée.

le 587ème Bataillon du Train est créé à ALGER par changement d'appellation du 1er Bataillon du 146ème R.I.

Formation spécialisée dans la surveillance et la sécurité des communications ferroviaires, le bataillon arme 2 trains blindés, 20 draisines, 20 trains de voyageurs et 35 trains de marchandises pour tout l'Algérois. Ses compagnies s'implantent à ORLEANSVILLE, MAISON-CARREE, BLIDA, MENERVILLE. Il compte alors 700 hommes.

Dès les premiers jours de la rébellion, il est apparu opportun pour l'A.L.N. de s'en prendre à l'important réseau de chemin de fer en Algérie. Rien de plus facile que de déposer une mine, déboulonner un bout de voie ou de monter une embuscade sur ces voies. Dès les premiers attentats, le commandement décide d'interrompre le service la nuit. Mais il faut bien que la circulation des convois continue. Des miradors sont construits auprès des ouvrages d'art. Des points de surveillance sont installés sur les hauteurs mais surtout il faut procéder à l'ouverture des voies avant le passage des trains et escorter les convois.

Le 587ème Bataillon est chargé des ouvertures de voie et des escortes pour le département d'Alger, notamment pour la ligne vitale Alger-Blida-Djelfa par les gorges de la Chiffa. Les pelotons sont implantées dans les villages le long des voies. La grande majorité de l'effectif est constitué d'abord de rappelés puis d'appelés venus d'abord des Chasseurs alpins puis du Train.

Pour ouvrir la voie, on utilise une draisine du modèle standard dont le plancher est couvert de sacs de sable et le dessous et les cotés légèrement blindés. La draisine est équipée d'un poste de radio dont l'antenne flotte au vent. Devant la draisine est poussé un wagon plat chargé de sable destiné à encaisser l'explosion d'une mine éventuelle. Mais les rebelles vont vite utiliser divers systèmes de retardement pour que la mine saute uniquement au passage de la draisine, ou plus tard au passage d'un véritable convoi. Tous les matins, une équipe part avec la draisine pour ouvrir la voie sur sa section de territoire. Cette équipe entraînée par les employés de la Compagnie des Chemins de Fer Algérien est réduite à une poignée d'hommes, un brigadier/radio, un conducteur de draisine et 4 guetteurs. Mission éprouvante nerveusement à une vitesse de 10kms/h pour que les guetteurs à l'avant repèrent toute anomalie.Parallèlement à cette ouverture de voie des équipes de quelques hommes parcourent continuellement à pied le réseau. Ces dispositifs n'empêchent pas les attentats.

D'après le sergent Panteix de la 2e cie, de servitude aux voies (quand il était encore à la 3e Compagnie):

" il s'agissait d'un boulot usant et stressant, un travail dur mais utile. Consolation : il n'y eut aucun attentat sur le "Rafale", surnom donné au train qui assurait quotidiennement les liaisons Alger-Djelfa en aller et retour et qui cheminait à une vitesse réduite... Une fois pourtant, une déflagration souleva le pont de la voie ferrée enjambant la RN 1, côté Nord. Certains routiers, à hauteur limite, se devait de dégonfler leurs pneus pour pouvoir passer sans encombre. La rumeur publique prétend que, las du manque de tirant d'air, les routiers réglèrent le problème de cette façon. Les C.F.A. surélevèrent le tablier. "

Un jour d'orage, l'Oued ayant pris ses aises, j'eus à repêcher un gendarme, qui, ayant forcé le passage du gué, se trouvait à une dizaine de mètres en aval, accroché à la portière de sa dauphine.

Quand à la chaleur : j'eus l'idée saugrenue de partir sans mettre de chaussettes dans mes pataugas. La chaleur emmagasinée par le ballast, occasionna la formation d'ampoules. Le retour fut difficile."

Les roulettes

Par le sergent-chef Louis de la CA.

"Décidément à la Cie d’Appui j’étais la bonne à tout faire. Entre la sécurité des voies de communication, la gestion des ordinaires, le vaguemestre, le fourrier, chef de poste–adjoint, chef de section Armes-Lourdes, et accessoirement pour la cause, chef du peloton muletiers et enfin chef de section d’un ramassis de bureaucrates et autres services pour le renforcement d’une unité de combat. Cette fois on me désigne, chef des roulettes. A quoi cela consiste pour le néophyte donc j’étais, loin de me douter que cette mission existait. De toute évidence, quand les combattants ont débarqués, qu'adviennent les véhicules ? C’est là que le chef des roulettes intervient en ayant la mission de rejoindre un point désigné sur la carte par un doigt ganté qui écrase tout un secteur avant de disparaître avec la multitude.

Au départ des combattants, je recense les véhicules de transport et les hommes restant à ma disposition. Un conducteur par camion avec son arme et ses munitions de dotation. Une Auto-mitrailleuse de la Légion avec les transmissions idoines et l’appui feu nécessaire. Le jour se lève à peine et il me faut reprendre la piste pour rejoindre Djelfa et prendre la RN 1 plus sécurisée par la disposition de ses postes militaires la bordant. Les opérationnels ont été débarqués sur le flanc Sud du Djebel SAHARY et sont à récupérer en début de nuit à son Nord, près d’un douar inconnu. A moi de trouver la meilleure piste pour le retour et de prendre les dispositions de sûreté pour l’ensemble des rames. Les ordres sont donnés, les tâches de chacun définies, les hypothèses d’un mauvaise rencontre échafaudées ainsi que les dispositions à prendre. Je calcule approximativement le temps qu’il me faut pour me rendre au point désigné et à l’heure dite du rembarquement du personnel. J’ai largement le temps de flâner mais pas dans ce lieu perdu.

Rocher de sel

Appui Légion pour les Roulettes

Après avoir aligné mes camions le long de la route à proximité de Rocher de Sel, garnison tenue par un escadron de la Légion, le repas est sorti des musettes et la sieste vient compenser les heures actives. Le sous-officier de l’A.M. m’apporte une bière en boîte qui sous l’effet de la chaleur, lors de son ouverture, s’échappe comme un geyser. J’ai une pensée pour mes camarades qui depuis le débarquement sont sur le terrain à ratisser la zone suspectée, leur lot à eux sont la fatigue, la soif et l’attention permanente pour éviter toute surprise, et il leur faut encore marcher jusqu’à la nuit.

Après quelques heures de douce quiétude, un ordre m’enjoint d'accueillir un Aspirant du Train venant de Djelfa pour conduire à bien la mission sur un autre lieu connu de lui. Je remercie ce décideur d’avoir eu cette sagesse, car effectivement l’embrouillamini des pistes aurait eu, pour un non initié tel que moi, un néfaste résultat. D’autant que le déplacement se fit le plus longuement de nuit. On ne s’improvise pas chef de roulettes comme cela surtout dans des lieux inconnus. L’Aspirant, malgré sa connaissance de l’endroit avait à son arrivée poussé un ouf de soulagement. Moi aussi ! "

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Photothèque de la Compagnie d'Appui

La 2e Compagnie, dite "de combat"

Le 14 septembre 1958, le "TRUN" entre au port d'Alger. La 2e compagnie débarque, venant du Sud Tunisien, entièrement composée d'européens, son effectif est réduit. Installée en bivouac à DJELFA, elle prend son vol pour l'opération de protection du Référendum, la compagnie travaille avec de vieilles connaissances : les Pelotons des Compagnies Sahariennes du Sud.

Le mois d'octobre voit notre installation aux Ruines Romaines à 15 km. au nord de DJELFA, nous cohabitons avec la 3 ème Compagnie et la Compagnie d'Appui sous l’œil vigilant, oh combien ! du Chef de Bataillon Henri Genet.

Les premières opérations se font au sein du bataillon dans les Régions d'AFLOU et du Djebel SAHARI. Les légionnaires du 3e Etranger d'Infanterie voyant nos tirailleurs européens crapahuter en tenue 46, leurs demandent s'ils partent en permission : c'est le rodage !

Le Djebel TAFARRA sert de cadre au premier accrochage. Les B 26 straffent copieusement nos tirailleurs, quelque chose n'est pas encore au point.

L'arrivée dans le secteur du 2e Etranger de Cavalerie nous vaut la chance de travailler désormais jumelé avec un escadron de Légion. C'est ainsi que le 31 décembre 1958 nous voit en compagnie de PARFOIS ROUGE pister et accrocher une bande rebelle sur les crêtes enneigées du SENALBA, nous somme en retard....pour le réveillon.

1959 - La 2 est gâtée ! Dans un cantonnement agréable où la plupart des servitudes sont assurées par la Compagnie d'Appui, en alerte à deux heures, elle attend le top pour un démarrage "sur les chapeaux de roues". Massif du CHAREF, Djebel SAHARI sont les coins les plus fréquentés, BOU SAADA, trois cents kilomètres de G.M.C., les départs à minuit pour trottiner sur les crêtes du MESSAD ou se faire bien recevoir dans l'ATRECH, est moins apprécié.

Entre deux opérations l'Unité poursuit son instruction "commando". regonflée par la dissolution de la 3e Compagnie, par l'adjonction d'une HARKA confiée au sergent-chef M..., stimulée par l'exemple des légionnaires, rodée par les opérations et les accrochages, la 2 prend figure d'une compagnie de combat type A.F.N.

Au sein du Bataillon de Marche, commandé par le Chef de Bataillon Henri GENET, elle prend part à des opérations de grand style dans la région de BOU SAADA : opération AMIROUCHE, ZEMRA où plus de deux cents fells sont mis sur le tapis.

La 2, jusque là entièrement composée d'européens, voit maintenant arriver des appelés, puis des engagés musulmans. Le recrutement est jeune mais valable ; l'amalgame se fait sans heurt, les cadres retrouvent leur esprit tirailleur, ils ressortent leurs vieilles connaissances d'arabe.

La période des grandes chaleurs nous voit dans les secteurs de DJELFA et BOU SAADA, mais aussi vers ZENINA et AFLOU. Nous percevons un deuxième bidon.Pour la première fois la compagnie découvre les avantages de l'héliportage au cours d'un accrochage dans le MESSAD.

En fin d'année, le secteur de BOU SAADA semble avoir nos préférences, le Djebel SAIFOUN entre autre fait date dans nos mémoires : trois tirailleurs blessés et le sergent Panteix... qui crache ses dents, doivent attendre la nuit pour leur AVASAN. (18 nov 1959)

Le lieutenant Latournerie

Le sergent Panteix à droite sur le cliché

(à ce propos le lieutenant Latournerie, chef de la section et adjoint au commandant la compagnie d'alors précise rétrospectivement : "Bravo pour ces pilotes d'hélicoptères qui, en pleine nuit, sur un terrain inconnu, évacuaient au plus près de l'ennemi ".

Exemple d'accrochage, 25 juin 1959 : La compagnie est en reconnaissance au Nord de ZENINA, dans l'ARKA, une chaîne peu élevée où règne l'alfa. Au pied du massif de REIMA, en REIMA nous recherchons le renseignement, la compagnie est scindée en deux, le lieutenant BE... avec un élément, les sergents-chefs Ma..., Gu... et le chef Mi... avec sa harka font bande à part. Il est 14 heures, des coups de feu suivis de rafales d'armes automatiques éclatent dans la Région où se trouve le chef Ma... et la harka. Les fells sont repérés, une vingtaine en tenue de combat "jdid", ils se ravitaillaient à un point d'eau. Pris en chasse par nos éléments, ils sont serrés de près, le combat est mené par Ma..., Gu... et Mi... aidés par une poignée de tirailleurs et harkis; depuis longtemps la radio de JAUNE 4 ne répond plus, seules les rafales et les éclatements de grenades permettent de localiser l'élément et de prévoir que le contact est bien gardé. Les T6 demandés en appui tournent sans intervenir. Il est 15 heures, les armes se sont tues, la poursuite est terminée : treize fells sont au tapis, un renfort venant du MAROC, onze fusils, un P.M., un P.A., des grenades ; le Chef Ma... se fait copieusement engueuler pour n'avoir pas gardé le contact radio !

1960 - "PARMONT JAUNE" devient "PARMONT CARMIN", nous percevons du matériel flambant neuf : Armes automatiques 52 et postes C 10. Le début d'année est marqué par l'acrochage du 21 janvier : nous n'irons plus dans le SAHARY sur la pointe des pieds, la 621 est exterminée.

Le chef de Bataillon Henri GENET passe le commandement au Chef de Bataillon GUILLABERT

Ici commence....l'opération REGROUPEMENT. SD11 nous envoie camper pour deux mois à AIN BAHRARA, base de départ pour les nomadisations dans le SAHARY. L'adjudant L... exerce son flair avec succès, parti en mission de ravitaillement il ramène un prisonnier qui livrera quinze armes au B2. Des caches....encore des caches, notre adjudant de compagnie accumule des richesses ; bon père de famille il organise des goûters pour les gosses de notre regroupement.

Tout le monde est à l'Harissa pour l'AÏD, seize moutons gras à point sont présentés au Colonel... qui s'étonne.

SD 13 nous expédie pour un mois à BAB MESSAOUD (voir la rubrique Aïn Messaoud), nous regroupons...Les opérations de nomadisation n'empêchent pas la compagnie de participer à des opérations sous les ordres de "PARISETTE" ou de "PARFOIS".

Exemple d'acrochage, 21 janvier 1960 :

L'aviation ayant repéré des traces dans la neige, la 2e compagnie, commandée par intérim par le capitaine Mercier, participe à une opération menée par le 2° REC . L'accrochage a lieu au nord de Diar-Chioukh au GADET MEGLIRES, cœur du BOUIRA SAHARI.

La jeune katiba du Senalba, peu aguerrie, avait voulu faire une grande prise d'armes avec la solide katiba du Sahary. N'étant pas dans leur secteur, les rebelles n'ont pas pu se disperser dans la nature comme d'habitude.

Avec l'appui de l'aviation les rebelles perdront 63 hommes et 2 prisonniers dont un lieutenant en tenue de sortie, 44 armes de guerre dont une mitrailleuse. Les légionnaires auront 5 tués et 4 blessés. Le commandant de la Katiba du Sahary avec quelques hommes a pu s'échapper dans le secteur de Bou-Saada mais sera amputé d'une jambe. La section Latournerie trouvera sa prothèse dans une cache l'année suivante. La 2° Compagnie viendra s'installer dans la maison forestière d' Aîn Bahrara avec un escadron de légion pendant quelques semaines. Un prisonnier fait par la compagnie guidera les services de renseignements dans une cache où étaient stockées plusieurs dizaines d'armes laissées dans leur fuite par les rebelles.

C'était une juste revanche après l'embuscade du 26 novembre 1959 qui a valu au sergent LOUIS de la CA d'être gravement blessé et de perdre le sergent LANDREA , un caporal et un tirailleur. Nous serons tranquilles dans ce secteur pendant près d'un an. Point de vue du FLN

La maison forestière, à mi-chemin entre le poste des Ruines et Diar-Chiouck, comprenait deux maisons dos-à-dos formant comme un petit fort. Je suis plein d'admiration pour les gardes forestiers qui avaient habité là avant les événements. Il fallait plusieurs heures à cheval pour rejoindre le marché de Djelfa et les premiers européens. Pour les indigènes ils étaient les ambassadeurs de la France, protégeant la nature, et réglant les litiges entre tribus.

Exemple d'accrochage, 14 juin 1960 :

Opération de ratissage sous les ordres du Chef de Bataillon GUILLABERT, CARMIN à l'aile gauche. Le SFOI, une crête boisée puis la plaine d'alfa. L'opération touche à sa fin, la quinzaine de kilomètres a été ingurgitée depuis le matin ; il est 16 heures, quelques coups de feu claquent dans la section du lieutenant LATOURNERIE à flanc de crête, les fells surpris ont ouvert le feu sur les voltigeurs de gauche, Se... est mortellement blessé. La poursuite s'engage dans la plaine d'alfa, deux groupes en uniforme, au pas de course, six fells et une poignée de tirailleurs enlevés par le lieutenant ; les uns ont la musette les autres non, seule différence. L'aviation intervient dans les dix minutes, les éclatements de roquettes nous inquiètent, matraquent-ils les bons ? LATOURNERIE, à bout de souffle, annonce son bilan : 3 fells, 3 armes. Deux fuyards sont pris en chasse par le sergent Br... et son équipe, le PIRATE les met au tapis et Br..."négocie" les armes avec les bérets noirs "nouss-nouss". Le sous-lieutenant Is..., découvre le dernier fuyard terré dans un oued, seul prisonnier, il est intimement interrogé, un seul a réussi à fuir mais le Chef est là, bien arrangé par une roquette. Se... est évacué par hélicoptère. Nous rejoignons les véhicules ; le Chef Mac..., qui pour une fois était resté aux roulettes et avait accroché avec un jerrycan marqué 'EAU" pleure de joie et nous embrasse!

14 juillet 1960 : la compagnie est désignée pour l'opération "CHAMPS ELYSÉES". Sensible à l'honneur qui nous est fait, nous astiquons les cuirs. Le voyage à PARIS enchantent cadres et tirailleurs. Le défilé en chèche blanc, derrière notre drapeau, est impeccable.

Le secteur de BOU-SAADA nous accueille à notre retour, une bonne prise dans l'OUED MEDJEDEL. L'opération"Inondations" où, durant des jours en chouf sur les points hauts nous guettons le fell, nous fait sentir le vide du secteur. Nous irons les chercher où ils sont... c'est le QOB. Dans la neige ou par une chaude journée d'été les massifs du CHAREF, du SAHARY, du MESSAD ont leur attrait, que dire du BOU KAHIL ? Paysage lunaire au relief tourmenté, aride, avec ses camps enterrés abritant ses quatre Katibas, il a pour nous l'attrait irrésistible de l'inconnu et du difficile. Durant deux mois, au sein du groupement commandé par PARFOIS NOIR nous reconnaissons les camps, ratissons les oueds. Les accrochages sont violents, meurtriers, toujours décevants. Néanmoins l'infrastructure rebelle est détruite, des pistes tracées, le BOU KAHIL a livré ses secrets et les pertes rebelles sont sensibles quoique chèrement payées.

Exemple d'accrochage dans le BOU KAHIL, côte 985, 03 octobre 1960 :

Il est 10 heures, le camp de la côte 985 a été reconnu, les fells ont accueilli PAPISTE VERT et lui ont infligé quelques pertes. Les quatre Katibas sont là comme d'habitude, solidement retranchées sous leurs abris individuels aménagés dans le rocher. C'est l'accrochage type du BOU KAHIL. Toute la journée le rodéo des avions, napalm, roquettes, straffing. Nous essayons de resserrer le bouclage pour la nuit.

La section de sergent-chef Ma... réussit à franchir un oued sous le feu, sans casse, mais bientôt les tirs ajustés la clouent au sol ; à la grenade à fusil les objectifs sont désignés aux avions. La section du lieutenant CHASTEL réussit à progresser mais doit évacuer le sergent Be.., les tirailleurs Bou... et Bra..., blessés pendant la progression. La section du sous-lieutenent Fo... est bien placée, Bez.., le tireur F.M. ne chôme pas, mais il est bientôt mortellement touché en pleine poitrine.

PARFOIS ARGENT héliporté à notre gauche donne l'assaut mètre par mètre, au prix de lourdes pertes, jusqu'au soir, il réussira à gagner du terrain.

La nuit tombe, nous resserrons le bouclage, CHASTEL qui se déplace se fait recevoir par des rafales d'armes automatiques. "Contact pris avec les amis" annonce PARFOIS. Jusqu'à l'aube les lucioles éclaireront le paysage fantastique. Les paupières lourdes, les tirailleurs veillent. Les fells réussissent à glisser dans la nuit. Le lendemain le camp est détruit, pierre par pierre, dix-sept fells sont enterrés dans leur trou sur l'axe d'attaque de PARFOIS ARGENT. Quelques jours plus tard CHASTEL découvrira, en cache, la M.G. ( à grande cadence de tir) de la kasma abandonnée par les fells lors de leur repli.

La 2e Cie en Opé - Instant de détente entre deux camions

A la fin du QOB la compagnie s'installe à Faïd el Botna et Voir aussi la photothèque de la 2e-cie.

(Extrait du fascicule, aimablement communiqué par le colonel LATOURNERIE, alors lieutenant adjoint au commandant la 2e Compagnie)

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La 3e cie du 4e RTT

La 3e Cie du 4e RTT embarquée à SFAX (Tunisie) sur le porte - avions "Dixmude", débarque à Alger le 09 septembre 1958. Après un bref séjour à Djelfa prend ses quartier aux Ruines Romaines auprès de la Cie d'Appui et de la 2e Cie dont les effectifs sont très limités. Un renfort de cadres et d'hommes est nécessaire pour parachever la composition du régiment en corps d'infanterie de nouveau type.

Le sergent Panteix adresse son témoignage :

" J'occupe les fonctions de fourrier au sein de la 3e Cie. Je participe néanmoins aux ouvertures des voies routières et ferrées et à la garde, notamment à la tour de surveillance du « Kef Ourrou » (crête à 10 kms au nord ouest de Djelfa). De plus je tiens plus ou moins les fonctions de comptable pour le peu d’effectif restant, voir d’Adjudant de Compagnie pour la désignation des corvées.

"Le 01 novembre 1958 le 1/4e RTT devient 1/4e RT "

La 3e Cie participe aux premières opérations en fournissant une section de renfort à la 2e Cie. J'ai une permission pour fêter Noël en France. Fin janvier 1959, au retour de la permission, je commence la réintégration des différents matériels de la compagnie.

01 février 1959 : Il est question d'une éventuelle disparition de la 3e compagnie. Je dois vérifier la conformité de mes avoirs en matériels avec les états comptables pour un éventuel reversement. Réintégration qui va effectivement se produire pendant mes moments de disponibilités.

Mars 1959 : J'intègre provisoirement la section de renfort qui opère avec la 2e Compagnie. C'est avec la participation du 6e RPIMa et des troupes de secteur de Djelfa et Bou-Saada le début d'une série de grosses opérations.

22 mars 1959 : Dimanche des Rameaux

En guise de procession, dès potron-minet, trois cent kilomètres de tape-cul en direction de Bou-Saada.

Quand nous débarquons des camions, il fait un temps radieux, nous enlevons pas mal de pelures que nous abandonnons aux véhicules. Disposition de combat, en avant pour le crapahut dans une zone broussailleuse.

Soudain deux coups de feu, plus destinés à signaler notre présence qu'à nous nuire.

Spontanément mes ordres fusent :

- Vite NATIVELLE fonce vers la lisière ! Mets ton équipe en chouf et balise avec tes panneaux sol-air.

- GENSAC à droite même chose ! Arrange-toi pour avoir des vues sur le vallon".

Et maintenant que fait-t-on ? me demande NATIVELLE.

C'est un sérieux. C'est lui qui me dira lors de sa libération : "Avec vous, c'était facile, dès les premiers tirs, un sourire flottait sur vos lèvres et les ordres venaient aussitôt."

Quelques coups de fusils seront entendus. Rien de probant.

En fin de journée ordre est donné de tendre des embuscades dans les talwegs. Celui qui échoit à la section est bordé d'anciens trous de combats. Je prends la peine d'en tapisser un avec de l'alfa et du feuillage. La nuit tombe et un froid glacial aussi. Pas loin, PIERRARD claque des dents. Je l'invite à partager mon trou.

Il ne va rien se passer, les mailles du filet sont trop lâches, le gibier a dû passer au travers. Au matin nous reprenons nos recherches, sans résultat. Dans l'après-midi nous récupérons nos roulettes et allons bivouaquer à Aïn Rich.

De ces deux jours, une constatation : l'alfa ne vaut pas le foin pour tenir chaud. Une résolution : ne plus partir sans un pull-over dans la musette et je m'y tiendrai.

26 mars 1959 : Djebel ZEMRA.

Dessin du sergent Panteix

Après un ratissage, nous sommes bloqués sur une ligne de crête par des tirs rasants qui nous clouent au sol. De toute évidence ces tirs proviennent d'AM/M8 de la Légion qui tient le terrain sur notre droite. S'agit-il de tirs d'interdictions ou de tirs d'intimidations, je n'en sais rien ! Juchée sur une butte, cette automitrailleuse a des vues plus profondes sur les fonds de la cuvette broussailleuse, plantée de grands sapins, qui nous fait face. Une ligne de changement de pente à une trentaine de mètres gênant nos vues, il faut que je sache. Je décide donc d'un assaut. Jet de grenade OF, Boom ! "En avant" ça suit.Carlier, un "chti", FM à la hanche, lâche une longue rafale dans les broussailles qui s'agitent devant nous.

Ce que j'ignorais, c'est au même instant, "PARMONT", indicatif du commandant Genet, signalait à "PARMONT JAUNE", indicatif du lieutenant Ducrettet, des mouvements montant vers nous. Nous nous installons. Un instant plus tard, alors que j'observe les sections qui s'installent à notre hauteur, Carlier me signale des gus qui progressant par bonds tentent de s'esquiver. Effectivement, j'en vois trois.

" Vas-y ! Tire!", nouvelle rafale. "Merde ils se muchent !" s'exclame-t-il. En effet, ils disparaissent derrière le fût d'un gros sapin qui gît à terre. Grâce à nos traçantes, l'œil exercé de "PARMONT", qui suivait l'action, a tout vu. Quinze à vingt minutes plus tard arrive un H34 qui se mettant en vol stationnaire derrière un sapin (debout celui-là,) largue quelques "paras" dans ses branches, glissant au sol ils prennent la suite. À eux le bilan.

Le bilan est important : 136 fells au tapis et quelques prisonniers qui fournissent de bons renseignements.

Ces quelques actions ont l'heur de plaire à mes supérieurs et me valent ma première citation avec étoile d'argent décernée par le général Massu alors commandant le CA d'Alger.

29 mars 1959 : Djebel TSAMEUR. Les renseignements obtenus vont nous permettre d'intercepter un passage de chefs rebelles vers la Tunisie. Vont être abattus :

AMIROUCHE commandant la Willayas III,

Si HAOUES commandant la Willaya VI,

AMOR DRISS, adjoint de HAOUES, "Blessé et capturé"; le groupe de protection est détruit. (40 HLL tués). Ce bilan important est attribué au 6e RPIMa. On ne prête qu'aux riches. La guerre des bilans faisait rage entre les différents régiments des deux divisions parachutistes.

De Retour aux " Ruines", le poste de police en tenue n°1 nous rend les honneurs : traditions "chasseur" du commandant Genet.

30 avril 1959 : Je suis affecté à la 2e Cie. Désir exaucé, je vais servir sous les ordres du Lieutenant Ducrettet. Je n’aurai pas à le regretter. Il fait régner une discipline ferme mais non tatillonne, il a le respect de l’autre, un grand sens de l’équité et nous demande de conserver notre dignité. Lors d’une opération dans le Sahary, nous tombons sur le cadavre d’un autochtone, les poignets et les chevilles liés avec du fil de fer. Il a de plus les lèvres et le nez coupés. Suivant le règlement, nous attendons l’arrivée d’un gendarme pour les constatations d’usage : photos, empreintes, constat. Fumait-il ? Parlait-il trop ? Je ne sais pas. Bel exemple de tolérance ! Le pilote de l’hélico, un facétieux sans doute, repart. Laissant le gendarme en tenue de sortie et chaussures basses finir l’opération avec nous.

16 août 1959 : Opération dans le Messad. Au cours d’un accrochage, le caporal Bo……. est tué alors qu’il progressait en tête de sa section. La récupération du corps n’aura lieu qu’à la nuit. Chargé d’effectuer l’opération avec l’aide de trois FSE (Français de Souche Européenne), nous ramenons le cadavre. Au cours de la nuit, allongé près de moi, le caporal Na…….. , libraire à Rouen, ne retiendra pas ses sanglots.

18 novembre 1959 : Djebel Saïfoun.

Au moment de la mise en place pour le ratissage, une impulsion me pousse à retourner aux véhicules pour prendre mon paquet de pansements. Assez rapidement éclatent les premiers coups de feu. A nos pieds un thalweg très prononcé, en face, une barre rocheuse composée d’éboulis et d’anfractuosités. Il n'est pas question de rester dans l'axe de progression. Il flotte dans l'air une odeur de gens mal lavés, ou ayant dormi vêtus. Second pressentiment ! En désaccord avec mon chef de section, j’aborde donc cet obstacle en suivant les courbes de niveau. Les GV (Grenadiers Voltigeurs) fouillant la falaise, la pièce FM (Fusil Mitrailleur) au dessus. Nouveaux coups de fusils. Le tirailleur ZIANI qui fouillait la falaise revient vers moi. Il est blessé à l'épaule et hérite de mon pansement. A ce moment-là, deux Fells (Fellaghas) se hissent sur la falaise. " Y a pas de harkis derrière nous ?" - " Non! non !" me répondent NATIVELLE et GENSAC, mes deux caporaux. - " Feu !" et ça tire. - " il y en a d'autres" me crie ZIANI. L'un des deux Fells titube mais réussit à franchir la crête. Son corps sera retrouvé le lendemain matin.

Debout, essayant en vain de joindre mon chef de section avec ma radio - et pour cause - je le vois, courant avec le reste de la section pour revenir à son point de départ. C'est à cet instant que je suis blessé à la face.

Au même moment arrive une patrouille de T6. Pendant que l'équipier orbite au-dessus, le chef de patrouille cherche à éclaircir la situation et pique droit sur nous. (*) Je me redresse, la gueule en sang, en agitant mon chèque. Il a compris et effectue une ressource à droite, je lis sur son fuselage l'immatriculation KK, ce que mon cerveau traduit par : "Oui ! tu es dans la merde."

Cependant, il faut que je sorte de cette situation rapidement. - " GENSAC avec la pièce FM, par le même itinéraire, tu rejoins le sous-lieutenant ISEL, préviens que nous te suivons !" - " NATIVELLE ! avec ton équipe tu fermes la marche". Un peu moins en ordre que voulu, la distance est vite parcourue. J'aperçois plié en deux sous les tirs, l'infirmier qui accourt rapidement. J'ai droit à ma piqûre de morphine. Quelqu'un crie : - "Attention ! Son PM est armé". On me l'enlève des mains.

Après deux tentatives avortées à cause des tirs trop précis, mon évacuation par l'hélicoptère n'aura lieu qu'à la nuit tombée. Au poste de secours, le Toubib va me dire : " Je ne peux rien faire pour toi, je te dirige vers BOU-SAADA".

Transporté enfin à BOU-SAADA pour les premiers soins, je suis pris en charge par deux aspirants médecins, qui, après une anesthésie locale, l'un d'eux qui a pris la direction, procède, à hautes voix, à la constatation des dégâts alors que l'autre prend des notes.

- "Transfixion de la face, entrée du projectile propre et déjà refermée ;

- Fractures dentaires multiples (19 dents) ;

- Plaie de la lèvre supérieure avec déchirements"... Puis, tout en me faisant parler, l'un des aspirant raccommode les lambeaux.

Enfin, pour l'extraction des racines, direction Alger par un vol régulier. Émoi de l'hôtesse de l'air qui est au petit soin pour moi.

(*) Bien plus tard, par monsieur D. AYMARD et A. CROSNIER, officiers (CR) et historiens de l'Armée de l'air, j'apprendrais qu'il s'agissait d'une patrouille de l'EALA 05/73 détachée à Djelfa.

17 décembre,1959 : Je sors de l’hôpital Maillot ( Alger). Je suis pris en charge par le Lieutenant-colonel Rollet (EMT 1 du 4e RT) « Nous faisons tous deux des gueules cassées » me dit-il. Merde ! Il a un bec de lièvre et de plus, plus âgé, moi je n'ai que 23 ans, et les filles alors…. En décembre 1959 : Après un court séjour à Djelfa où je rends visite au sergent Louis (sous-officier à la CA du 4 e RT) blessé, lui aussi, suite à l'embuscade du 26 novembre. Nanti d’un congé de convalescence et d’un titre de permission, je rentre à la maison pour une période de deux mois. Pour Louis, sa convalescence sera bien plus longue, il ne reprendra son service à la C.A qu'en juillet 1960.

Le sergent Panteix sera cité à l'ordre du Corps d'armée par le général CHALLE, commandant en chef les Forces en Algérie, et obtiendra en mars 1960 la Croix de la valeur militaire avec étoile de vermeil qui s'ajoute à celle en argent obtenue en juin 1959.

Début 1960 : Le régiment active le recrutement. Des appelés, parmi lesquels des insoumis sont affectés au corps. Puis des jeunes engagés originaires de la région, des petits gradés :

Caporal-chef Ik..., déjà âgé, peu expansif, sérieux . Caporal Mez..., bon chef de voltige. Il sait lire les indices. Caporal Mad..., dit « Khircha », joueur invétéré, très bon tireur à l’AA 52 (Arme automatique modèle 1952, transformable en mitrailleuse en changeant le canon). De rares sous-officiers : Sergent Ais..., natif de la région de Djelfa. Un « Hadj » dont j’ai perdu le nom. Un vrai mécréant. Vivant en région parisienne, ils n’ont pas répondu à la conscription. « Balek ! schrob el schrab » (attention ! ils boivent de l’alcool) les petits flacons de gnôle dans les rations de combat.

A la 4e section, nous aurons trois suspects ramassés lors d’un ratissage. Ayant partagé mon bidon d’eau et fumé une cigarette avec eux. Amenés par le Lieutenant Gi……. Officier de Renseignement de l’EMT1. Ils sont volontaires pour servir avec nous. Pas encore pollués par la civilisation « Mliah » (bien).

Et puis, un jour, arrive le sergent-chef Bouch..., l’œil rigolard. Il est dans son cinquième contrat de quatre ans. Campagnes de Tunisie, Italie France, Allemagne, Indochine. Il vient vers moi et tout de go me déclare : « Les tirailleurs t’aiment bien, ils disent que tu vis avec le cœur, pas avec la bouche ». Nous serons frères. De lui, j’apprendrai les us et coutumes de son pays. Il urbanisera mon vocabulaire arabe. Il vit sa religion sans ostentation mais avec respect. J’espère qu’il n’a pas subi le sort des Harkis. J’assurerai la liaison avec l' épouse du sergent-chef Bouch... en tant que « Taleb » (étudiant en école coranique). Sa jeune sœur sert de chaperon et de lectrice. Entre elles et moi un petit secret, il n’aura jamais connaissance du contenu enflammé de ses épîtres. « Pourquoi rient-elles quand je parle du courrier ?» dit-il. Son grand regret, ne pas avoir d’enfant. Malgré pas mal d’invitations, c’est le seul chez qui je mangerai le couscous, assis à la même table que les deux jeunes femmes.

J’allais oublier Sela... C’est un cas, il connaît le secteur comme sa poche. Peut-être ancien MNA ? (Mouvement National Algérien) « Manarf ! » (Je ne sais pas). Jamais loin de moi, il dit avoir travaillé avec les forestiers, C’est peut-être vrai. Un jour, alors que Carmin (indicatif radio de l’autorité) a décrété une pause, une chaleur étouffante régnait, arrive le tirailleur Sela... : « Kene elma maber teche » (il y a de l’eau pas très loin). Courte hésitation. C’est vrai une séguia (canal d'irrigation à ciel ouvert en Afrique du Nord) coule avec un débit assez important. Nous nous prélassons, arrive le Lieutenant Ducrettet, haussement d’épaules suivi d’un « Je m’en doutais ».

14 juin 1960 : Djebel SFOI, La section du Lieutenant Latournerie accroche, nous courons au feu. En serre file de la 4ème section, nous arrivons trop tard pour participer.

14 juillet 1960 : Evènement honorifique, nous fêterons la fête nationale à Paris. Gros ébahissements de la part des tirailleurs qui n’ont jamais quitté leur Sud natal. Bonne exécution ! Nous lâchons nos gens dans Paris, avec dans la poche un papier indiquant où les orienter, au cas ou. Un seul perdra la vie dans une rixe à Barbès. Le réveil et la fraîcheur aux aurores, causent des dérangements intestinaux. Les riverains compatissants laissent leurs poubelles à disposition.

Au fur et à mesure de la libération des FSE, je m’immerge un peu plus dans le milieu FSNA (Français de Souche Nord Africaine). Leur capacité d’adaptation dans le milieu m’impressionne. Vers AFLOU, ils chassent la « Fokrun » (tortue) et vers Bordj de l’Agha, la gerboise. El Dib (le chacal) ne leur fait pas peur. Ma présence à la popote est une belle échappatoire. C’est à cette époque que commence pour moi le va-et-vient entre les 3ème et 4ème sections. Il s’agit de remplacer les chefs de section titulaires, soit en permission soit en stage. Il en sera de même avec l’Adjudant Mar..., responsable des roulettes et de la roulante.

Le Lieutenant Ducrettet me dira : « pour avoir la paix avec vous, il est préférable de vous donner des responsabilités. »

A ce sujet, un Adjudant-chef, ancien des campagnes 44/45, me rapportera une conversation, ouïe par lui-même, entre le Colonel Sagon (chef de corps du 4e RT) et le Capitaine Ducrettet, « offrant » un Aspirant en remplacement d’un officier permissionnaire, le capitaine répondra que m’ayant sous la main, ça allait. L’Adjudant-chef avec un fort accent corse me dira « Méfie-toi, tu manges ton pain blanc, en France ce sera différent. »

A la même période dans le «Djebel Senalba » (Wilaya de Djelfa). Un capitaine de la Légion, sous les ordres duquel nous travaillons, explique la mission, et, dit-il : « de la discrétion, la surprise est primordiale.» En cours de progression, nous tombons sur un abri dissimulé sous un sapin. A l’intérieur, une cartouchière de mousqueton. Le geste est plus rapide que le raisonnement. : la hutte brûle et bien sûr le sapin aussi ! Arrive Carmin furibond : la discrétion ! Vous connaissez ? C’est malin ! Ce n’est peut-être pas si mauvais puisque l’expérience continuera.

MG 42

La seconde manche sera à l’avantage de Carmin. La « belle » sera attribuée au Lieutenant Chastel vers la fin octobre, permettant la récupération d’une caissette de munitions, mais surtout d’une mitrailleuse allemande la MG 42 à cadence de tir impressionnante. Suite à l’éclatement des « katibas » (unité principale de l'ALN, branche armée du FLN, équivalent d'une compagnie légère, qui peut atteindre cent hommes) en petits groupes, nous allons nomadiser dans les massifs forestiers du Senalba et du Sahary. La chasse restera maigre.

A nouveau dans le Sfoï, nous découvrons un camp de repos composé de huttes identiques ? Sis au fond d’une gorge profonde. Et le spécialiste me dira « Carmin, descendez exercer votre art. » Nous venions de découvrir, épars dans l’Alpha, des ballots de tissus, de cuirs et autres matériels. Sur ma suggestion, il accepte de mettre le feu. Ce qui entraîna une série de détonations.

Seul le djebel Bou-Kahil nécessitera de gros contingents.

29 septembre 1960 : Le barrage jouant son rôle, les approvisionnements ne parviennent plus aux Katibas de l'intérieur. Pour durer, elles se fractionnent en petits éléments. À nous de nous adapter, ce qui se traduit par des déploiements nocturnes, suivis par l'occupation diurne des points hauts pour l'observation, dans l'immobilité totale, des mouvements éventuels des rebelles. Bonjour le suif! C'est le QOB dénommé aussitôt "Opération inondation".

Après une approche discrète nous souffrons un peu avant que les sections ne se mettent pas en "chouf " au-dessus d'un col en patte d'oie.

Soudain un bruit de pas troue la nuit noire. Apparaît alors une silhouette diffuse suivie de près par un petit groupe.

- Shkrum ? Interroge une voix, seul s'entend un bruit de culasse.

- Shkrum inta ? Un peu plus impératif.

Alors simultanément éclatent :

- un galop fuyant vers le talweg,

- Une courte rafale de PM qui couche l'individu de tête,

- Une rafale plus longue d'AA52 qui s'éteint sur un braiement d'agonie,

- Une voix féminine terrorisée hurlant : " Khaly-khaly" (Arrête),

Tout se tait.

- Arroua ména, m'hra ! (Viens ici femme!), annonce la voix de Bouchakour. De ses dires, il ressort, que venant d'Ouled-Djellal, ils se rendaient à Borjd du Caïd où le reste de la famille et leurs moutons sont à l'estive.

Le mari, qui présente deux blessures en séton et une éraflure sur le flan droit qui subit les soins de l'infirmier, affirme qu'ils comptaient franchir la zone interdite dans la nuit.

Bien sûr l'âne est mort.

La nuit était foutue, nous ramenons tout ce monde à Aïn-Rich où se trouvent nos roulettes. Nous remettons le couple aux tringlots du 584e BT. À eux de trancher :

- Soit l'internement,

- Soit la remise en liberté.

Réflexion habituelle de nos tirailleurs :

- Soit laisse la France qui marche, c'est grand et généreux,

- Soit bande cons les Français.

Nous, nous mangeons chaud, nos tirailleurs y ajoutent une fricassée de gerboises.

La nuit prochaine, nouvelle mise en place.

Octobre 1960 : BOU-KAHIL – Pratiquement au début du ratissage, les tirs se déclenchent. Nous traversons le lit d’un oued et réussissons à nous mettre à l’abri. La section à notre gauche, en terrain découvert a plus de mal et doit faire évacuer 3 blessés. La 2e section a un tué. A la nuit nous installons une embuscade au débouché de l’oued. Les Fells sortiront du bouclage. Parmi les blessés le Sergent Be… Son couteau de poche lui permettra de conserver son honneur, en effet la balle dévia sur l'aine au lieu de l'émasculer.

Une Automitrailleuse M8 du 2e REC en appui du 4e RT.

Dix ans plus tard, à l’EETAT (Ecole d'Enseignement Technique de l’Armée de Terre) à Tulle, j’entendrai le Chef Monnier, ancien du 2e REC (Régiment Etranger de Cavalerie), conter cette affaire. Devant l’incrédulité de l’auditoire, je confirme la véracité des faits. Relancé, Monnier enfonce le clou. « Oui » dit-il, « peu après nommé Maréchal-des-logis et chef de bord d’une AM/M8, je suis pris d’une envie subite. Vite à terre, je rabats ma combinaison et satisfait mes besoins. Rectifiant ma tenue, je constate que le tout est à l’intérieur ! » Hilarité de la tablée qui est conquise.

Décembre 1960 : Tradition chrétienne, trêve de Noël en France.

Autre témoignage de la 2e Cie : Caporal Romain Pietrelli

( La 2e Cie à Faïd el Botna )

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La popote des officiers aux RUINES


La popote des officiers était tapissée de couvertures de Djerba ramenées de Tunisie. Ces couvertures étaient tissées avec l'inscription 4e RT en morse. Etaient accrochés aux murs de vieux moukhalas – fusils de la conquête incrustés de nacre. Le commandant Genet aimait inviter le dimanche midi les officiers mariés avec leurs épouses et les assistantes sociales. Cette mondanité faisait un petit divertissement dans notre vie spartiate. Autour du poste on n'observait que des femmes cyclopes! Je me souviens que l'épouse de l'officier S.A.S. de Diar-Chioukh avait une voix admirable et imitait parfaitement Edith Piaf. Très attaché aux usages le commandant Genet faisait quotidiennement (même en opérations) lire par l'officier le plus jeune le menu du jour avec la formule traditionnelle et y rajoutait le refrain chasseur du jour. Le repas était celui de l'ordinaire amélioré par la caisse popote,

éventuellement par les pigeons que nous élevions ou par les lièvres attrapés par mes tirailleurs. Pour attraper un lièvre : lancer sa canne ou un objet sur sa trajectoire, le lièvre ayant ses pattes antérieures courtes essaie de faire un écart et boule, le tirailleur plonge et s' en empare. L' officier félicite le tirailleur et lui donne une récompense pécuniaire.

(Texte du lieutenant Latournerie, le 2e à gauche sur la photo.)

La popote des sous-officiers, l’ordinaire et le foyer

Le sergent-chef Louis de la CA se souvient :


"Je crois que nous avions hérité d’un ensemble plus moderne et confortable que celui des officiers. Ce bâtiment longeait la voie principale qui était en 1959 la RN 1, avant les grands travaux de contournement par l’Est en parallèle avec la voie de chemin de fer et l’oued. On y accédait par un bar joliment agrémenté d’une imposante structure maçonnée, meublé de deux tables « bridges» à quatre chaises et d’un frigo imposant actionné par un moteur à pétrole, un poste de TSF trônait sur une étagère. Le barman du haut de son estrade dominait les assoiffés et n’avait qu’un geste pour attraper derrière lui les bouteilles savamment rangées sur une étagère. Une ouverture donnait sur une grande et unique pièce restaurant. Elle comprenait, quatre grandes tables « réfectoires » à dix tabourets suffisaient à accueillir tous les cadres de l’E.M.T1, la C.A. et la 2 ème compagnie quand tout ce monde était réuni. Une fenêtre permettait d’observer la rue poussiéreuse en été et boueuse l’hiver. Une autre pièce s’ouvrait uniquement sur Djelfa, occupée par le corps de garde. Le service se réalisait par une porte débouchant sur une courette, siège des cuisines, des magasins de vivres, des congélateurs et du bureau de l’ordinaire. Les repas étaient communs à tous, officiers, sous-officiers et tirailleurs. Le sergent Gé…de la C.A gérait tous cet ensemble. Les tirailleurs quant à eux se restauraient dans des réfectoires attachés aux unités et les muletiers sous leur guitoune en périphérie.

Le dimanche midi, nous recevions des cadres de la CCS et du PC de Djelfa, avec leur épouse, plus par affinité avec leurs camarades des Ruines, mariés dont les femmes logeaient en ville. Pas drôle !

Le commandant Genet veillait à ce que les plats soient préparés correctement, l’ordinaire touchait une prime de montagne, ce qui suffisait à la quantité et à la qualité. Il tenait également que les unités de passage aient un repas chaud quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, il en était ainsi pour les unités rentrant d’opération. Une charge de travail et une gymnastique de la comptabilité pour le gérant, j’en parle en connaissance de cause pour l’avoir remplacé au pied levé. Ce n’est pas tout, toujours à nos frais, il invitait les chefs de famille des douars proches, à remplir une boite de conserve de 5 litres de soupe épaisse dont j’avais le secret pour qu’elle soit roborative. Après l’avoir goûté, le commandant opinait du chef et du coin de l’œil à mon adresse, l’ approuvait, ce fut le signal de la distribution. Puis il me prit à part et demanda tout de go, « Combien ? » Après un rapide calcul j’énonçais la dépense pour recevoir comme réponse, « Tant pis ! d’emmerde-toi ! ». Heureusement de cette soupe populaire n’était qu’ exceptionnelle.

Une fois l’an, nous avions l’avantage de manger du porc, prohibé toute l’année à cause des tirailleurs musulmans en nombre. Nos eaux grasses étaient donc ramassées par le sous-officier d’ordinaire de la Légion de Rocher de Sel, plus au nord, qui n’avait pas ce problème. En douce, il me fit parvenir deux longes de porc, qui à l’insu des cuisiniers musulmans, faisions rôtir et distribuer aux européens. C’était la fête ! Il arrivait aussi que nous agrémentions l’ordinaire à peu de frais en mangeant de l’âne ou du mouton récupérés dans la zone interdite et abandonnés par le propriétaire dans sa fuite.

C’est à Djelfa que le ravitaillement se réalisait, une partie à l’Intendance, la viande de bœuf congelé, le pinard, une partie à « l’appro » de la CCS, la conserverie, pain, biscuits, boites de ration pour les « Opé » et pour les fruits et légumes frais, sur le marché de la ville. Cela nécessitait de prendre la première liaison d’ouverture de route. Inutile de préciser que nous étions les bienvenus, car nous prenions les produits indifféremment chez les pieds-noirs ou les indigènes selon le rapport qualité-prix.

Les tirailleurs bénéficiaient d’un foyer géré par un sergent appelé, boissons sans alcool, bières, et une invraisemblable série d’articles nécessaires à la toilette, à l’entretien des effets, aux souvenirs et à la correspondance, etc….Chaque semaine le sergent vaguemestre y apportait un film pour une soirée cinématographie qu’il percevait auprès de la gare routière et s’il y mettait du sien, échangeait le film précédent auprès d’un autre régiment ou l'armée de l'air, ce qui permettait d’en voir deux ou lieu d’un chaque semaine.

Certaines soirées de détente, les sous-officiers musulmans invitaient quelques européens à un festin coutumier dans une chambrée. Une poêlée de tomates-piments-oignons dans un bain d’huile d’olive, servie très chaud. Ouf ! les bières plus ou moins fraîches calmaient à peine le souffle brûlant de notre haleine. Cela les faisait marrer. Avant de rejoindre nos chambres respectives, nous allions faire un tour du côté des feuillées, on ne sait jamais !

Après la fermeture de route, les convois civils étaient bloqués au poste, nous assumions le gite et le couvert sans contre partie ou presque. Un semi-remorque chargé de caisses de bières destinées au grand sud, vient un jour se prendre dans la nasse. Le camionneur récemment libéré du service armé, avait tout misé sur l'achat d'un véhicule afin d'assurer les ravitaillements, Alger-Hassi Messaoud (puits de pétrole). Il nous fit l'honneur de l'inspecter et vanta les mérites d'une motorisation dernier cri. Après un repas copieux et force libations, il nous demanda d'assurer la protection de la cargaison, ce que nous fîmes avec le concours du poste de police à demeure près du parking. Le lendemain, satisfait de l'accueil et de la probité, il nous gratifia généreusement de quelques caisses que je subtilisais au grand dam des cadres présents pour les vendre au prix du marché afin d'améliorer l'ordinaire. (débrouillardise oblige selon le commandant Genet).

J'hébergeais , pour un temps, le responsable du concasseur d' agrégats voués à la réalisation de la nouvelle voie RN1. C'était un ex-sergent-chef de la Légion, ex-officier artilleur soviétique qui a combattu lors de la Seconde Guerre mondiale. Il prit ensuite un contrat Légion pour l'Indochine à deux reprises. Une fois par semaine il rejoignait sa famille près de Blida. Personnage érudit, maîtrisant notre langue et l'arabe, Vichniakoff, c'est son nom, "Cerisier" en Français, m'étonnait toujours par sa méthodologie transcrite en français au quotidien dans un carnet de poche dans lequel les lettres parfaitement calligraphiées formaient un ensemble gracieux. Même si je ne comprenais rien aux opérations mathématiques et à la relation des textes s'y attachant, je trouvais que ce fut du grand art. Sa profession exercée au plus près du poste dans une veine rocheuse qui se tranforma rapidement en carrière ouverte, avait l'inconvénient de saupoudrer les personnels employés au concassage d'une poussière dense et tenace. Jamais il ne vint au mess sans s'être douché et changé, un aristocrate en somme !

En fin de séjour dans notre secteur, il insista beaucoup pour me faire un cadeau, devant mon refus catégorique, il n'en resta pas là. Fin bricoleur, il le fallait dans les conditions de son oeuvre où l'imposante infrastructure peinait parfois ou se cassait même,Vichniakoff usait de la forge afin de remédier au plus pressé. C'est alors qui m'apporta un poignard de sa fabrication, reflet fidèle des armes blanches de sa région d'origine sur le fleuve Amour, que j'ai conservé jusqu'à ce jour..."

La 2e Cie en opération: le lieutenant Latournerie et son radio Bellami.

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