Tirailleur André GUILLON

Je suis parti au service militaire le 2 septembre 1958 et j’ai d’abord été ajourné temporaire deux fois. J'ai été hospitalisé à Nantes, un mois, en observation à l’hôpital Broussais, afin de décider si je serais réformé ou non. La décision a été brutale, je n’étais pas réformable. J’ai été envoyé en Allemagne, à Donaueschingen à la C.I. 7 (Centre d’Instruction n° 7) (ou 110ème R.I. ?). Mon séjour a duré quatre mois. À l'issue de notre instruction de base et de qualification, un tri a été effectué pour les mutations en Algérie ou en Allemagne, pour moi ce fut l'Algérie. J’ai pris le bateau à Marseille et je suis arrivé à Alger. Au DIM d'Alger on m'a signifié de me rendre par le train à Djelfa, à 300 km plus au sud, Après quelques temps passé à la CCAS du 4e régiment de tirailleurs de Djelfa. Il y avait des tirailleurs qui faisaient de la musique. Dans les défilés, ils avaient un bélier devant eux. Autrement, les tirailleurs qui étaient sur le terrain, ils faisaient comme partout, du ratissage et des opérations dans le secteur.

J'ai rejoint mon affectation au camp des Ruines qui se situe à 8 km au nord de Djelfa. J’ai retrouvé un copain. C’était Joël Trimoreau de Roche-Blanche. Il savait que je venais. Il m’a vu arriver. Il m’a dit : « Tu vas rester là. ». Il a téléphoné au lieutenant pour que je reste et le lieutenant a dit : « Bon d’accord. Il reste, si vous avez confiance, vous le gardez. »

Mon dossier médical n’était pas arrivé. On voulait me faire monter la garde mais j’ai dit : « Non car je suis exempt de garde". Pas question ! ». Le temps que mon dossier arrive d’Allemagne, j’ai monté quand même monté la garde pendant trois semaines. Quand enfin mon dossier est arrivé, le Lieutenant a dit : « On va vous changer et vous mettre au mess des sous-officiers ».

J’ai eu un problème pendant les gardes et j’ai dû passer au tribunal. Ma garde se situait au dépôt d’essence. Et puis il y en a un qui prenait de l’essence pour la vendre à des civils. Moi, je l’avais dit au lieutenant. Il m’avait dit : « On s’en occupe ». Oui mais il n’a pas dû faire grand-chose. Le gars qui volait l’essence s’est fait prendre et il a fait du rab[1], il m'a fallu que je témoigne parce que je l’avais laissé passer. C’était à Blida. Là, j’ai rencontré Jean Robert, Ils sont trois frères à avoir fait la guerre d’Algérie : Joseph, Jean et Maurice.

Donc quand mon dossier médical est arrivé, j’ai été muté au mess des sous-officiers. Là, j’ai eu pas mal à faire, Il fallait mettre les tables, servir et tout. J’y ai croisé pas mal de monde. Une fois il y avait, à une table, le vaguemestre et trois autres sous-off. J’ai appris par la suite, qu’ils étaient morts en rentrant de mission de Djelfa. Les Fellouzes les avaient eus sur la route, en haut du pont. Tchac !

[1] Sa durée sous les drapeaux a été prolongée par punition.

J’ai aussi été malade, là-bas. J’avais mangé des sardines qui n’étaient pas fraiches. J’ai rencontré Joseph Barbin qui était à la Faucherie, dans le temps. Il était au séminaire et apprenait pour devenir prêtre. C’était le frère à Moïse Barbin, de Varades. C’est lui qui m’a fait avoir une permission. Il était au mess des officiers. Il m’a dit : « André, Je te fais une demande de permission. Tu vas aller voir le Colonel. Comme tu as fait une jaunisse tu vas partir. ». Je l’ai revu, il y a pas longtemps. Il est du côté de Paris, maintenant.

Au cours de ma permission à la Rouxière, j’ai rencontré le père Bricaud qui amenait Louis à la gare. Il partait dans l’est, lui et, moi, j’avais cinq mois de fait, déjà.

J’ai aussi failli me faire zigouiller, parce qu’on allait faire des courses pour le mess à Djelfa. Un moment, le chauffeur me dit : « Oh attention, Guillon ! » Il y en avait un qui était avec un couteau pour me le foutre dans la peau. Heureusement que je me suis garé, autrement, j’y avais droit ! Il y en a qui sont morts comme ça. Gilbert Rabjeau, c’est comme ça qu’il s’est fait tuer. Il avait pris un coup de couteau, je crois, dans le dos. Je crois que c’est ça. J’ai failli me faire tuer, aussi, en revenant de permission. Le train a déraillé. Ce n’était pas un accident. Les fells avaient monté une attaque. L’escorte du train était bien armée, elle a pu intervenir rapidement pour les neutraliser.


Maurice Vincent, c’est bizarre. Parce que, moi, j’ai fait le fossoyeur pendant vingt-cinq ans, à la Rouxière. Quand j’ai ouvert son cercueil, Émile Bellanger, mon collègue à la commune en est témoin, parce qu’il venait me donner un coup de main... quand j’ai sorti le cercueil de Maurice, eh bien, il n’y avait pas d’ossements dedans. Rien ! Un néon qui était long. C’est tout ! Là-bas, ils disaient ce qu’ils mettaient dans le cercueil et puis personne ne regardait ce qu’il y avait dedans. Je l’ai dit à la famille, moi, après. Il y avait encore sa mère. Son père était mort en cinquante sept. Maurice[2] avait deux sœurs : Yvette et Marie-Jeanne mais je ne l’ai pas dit aux filles. Juste à la mère. Son corps est resté là-bas, sans doute. Ils l’ont peut-être jeté dans un coin ! Je me souviens ; quand il a été ramené, ils l’ont mis dans la crypte où on faisait le catéchisme. Je ne sais pas pourquoi ils ne l’ont pas ramené chez lui.

Jacques Leport, c’est un collègue qui lui a tiré dedans. Ils devaient mettre des foulards pour se reconnaître entre eux, les gars, et il n’a pas mis le bon foulard, selon ce qu’on m’a dit.

J’ai suis resté deux ans, jour pour jour, en Algérie. J'ai pris le train à Djelfa pour Alger et le bateau pour Marseille, puis le train jusqu’à Ancenis. À Ancenis, j’ai trouvé un gars de la Poste qui m’a ramené à la Rouxière. Je suis rentré la veille de mes 25 ans. J’ai rendu mon paquetage à Varades, au gendarme Alliot, le 11 février 61. J’étais en permission libérable.

En revenant à la Rouxière, je voulais reprendre le travail tout de suite et puis le docteur Le Coniac m’a dit : " Je ne veux pas que tu reprennes la ferme". J’ai été ouvrier à l’usine de chaussures à Saint-Florent pendant deux ans. J'ai voulu reprendre la ferme mais cela n'a marché.


[2] Selon la lettre envoyée aux parents de Maurice Vincent, il serait mort le 2 octobre 1956 à Taoulia.


Extrait du livre " l'Oued rouge" d'Antoine Delaunay ( voir la rubrique Livres).