1961-22 avril

Le PUTSCH 

Cette page est sous la responsabilité des auteurs des articles qui ont bien voulu livrer leur sentiment ou leur vécu sur ce tragique cas de conscience. 

Pour en savoir plus sur le  PUTSCH ,  Discours de de Gaulle du 23 avril   1961                                   

   

Témoignage du lieutenant Técher alors commandant la 6e compagnie installée à Messad. 

MESSAD le 22 avril 1961 

" En ce samedi matin, la radio annonce que '' l'Armée a pris le contrôle de l'Algérie et de Sahara''

Les généraux en retraite Raoul Salan, André Zeller, Maurice Challe et Edmond Jouhaud, secondés par les colonels Antoine Argoud et Jean Garde sont entrés en rébellion contre le pouvoir légal.

 La nouvelle est entendue par la plupart de mes subordonnés. Si, elle ne constitue pas une surprise totale, elle invite à envisager rapidement la réaction la plus appropriée. J'exige donc que les ordres donnés par écrit la veille soit immédiatement suivis d'exécution. Pendant que les chefs de section et l'adjudant de compagnie lancent les activités de la journée, je me rends au PC de l'EMT 2 pour y rencontrer le Chef de Bataillon Bourgeois et lui rendre compte de ma première réaction, tout en précisant que je souhaitais être informé des dispositions que comptait prendre le Chef de Corps pour l'ensemble du Régiment. Il me répondit qu'il se préparait à répondre à la convocation du Colonel qui l'attendait à DJELFA. Connaissant le loyalisme (que je partageais) de ces deux officiers supérieurs à l'égard du Président de la République, Chef des Armées, je n'avais guère de doute sur le choix qu'ils feraient face à cette situation. 

A son retour, le chef de Bataillon Bourgeois nous fit part des directives du Colonel . Elles étaient claires et répondaient à mes espérances. 

Assuré de la quasi indifférence de mes tirailleurs musulmans et des appelés européens, je réunis les cadres afin de leur exposer les risques d'un engagement dans une aventure hasardeuse, mais aussi de leur ouvrir, s'ils le souhaitaient, la possibilité de rejoindre le mouvement d'Alger en leur accordant une permission de huit jours à l'issue de laquelle, s'ils ne se présentaient pas à l'unité, ils seraient considérés comme déserteurs passibles des sanctions prévues en pareil cas. 

Je donne à chacun la nuit pour réfléchir. 

Le lendemain, faute de candidatures au départ, j'ordonne la reprise normale des activités, notamment des patrouilles en ville de MESSAD."

L’ancien  médecin-chef de l’EMT 2 du 4e RT témoigne du 22 avril 1961 

            « Fin Décembre, j’apprends ma mutation au CIABCA à Alger : la vie y était plus douce : médecine de corps de troupe, visites en ville aux familles de militaires. 

            Un  vendredi d’Avril 1961, le 20, j’accompagnais les camarades de ma classe, libérés, au bateau et leur donnais rendez-vous à Paris : je ne devais prendre l’avion que le lundi suivant, le Service de Santé étant toujours libéré avec un peu de retard.

            Et le samedi matin, 21 , mon chauffeur d’ambulance vient me réveiller et m’apprend que les communications sont coupées avec l’hexagone : un putsch a eu lieu dans la nuit. Discussions au mess : les pour et les contre. Les passions s’exacerbent, le Colonel a disparu en laissant son képi sur son bureau, le 2ème REP a placé un tank qui prend en enfilade le CIABCA . Ces dissensions m’attristent, quand je considère les efforts accomplis par tous, pendant tant d’années.

            Mon chien que j’ai ramené du djebel, mes bagages et moi allons en jeep avec mon chauffeur à l’aéroport de Maison Carrée ( où je prenais des gardes de nuit  pendant mon séjour à Alger ) pour trouver un dernier avion : quelques libérés, qui ont gardé leur pistolet au poignet, parviennent à monter. Je vais au port : un acteur connu, qui était sur le sol d’Algérie depuis une huitaine, monte en bateau : pas question pour lui de rester une minute de plus ! Et puis beaucoup de « Pieds Noirs », qui me paraissent bien modestes, et qui pleurent sur le quai, car ils sentent déjà que le très étrange «  Vent de l’Histoire » a tourné. Il n’y a pas de place pour moi dans ce dernier bateau qui emmène les observateurs américains en grand uniforme. J’attendrai…

         Retour au mess : divisions tragiques de l’Armée.

Et puis retour en France, incompréhension des hexagonaux, qui ne me demandent rien, quelle importance ?, et que je ne comprendrai pas non plus. Souvenirs et nostalgie…”

Témoignage du sous-lieutenant Rouquier, chef de section à la 5e compagnie stationnée à Messad

Je posai ma première demande de permission en janvier-février, et elle me fut accordée pour le 22 avril 1961. Quelle perspective de bonheur, de repos, de tranquillité, de plaisirs civilisés ! J'étais assez fier à l'idée d'arriver chez mes parents avec mes galons tout neufs d'officier.... Les derniers jours, j'étais fébrile ! Les sous-officiers me donnaient des conseils pour le voyage, les restaurants à Alger, le petit hôtel peinard où s'arrêtaient les hommes du régiment. J'avais décidé de faire la traversée en paquebot. J'y voyagerai en première, ce qui n'était pas désagréable, et j'y gagnais un jour puisque les délais de transport n'était pas comptés dans les jours de permission.

Le 20 au petit matin, à Djelfa, je grimpai donc dans un wagon de la fameuse Rafale (1) ; j'arrivai seize heures plus tard à Alger la Blanche, merveilleux avant-goût de la métropole. Je dînai avec des compagnons de route dans une brasserie alsacienne d'un succulent canard aux cerises et regagnai mon hôtel situé dans un quartier tranquille. Nuit sereine...

Le lendemain, je me réveille une bonne heure à l'avance, déjeune, et quitte l'hôtel pour rejoindre le port. Je suis en tenue d'été. Ma valise d'aluminium est légère. Je marche joyeusement dans les rues fraîches et désertes. Il est encore très tôt, mais je m'étonne un peu de ce calme, de ce silence. Je ne rencontre quasiment personne hormis quelques militaires isolés ou en petits groupes se dirigeant eux aussi vers le port.

Arrivé aux grilles de l'embarcadère, je me mêle aux soldats de tous grades en partance pour la métropole. Il y a des permissionnaires comme moi, mais aussi des libérés facilement reconnaissables aux quilles leur pendant au cou et à leurs vociférations tonitruantes. Je me rapproche de jeunes officiers qui paraissent anxieux. Des bruits inquiétants commencent à se propager parmi cette foule bigarrée : " Toutes les perms sont sucrées !... Les bateaux ne partent plus !..." Que signifie cette histoire ? Le fait est que plusieurs heures se passent sans que nous n'ayons la moindre information. Cela devient très alarmant. Impossible d'obtenir le plus infime renseignement. Des paras gardent maintenant les grilles et nous empêchent de sortir.

Nous entendons au loin des bruits de foule, des concerts de klaxons scandant : Algérie Française. des drapeaux tricolores fleurissent aux fenêtres.

Vers onze heures on nous conduit dans des sortes d'entrepôts situés sous les quais. Nous y sommes enfermés pèle-mêle, à l'étroit. On nous distribue des rations. Les discussions vont bon train. " Ils nous feront chier jusqu'à la dernière minute !" hurle un libérable complètement ivre ou bien au bord de la crise de nerf. Plusieurs individus se mettent à secouer les portes grillagées en vociférant. Nous essayons de les calmer. Nous ne savons pas encore ce qui se passe ; nous évitons d'énerver nos gardiens.

Peu d'entre nous s'intéressent - ou ont le temps de s'intéresser - à la politique et nous avons suivi de très loin les derniers événements. Il est clair que l'aventure s'achève et que De Gaulle, fort des résultats du référendum, brade l'Algérie alors que militairement nous n'avons jamais été autant les maîtres de la situation. Le FLN redresse la tête. L'OAS fait régner l'espoir et la terreur. Ceux qui ont fait le serment de conserver l'Algérie à la France ne comprennent plus. Pourquoi tous ces drames, tous ces morts ? Pourquoi ces années de souffrance inutiles ? Pourquoi tous ces mensonges , Pourquoi cet abandon ?...

" Ce matin en venant ici, j'ai croisé des sections de la Légion qui faisaient mouvement en pleine ville !" remarque l'un de nous. Je me souviens alors avoir rencontré deux blindés postés à un carrefour. Que s'est-il passé cette nuit ?...

Finalement, en début d'après midi, un capitaine des paras vient nous mettre enfin au courant : "L'Armée s'est assuré le contrôle du territoire algérien. Cette nuit Alger est tombé entre nos mains sans qu'une goutte de sang n'ait été versée. Les généraux Challe, Zeller, Jouhaux, en liaison avec le général Salan, assurent le gouvernement provisoire. Nous tiendrons notre serment de garder l' Algérie française afin que nos morts ne soient pas morts pour rien... Pour l'instant les relations avec la métropole sont interrompues. Ni bateaux, ni avions. Après contrôle d'identité et de vos titres de transport, vous regagnerez pour la nuit casernements et hôtels où vous avez passé la nuit dernière. Demain matin, vous repartez vers vos affectations d'origine..."

Nous étions le 21 avril 1961, le jour du putsch des généraux ! Et j'ai dû attendre deux mois de plus pour poser une nouvelle permission !

(1) La rafale, le train qui reliait Djelfa à Alger en 16 heures.

Croquis du Sous-lieutenant Rouquier.

Témoignage du sergent-chef Louis en poste à la Compagnie d'appui de l'EMT1 stationnée aux Ruines Romaines.

 Désigné par la CA pour satisfaire à la demande de l'Ecole des Élèves Officiers de Réserve de CHERCHELL, je l'ai rejoint le 1er janvier 1961 pour être affecté comme instructeur combat auprès du Peloton Préparatoire des Élèves Officiers de Réserve destiné aux Musulmans, sous les ordres du capitaine ZAHOUANI. En dehors des cours théoriques et pratiques le plus souvent de nuit, je fus associé comme les autres cadres du PPEOR à la participation de la vie de l'Ecole pour la sécurisation de son territoire. Rien ne troublait la vie au quotidien. Les élèves musulmans furent comme nos tirailleurs attentifs aux cours ainsi qu' aux tâches quotidiennes, sans se poser, comme nous d'ailleurs, la moindre question sur le devenir. 

Comme tous les matins, pendant ma toilette, j'écoutais d'une oreille, les nouvelles diffusées par radio Alger.

Le 22 avril 1961, à 07 heures, je fus surpris de ne pas entendre le journaliste habituel, une succession de musiques militaires avaient remplacé les informations. Au bout d'un temps, j'interpelle mon voisin de chambre pour lui faire part de mon étonnement. C'est à ce moment-là qu'un intervenant inhabituel passait un message laconique sur une prise de pouvoir par des généraux, l'un d'eux prit le micro pour expliquer le mouvement insurrectionnel. L'étonnement passé , nous étions subjugués par cette nouvelle inattendue et surprenante. En errance dans le quartier, nous rencontrions d'autres camarades tout aussi déconcertés. A la fin de la matinée, tous les cadres furent convoqué à l'amphi d'où le colonel nous invita à prendre individuellement une décision et de raconter sa part de responsabilité lors de l'appel du 18 juin 1940.

Nous étions alors encore plus circonspects quand à la suite des événements. A ma connaissance, nous avions pris, sans concertation aucune, la décision d 'attendre et de voir. Ce fut certes, la meilleure des sagesses. 

En juin 1961, de retour à la CA, il ne fut nullement question de ce mouvement insurrectionnel avorté. On était encore loin de s'imaginer de la résultante de cette révolte.

 De AD, secrétaire à la CCS (Camp Barraqué) :

 Le 22 avril 1961, dès potron-minet, c 'est l’oreille collée à nos fameux transistors, de marques Françaises (Ducretet ou Pizon Bros), comme cinq cent mille gaillards (expression de DE GAULLE) que nous avons appris par la radio, rebaptisée « RADIO FRANCE », le fameux « putsch » d’Alger ; tentative de coup d'État, fomentée par une partie des militaires de carrière de l'armée française en Algérie, et conduite par quatre généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller). 

A la Compagnie, nous sommes décontenancés, c'est le suspense le plus total. Dans la soirée , « branle-bas de combat » ! La plupart des gars sont maintenus en alerte, embarqués avec armes et bagages, à bord de camions GMC, parés à toute éventualité et pour une destination inconnue. 

En l'absence de toute information concrète émanant de nos Chefs et devant l'ambiguïté d’une telle situation, un groupe de sous-officiers d’active, ayant à sa tête un jeune adjudant-chef, s’est déjà réuni dans le bureau du secrétariat de la Compagnie, afin d'entreprendre une démarche auprès de notre Colonel pour obtenir de sa part une position nette vis-à-vis des « Putschistes » d'Alger. Dès le 23 au matin, l'atmosphère se gâte ; les esprits s'échauffent. Confrontés au vide de l'encadrement, nous autres appelés FSNE (français de souche Européenne) sommes de plus en plus inquiets devant la possibilité d'une guerre civile, de se voir coupé de la Métropole, mais craignant surtout que la guerre ne se prolonge et de ce fait retarde indéfiniment « la quille ». 

Ce n'est le soir qu'à 20 heures, que le Général DE GAULLE prononce à la télé et à la radio son fameux discours, appelant à la désobéissance légitime. Toujours à la radio, sont rediffusés en boucle les appels du Général DE GAULLE à l’attention de tous les militaires du contingent leur demandant de désobéir à leurs Chefs si ceux-ci envisageaient de rallier les putschistes d’Alger. Légitimés et forts de ces recommandations, c’est au cours de l’audience accordée par notre Colonel, que les sous-officiers en question ont pris la grave décision de lui signifier qu'il devait se considérer « aux arrêts », l'estimant sans doute trop « attentiste » face à une situation aussi grave. Fait troublant *, dans l'intervalle , un officier de l'escadron du 2ème REC basé aussi à Djelfa, vient nous intimer l’ordre de ne tenter aucun mouvement, ni sortie. Il nous montre qu'il a pointé les canons de ses automitrailleuses, en direction de l'entrée du camp baraqué.

* Avec le recul nous savons désormais, grâce aux archives et de nombreux témoignages concordants, que le 2ème REC était favorable aux putschistes. Avait-il été appelé en renfort par notre Chef de Corps pour dissuader tout acte inconsidéré de la part des appelés du contingent et des sous-officiers loyalistes venus l'interpeller? Saurons-nous un jour la vérité ? 

Les heures passent, interminables. Nous sommes plus ou moins livrés à nous-mêmes, ce qui rend l'attente du dénouement de ce drame insupportable. 

Enfin, le mardi 25, vers 23 h 30 à la radio, une voix annonce : «  Ici France V, Ici France V, nous reprenons le relais normal avec Paris. Nous demandons à la population de garder son calme ; nous demandons à la population de rentrer chez elle ».

Le putsch est terminé

" Le 26 avril 1961 à 10h47, connaissant l'inquiétude de mes parents, je leur adresse le télégramme suivant : "Calme revenu suis en bonne santé Albert". un "calme" tout relatif s'instaure au camp. Nous reprenons nos activités, presque comme si rien ne s'était passé".

Puis un matin, nous avons vu déboulé dans notre bureau, le Chef de Bataillon, certainement mandaté par le Colonel SAGON. Il voulait nous faire avouer le nom du ou des meneurs ayant pris l'initiative de l'action à l'encontre de notre Chef de Corps . Nous devions obligatoirement être au courant, car, disait-il, il savait que les coups de téléphone pour fixer la réunion avaient été passés depuis le secrétariat où nous travaillions. 

En dépit des menaces et autres intimidations, de se retrouver dégradés (un sergent, un Caporal-Chef et moi Caporal depuis le 16 avril ) la perspective d'aller « lécher » le Boukahil comme voltigeurs de pointe, nous n'avons pas craqué et absolument rien dit. Il répétait que nous n'étions qu'une armée de "transistors" ... (puisqu'à l'écoute de de GAULLE) et que nous voulions hisser le drapeau "rouge" dans la cours de la caserne ! A l'époque des faits, aucun d'entre-nous n'ayant dans le civil, une quelconque activité politique nous ne pouvions comprendre ces dernières insinuations.

Nonobstant, ses propos nous ont fait prendre conscience du danger qui nous guettait. 

Grâce à la bienveillance et aux conseils de notre Major de Cie, qui avait apprécié notre impartialité dans cette affaire, nous avons pris la décision d'écrire à la cellule de Sécurité à ALGER mise en place par de GAULLE. Ce dernier avait pressenti de telles représailles au sein des unités et avait communiqué le numéro de secteur postal sur les ondes. Au courant de notre démarche, notre copain vaguemestre est venu nous prévenir de ne poster aucune lettre depuis la Compagnie car tout le courrier vers le secteur postal en question était ouvert, voire « censuré ». La lettre rédigée par l'abbé LECOQ relatant les faits a été remise à un permissionnaire qui l'a postée depuis la Métropole.

Moins d'une quinzaine de jours plus tard, nous avons vu plusieurs officiers supérieurs débarquer de leur hélico «Sikorsky » et se diriger vers le fort CAFFARELLI, là où résidait le Colonel SAGON. Nous avons supposé à tort ou à raison, que c'est à la suite de cette visite que notre Colonel a été rapatrié en France et remplacé par le Colonel GOUBARD adjoint du Général ARFOUILLOUX (*) commandant la Zone Sud du Corps d'Armée d'Alger à MEDEA. 

La passation de pouvoir a eu lieu le 8 juin 1961, soit exactement 44 jours après la fin du putsch.

Notre cauchemar était définitivement terminé. "

(*) Depuis, l'on sait aussi , qu'avant de s'engager dans l'aventure putschiste, Le Général ARFOUILLOUX avait envoyé à ALGER son adjoint, le Colonel GOUBARD pour voir « ce que CHALLE a dans le ventre ». Malgré les talents de persuasion de l'ancien « généchef » , le Colonel GOUBARD regagne MEDEA persuadé de l'échec de cette opération qu'il considère insuffisamment préparée et rend compte à son supérieur. Ce n'est que le 23 ou 24, en fin d'après midi, au cours d'un rendez-vous tenu secret entre CHALLE et ARFOUILLOUX sur l'aéroport de BERROUAGHIA, que ce dernier signifie à CHALLE qu'il ne le suivra pas.  

Les épisodes du « putsch , enfin oubliés, la vie au camp baraqué a repris son cours normal.

 Témoignage du sergent Panteix de la 2e Cie en poste à Faît el Botna :

« Le 23 avril 1961, Putsch des Généraux. Le colonel Sagon se déplace à Faïd el Botna pour connaître nos intentions. Réponse unanime, nous restons dans la légalité.

Pour montrer notre détermination, nous effectuons une opération pédestre (économie de carburant). Contrôle d’identité. Se défilant sur les lignes de crêtes, le 2ème REC nous marque à la culotte. Au cours de ce contrôle, je recevrai ma dernière leçon du sergent-chef Bouch...  Après avoir bu du petit lait dans une « khaïma » (tente de nomades berbères), je laisse un paquet de cigarettes. Deux ou trois pas effectués, Bouch... me dit : « tu as offensé ton hôte ! Alech aissa ? Il était suffisant de fumer une cigarette avec et lui laisser, à la limite le paquet, mais entamé ! »

Témoignage du Maréchal des logis H. Go. de la Batterie de Commandement et de Service du I/38e RA stationnée à Aïn Mabed à 6 km au nord des RUINES :

"Je précise que la veille des événements du 22 avril 1961, le soir je rentrais d'Alger accompagnant un officier de retour de permission que j'ai récupéré à l'aéroport et que les jours qui suivirent nous étions dans la plus totale ignorance des événements sauf que notre cantonnement était contrôlé par la Légion et qui tournait dans le secteur, ce qui nous avait quelque peu interloqués sans plus se poser de questions. Les missions qui nous étaient dévolues suffisaient à meubler notre quotidien"

Dans son historique le 2e REC  cité ici comme garant de l'attachement au gouvernement ne mentionne que ce bref passage : 

" Il est inutile de s'étendre sur les profondes répercussions qu'ont, à l'intérieur du Dauphin, les événements d'avril 1961.

Dès "Camerone", on perçoit que la Légion n'a plus sa place sur la terre d’Afrique.

La veillée émouvante du souvenir, pour la première fois, doit être célébrée dans l'intimité, au Bordj du Rocher de Sel."

 

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Le 8 juin 1961, à DJELFA, le colonel Goubard reçoit des mains du Colonel Sagon, le drapeau du 4e RT en signe de passation de commandement.

Précision du lieutenant Latournerie de la 2e Cie : "La mutation du colonel Sagon était prévue depuis longtemps, les chefs de corps étaient affectés pour 2 ans, son temps de commandement était terminé. D'autre part tous les officiers supérieurs ayant rejoint le putsch ont été définitivement sanctionnés, or le colonel Sagon sera promu Général."

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 Le dialogue des généraux

par le sous-lieutenant Claude-Auguste Leroy , observateur au 1er PMAH 20ème DI. 

 Nous sommes au PMAH 20e DI, à Berrouaghia, le dimanche 23 avril 1961. Il fait beau en cette fin d’après midi, le temps est calme. Le Peloton est silencieux, il y a pas d’opération en cours et donc pas de mouvement d’avion ou d’hélicoptère sur la piste. Dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22, le Putsch des généraux Challe, Salan, Jouhaud, et Zeller a eu lieu. Cet événement important alimente toutes nos conversations, nous vivons un moment d’histoire sans nous en rendre compte. Ce n’est que plus tard que nous pourrons analyser et nous faire une opinion. Mais je me rappellerai toute ma vie de cette journée. Le hasard m’a désigné comme officier de permanence. Un service pas trop désagréable. Notre salle OPS est sympathique, la radio silencieuse, c’est le moment idéal pour faire son courrier, lire un bon roman, mettre à jour les notes sur son jeu de cartes au 1/50 000ème ou pourquoi ne pas tout bonnement rêver. Mais soudain, la radio crépite – Berrouaghia de Broussard. Surpris, je tend la main pour attraper le micro et presse l’alternateur. – Broussard de Berrouaghia, reçu cinq sur cinq. – En approche sur vos installations, pour autorisation d’atterrir. – Autorisé Broussard, vous êtes numéro un, piste à l’ouest, le vent du 240 pour 10 nœuds. Rappelez en courte finale. – Broussard roger. Le Broussard se pose et rejoint le parking où je me rends pour accueillir les visiteurs. Le moteur au ralenti laisse filer ses dernières compressions et l’hélice s’immobilise. La porte s’ouvre, un général cinq étoiles de l’armée de l’Air apparaît dans l’encadrement de la porte et descend les quelques échelons du marchepied. Je salue et je me présente. – Repos lieutenant, général Challe, j’ai rendez-vous ici même dans quelques minutes. Bien qu’habitué à des passages de personnalités diverses sur la base de Berrouaghia, l’arrivée inopinée de l’un des instigateurs du Putsch était pour le moins surprenante. J’accompagne le général Challe vers notre salle OPS et lui propose un rafraîchissement. À ce moment la radio reprend : – Berrouaghia d’hélico Bell en approche pour autorisation d’atterrir. – Hélico de Berrouaghia, bien reçu, autorisé à l’atterrissage, le vent du 240 pour 10 nœuds, rappelez piste claire. Je m’adresse au général Challe : – Veuillez m’excuser mon général, je dois accueillir ce nouvel arrivant qui est certainement le rendez-vous que vous attendez. Je retourne vers le parking. La voilure du Bell tourne encore. La porte de la bulle s’ouvre et apparaît un nouveau général, trois étoiles, que je reconnais. – Sous-lieutenant Leroy, à vos ordres mon général. – Repos lieutenant, général Arfouilloux, j’ai rendez-vous ici même avec une autorité. – Votre rendez-vous vient d’arriver mon général. Le général Arfouilloux est notre grand patron, il commande la 20ème Division d’Infanterie, le SudAlgérois, à laquelle nous appartenons et son QG se trouve à Médéa. 80 Ce rendez-vous entre l’un des responsables du Putsch et le commandant de la très importante 20éme DI, le lendemain du Putsch, n’est pas anodin et je prend conscience que je suis en train de vivre un moment historique. – Mon général, si vous voulez bien me suivre, je vous accompagne à notre salle OPS où votre rendez-vous vous attend . Arrivé devant la porte, je salue le général Arfouilloux en lui disant : – Mon général, je me retire mais je reste à votre disposition. – Merci lieutenant, mais je tiens à ce que vous restiez près de nous. – A vos ordres mon général. Le général Arfouilloux entre dans la salle et salue le général Challe. Après quelques instants, je me retire par discrétion dans un bureau qui communique avec la salle OPS, la porte restant entrouverte. Le général Challe, bien qu’affichant une certaine sérénité, me paraissait tendu. Le Général Arfouilloux se présente : – Mes respects mon général, vous m’avez demandé ce rendez-vous. – Merci d’être venu Général. J’entre directement dans le vif du sujet, êtes-vous avec nous ? – Avant de vous répondre, j’ai besoin que vous m’éclairiez sur quelques points fondamentaux. – Je vous écoute. – Nous sommes devant le fait accompli. Avec la prise en main d’Alger, vous avez déclenché un putsch et vous me demandez si je rejoins ceux qui sont avec vous. Alors quelques questions : Qu’avez-vous prévu pour convaincre d’éventuels appuis sur Paris ? Quel est votre plan de communication ? Quels sont vos directives pour assurer la logistique ? Le général Challe marque un temps de silence puis répond : – Notre action n’aurait dû être officialisée et expliquée que dans quelques jours et les sujets que vous évoquez auraient été mis au point pour une confirmation détaillée de nos objectifs. Après quelques instants de réflexion le général Arfouilloux lui répond : – Mon général, je considère que ces points essentiels auraient dû être réglés avant toute recherche d’élargissement de la participation. Alors, en conscience, veuillez considérer que si vous continuez, ce sera sans moi et la 20ème Division d’Infanterie. – Je regrette votre décision. Le général Challe, me paraissait conscient du caractère devenu aventureux du complot à cause d’une fuite qui l’avait fait connaître par Paris avant même son déclenchement. Il fut cependant catégorique : Une marche arrière était impensable. Il m’est impossible de dire pourquoi, mais j’ai eu le sentiment qu’il pensait que les choses étaient trop avancées pour un renoncement personnel et que les deux généraux avaient déjà évoqué indirectement ce problème par leur représentant respectif. C’est pourquoi je reste très prudent, après tant d’années, quant à la date exacte de ce rendez-vous qui peut être soit le 23, soit le 24 avril, toutes mes notes ayant disparu avec une cantine expédiée en novembre 1961, depuis Blida, par un transitaire. Le général Arfouilloux était en position de force, balayant l’argumentation du général Challe fondée sur la légitimité d’une action de courte durée qu’il pensait conforme à l’engagement historique de l’Armée pour restaurer la paix et conserver l’Algérie à la France, confortée par l’importance, 81 d’après lui, des effectifs militaires favorables ainsi que par l’adhésion de nombreuses personnalités civiles d’Algérie. Le général Arfouilloux a immédiatement fait prévaloir l’opinion majoritaire de l’armée sur le terrain, qu’il connaissait parfaitement et celle de la métropole très influencée et acquise en grande partie, depuis les derniers mois, à l’indépendance comme confirmée au cours d’une récente intervention du général de Gaulle. Le dialogue fut très bref et je fus certain, à l’époque, que le général Arfouilloux, à la fois réaliste et très légitimiste, avait déjà pris sa décision bien avant cet entretien. Ses questions au général Challe n’étaient en fait que des confirmations d’absence de crédibilité de l’organisation d’un putsch qui n’en était plus un, puisque connu et déjà contré, et que son interlocuteur, malgré l’apparence qu’il voulait donner, en était conscient.. Le général Challe, désavoué par l’échec du Putsch, encourra les foudres du général De Gaulle. La justice passera, et le condamnera à quinze ans de détention, accompagnés de la perte de ses droits civiques. Il sera finalement libéré en décembre 1966, puis amnistié par le général De Gaulle en 1968. Il décédera en janvier 1979 Le général Arfouilloux terminera sa prestigieuse carrière honoré de tous. Pendant ce temps, j’était donc resté un observateur silencieux mais attentif. J’ai raccompagné les deux généraux sur le parking. Les deux généraux, acteurs majeurs de l’histoire de cette tragédie qui a ébranlé la république, se sont salués et sont repartis vers leurs destins respectifs. Le Broussard et l’hélico ont mis leur moteur en route, l’histoire a repris son cours après que je les ai respectueusement salués. Les pilotes et observateurs du 1er PMAH 20ème DI ont vécu le Putsch sans que j’ai trahi le secret de cette rencontre, secret partagé cependant et comme il était normal qu’il le fût, avec le commandant du Peloton, le capitaine Frotté avec lequel je m’étais entretenu et qui en avait été informé, très certainement, par le QG de Médéa. Ce n’est qu’en 2005, au cours d’une réunion amicale d’anciens de Berrouaghia, que j’ai raconté cet épisode ignoré de tous. Je pensais qu’il fallait absolument rendre public le témoignage historique de cette réunion et sa conclusion. Car aujourd’hui, pouvons-nous imaginer ce que serait devenu le Putsch si la 20ème DI était entrée dans la danse, avec la conséquence immédiate de rallier d’autres divisions également dans l’incertitude à ce moment précis du Putsch. 

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