En profondeur

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INTRODUCTION À LA LOI SUPRÊME

De l'importance de la Constitution

La Constitution est la loi suprême, au Canada. Elle établit les règles selon lesquelles nous nous gouvernons. Le rapatriement de cette loi au Canada, depuis la Grande-Bretagne, constitue un événement majeur de l’histoire du Canada.

L’élaboration de la Constitution canadienne, la « loi suprême » du pays, remonte à plusieurs siècles. Les lois autochtones, françaises et britanniques en ont constitué le fondement. Cependant, la Constitution, adoptée en 1867, était une loi britannique. Ainsi, l’approbation du Parlement britannique était nécessaire pour y apporter tout changement. Les Canadiens voulurent rapatrier la Constitution afin d’en obtenir entièrement le contrôle. Le processus de son rapatriement au Canada, qui atteignit son point culminant entre 1980 et 1982, fut déterminant bien que semé d’embûches et à l’origine de profondes divisions dans la société canadienne.

Qu’est-ce qu’une Constitution ?

Tous les pays possèdent une constitution, ou son équivalent. La constitution est la « loi suprême » qui définit le fonctionnement du gouvernement, ses pouvoirs et responsabilités, et bien souvent, les droits et libertés de ses citoyens. C’est un ensemble de règles qui sert à déterminer l’autorité du gouvernement.

Plusieurs règles constitutionnelles du Canada figurent dans la Loi constitutionnelle de 1867 (anciennement l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, ou ANB) et la Loi constitutionnelle de 1982. Mais d’autres, nécessaires à une gouvernance efficace, se trouvent dans d’autres lois, ou encore sous forme de principes non-écrits. La convention constitutionnelle nécessitant la sanction royale du governeur général, pour une loi adoptée à la Chambre des communes et at Sénat, en et un exemple. Bien que ce soit pas écrit dans la Constitution, c’est tout de même considéré comme une convention.

La Constitution du Canada énonce les fonctions des différentes branches du gouvernement (le pouvoir exécutif, législatif, et l’appareil judiciaire) ainsi que des deux ordres de gouvernement (fédéral et provincial). Elle donne aux gouvernements élus démocratiquement l’autorité d’adopter et d’appliquer les lois, et de définir les limites sur la façon dont ils doivent traiter les citoyens. Elle définit les compétences des provinces (par exemple, l’éducation, la santé, les ressources) et les compétences du gouvernement fédéral (par exemple, les banques, la défense, le commerce).

La Constitution du Canada reconnaît également la gouvernance autochtone. Mais les Autochtones, qui avaient leurs propres lois et constitutions avant l’arrivée des colons français et britanniques, n’ont pas été consultés et n’ont pas été inclus dans l’élaboration de la Loi de l’ANB en 1867. Nombre d’entre eux estiment que la fédération canadienne englobe les juridictions autochtones aussi bien que les juridictions provinciales et fédérale. Finalement, la Constitution inclut des règles précisant son interprétation et la façon dont elle peut être modifiée.

La Constitution canadienne, depuis la Confédération en 1867 jusqu’en 1982, relève du Parlement britannique, un vestige du passé colonial du Canada. Au cours des deux premiers tiers du vingtième siècle, les politiciens canadiens (et britanniques) essayèrent, mais sans succès, de transférer cette loi au gouvernement canadien. Ce processus s’appelle le rapatriement Processus visant à amener l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 – la Constitution du Canada – sous le contrôle total du Canada, plutôt que de le conserver comme une loi du Parlement britannique. Après des décennies d'efforts, le rapatriement s'est conclu par l’adoption en 1982 de l’Acte de la Grande-Bretagne au Canada et de la Loi constitutionnelle, qui prévoient notamment un moyen de modifier la Constitution au Canada. La nouvelle Constitution n'a pas été ratifiée par le gouvernement du Québec. .

Afin de rapatrier la Constitution, les gouvernements provinciaux et fédéral devaient s’accorder sur la manière d’effectuer des changements – les amendements – au Canada.

L'histoire du rapatriement

Pourquoi le rapatriement a-t-il eu lieu au début des années 1980 alors que les tentatives avaient auparavant échoué?

Plusieurs Canadiens, dont le premier ministre Pierre Trudeau, étaient troublés par le fait que la Constitution soit une loi britannique. Trudeau souhaitait vivement que les droits et libertés soient protégés par la Constitution canadienne. Même avant de devenir premier ministre, Trudeau était en faveur du changement constitutionnel. Entre son élection en 1968 et le rapatriement en 1982, il avait toujours la Constitution à l’esprit.

Il cherchait à promouvoir l’idéal philosophique d’une « société égalitaire », à laquelle les Canadiens, Anglophones et Francophones contribueraient sur un pied d’égalité. Les peuples autochtones n’étaient pas inclus dans ce modèle de société, dans ce projet de partenariat égalitaire. Ils étaient convaincus qu’à tout le moins ils devraient être consultés. Plusieurs des premiers ministres et des dirigeants politiques jugeaient la Constitution importante mais ils ne se sont pas entendus sur tous les objectifs de changement constitutionnel proposés par Trudeau, ni sur le processus qu’il jugeait nécessaire pour les atteindre.

Les gouvernements provinciaux ne voyaient pas tous du même œil la fédération canadienne et la répartition des pouvoirs – notamment tout ce qui concernait le contrôle des ressources naturelles. Les provinces voulaient rééquilibrer les champs de compétences alors que Trudeau ne voulait pas renégocier le partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Il voulait limiter les négociations à trois sujets: le rapatriement, une charte des droits et libertés et une formule d’amendement.

Une formule d’amendement qui permettrait d’effectuer des changements à la Constitution sans l’intervention du gouvernement britannique était essentielle pour le rapatriement. Les tentatives précédentes de concevoir une formule d’amendement avaient toutes échoué. La modification d’une constitution se doit d’être compliquée, mais un mécanisme doit tout de même être prévu pour rendre certaines modifications possibles, surtout lorsqu’il y a accord général sur le besoin de changement. Divers participants présentèrent leurs idées sur la répartition du pouvoir et du contrôle entre les Canadiens, les provinces, le gouvernement fédéral et les peuples autochtones.

Plusieurs événements politiques façonnèrent le processus de rapatriement qui se déroula entre 1980 et 1982. Le mouvement souverainiste, mené par René Lévesque, qui aboutit à l’élection du Parti Québécois (PQ), en est un exemple. En effet, le PQ déclencha un référendum Vote populaire (civique, provincial ou national) sur une proposition ou une question. Le rapatriement de la Constitution est devenu plus urgent après le référendum de 1980 sur la souveraineté au Québec. Pierre Trudeau, et d'autres personnalités de l’époque, ont proposé différents référendums nationaux pour résoudre des questions constitutionnelles. sur la souveraineté en 1980, demandant aux Québécois s’ils voulaient se séparer du reste du Canada. Trudeau fit campagne contre la souveraineté du Québec, promettant de renouveler le fédéralisme par un changement constitutionnel.

Les souverainistes perdirent leur référendum et une réforme constitutionnelle devint indispensable.

Immédiatement après le référendum, Trudeau et son ministre de la Justice Jean Chrétien commencèrent à travailler avec les provinces dans le but de conclure une entente. Après cinq mois de négociations, les gouvernements fédéral et provinciaux échouèrent à trouver un accord. Frustré parce qu’il jugeait les provinces intransigeantes, Trudeau annonça ce qu’il appela un « ensemble pour le peuple », le 2 octobre 1980.

Il proposa une résolution à la Chambre des communes qui donnerait au gouvernement fédéral l’autorisation de demander à l’Angleterre de rapatrier unilatéralement la Constitution avec sa formule d’amendement préférée et une Charte des droits et libertés.

Le premier ministre annonça également la création du Comité Hays-Joyal, dont le rôle était de tenir des audiences publiques nationales afin de consulter les Canadiens sur ce qui devait être inclus dans leur constitution. C’était la première fois que les Canadiens étaient invités à participer aux discussions constitutionnelles et il y eut une grande participation générale. Les séances du Comité furent télévisées et suscitèrent un intérêt croissant pour la Constitution. On y entendit un large éventail de points de vue de la part de femmes, d’Autochtones, de personnes handicapées, de personnes gaies et lesbiennes, de chefs de police et de militants pour les droits de propriété, entre autres. Le niveau d’intérêt et la participation du public furent surprenants.

En même temps, les Autochtones redoublèrent leurs efforts afin de forcer les élites politiques canadiennes à répondre à leurs préoccupations. Le 24 novembre 1980, des centaines d’Autochtones montèrent à bord du train « l’Express de la Constitution », qui partit de Vancouver et traversa le pays jusqu’à Ottawa, accueillant, tout le long du trajet, des gens qui désiraient faire campagne et être inclus dans le processus de réforme constitutionnelle. Ils demandaient que les changements constitutionnels respectent leurs droits et traités. Finalement, les peuples autochtones se rendirent jusqu’en Grande-Bretagne, dans plusieurs pays européens et à New York pour faire pression et obtenir un appui international.

La plupart des provinces étaient furieuses contre « l’ensemble pour le peuple » , la proposition de Trudeau qui prévoyait le rapatriement de la Constitution sans leur accord. Trois provinces traînèrent le gouvernement fédéral devant les tribunaux pour contester sa capacité d’agir unilatéralement. Six, et finalement huit provinces (toutes sauf l’Ontario et le Nouveau-Brunswick), se rallièrent afin de développer une contre-stratégie. Surnommées la « bande des huit » , elles firent pression sur la Grande-Bretagne pour s’opposer au projet fédéral de Trudeau.

C’est à la Cour suprême que l’on demanda finalement de déterminer si le gouvernement fédéral pouvait procéder à un rapatriement unilatéral. La Cour jugea que, par convention, Ottawa se devait d’obtenir le consentement de la majorité des provinces avant de pouvoir aller de l’avant avec son projet. Trudeau consentit à une dernière série de négociations avec les provinces. Elle commença le 2 novembre 1981. Trudeau croyait que, si ces pourparlers échouaient, le gouvernement fédéral pourrait alors tenir un référendum national sur sa proposition, « l’ensemble pour le peuple » . La conférence de novembre sur le rapatriement fut ardue et dramatique, mais un accord fut finalement conclu — sans le Québec.

Les problèmes n’étaient pas finis pour autant. Les femmes comprirent que la « disposition dérogatoire », qui permettait aux provinces d’abroger certains droits conférés par la Charte, compromettait l’égalité des sexes énoncée aux articles 15 et 28. Elles s’organisèrent par milliers et réussirent à obliger les provinces à se conformer à l’article 28 précisant que les droits énoncés dans la Charte sont garantis d’une façon égale aux personnes des deux sexes.

Par ailleurs, les droits des Autochtones avaient été supprimés de l’accord final. Le premier ministre de la Saskatchewan, Allan Blakeney, monta au créneau et défendit l’idée que les gouvernements devaient remettre l’article qui reconnaissait et confirmait les droits issus de traités autochtones puisqu’ils étaient prêts à changer l’accord pour protéger les garanties d’égalité des deux sexes, prévue à l’article 28. Les autres gouvernements finirent par accepter mais les peuples autochtones n’obtinrent pas la reconnaissance qu’ils réclamaient. Le 17 avril 1982, Pierre Trudeau et la reine Elizabeth II signèrent la proclamation de la Loi constitutionnelle, la dernière étape pour atteindre la pleine souveraineté canadienne.

L’héritage du rapatriement

La Loi constitutionnelle de 1982 traduisait un grand geste politique. La presse nationale l’appela « le passage à l’âge de la maturité spirituelle » du Canada. Le rôle des tribunaux, le pouvoir des gouvernements, la reconnaissance des droits des Autochtones, ainsi que la façon dont les Canadiens vivraient leur constitution étaient à jamais changés.

Le sentiment de trahison que ressentit le gouvernement du Québec après la conférence de 1981 est encore présent aujourd’hui. L’exclusion du Québec de l’accord final ébranla les Canadiens pendant les décennies qui suivirent.

En 1983, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ainsi que les groupes autochtones, parvinrent à un accord sur des amendements concernant les droits des Autochtones. Cependant, deux tentatives ultérieures échouèrent à rallier le Québec à la Constitution, ainsi qu’à régler d’autres propositions restées en plan. Un sentiment que l’amendement de la Constitution était une chose extrêmement difficile, voire impossible, à réaliser se forgea dans l’opinion publique.

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