M. Zink, La saveur du latin dans la poésie médiévale

Nous avons accueilli Michel Zink, Professeur au Collège de France, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, à Louis-le-Grand, le 9 février, malgré la froidure. Il a fait une conférence passionnante, chaleureuse, savante et gaie, à l'image de ce latin "dans tous ses états", qui négocie, dans la poésie médiévale, sa fructueuse et savoureuse rivalité avec la langue maternelle, vernaculaire.

C'est ensuite devant un buffet bien garni, dans le parloir du lycée Louis-le-Grand, que se sont poursuivis les échanges avec le conférencier, manifestement ravi de se retrouver avec collègues, khâgneux, normaliens, fidèles auditeurs, jusqu'à une heure assez tardive.

Cécilia Suzzoni

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Le sujet de cette conférence est mal choisi ou du moins son libellé peut induire en erreur. Il laisse supposer en effet que le latin est dans la poésie médiévale une sorte de condiment qui la relève, lui donne du piquant, mais lui est étranger. Le cas a existé, certes, et même fréquemment, au cours du Moyen Âge. Nous en verrons des exemples. Mais essentiellement la réalité est tout autre. La poésie du Moyen Âge est d’abord latine, d’une part parce que la culture littéraire de l’Occident médiéval est une culture latine, d’autre part – et tout simplement – parce que la langue de toute l’Europe au sud du limes est le latin et que les langues nouvelles qui apparaissent dans l’espace de la Romania sont du latin modifié.

Si le latin est le sel de la poésie médiévale, c’est dans le sens où le Christ dit à ses disciples qu’ils sont le sel de la terre : « Si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? » Le sel est sa propre cause : on ne peut pas saler le sel avec autre chose que du sel. Mais le sel sert à saler autre chose que lui-même, de même que ce qui définit le Moyen Âge et fait qu’il n’est plus l’Antiquité, mais une époque intermédiaire entre l’Antiquité et les temps modernes, c’est qu’autre chose se mêle à la latinité et y introduit une sorte de distance avec elle-même, alors même qu’on ne la renie en aucune façon, mais qu’on prétend au contraire la perpétuer.

Cela vaut, dira-t-on, pour la civilisation de l’Occident tout entière et pour l’évolution générale d’une langue qui passe du statut de langue d’usage à celui de langue du savoir. Pourquoi concentrer le regard sur la poésie ? Parce que c’est dans la poésie que la conscience de la langue et de ses enjeux est la plus forte. Parce qu’à l’époque la poésie englobe une part des activés de l’esprit beaucoup plus large qu’aujourd’hui.

La poésie se construit et se situe au Moyen Âge par référence au latin.

Cette proposition est vraie dans tout l’espace de l’Occident latin. Elle est vraie dans l’espace de la Romania, où la poésie est par définition d’abord en latin, mais dans un « nouveau latin ». Elle est vraie dans les pays germaniques, où la langue vernaculaire et le latin coexistent d’emblée, mais où il faut attendre que l’évangélisation introduise l’alphabet latin pour que la langue vernaculaire soit écrite.

Un « nouveau latin », qu’est-ce à dire ?

Le « nouveau latin » qui oblige la poésie à se penser elle-même sur nouveaux frais et à justifier son existence, c’est d’abord cet étrange et nouveau latin de la Bible latine, si choquant au regard des règles et des beautés de la poésie latine classique, qui engendre une sorte de rhétorique et de poétique transgressive et inattendue. D’un côté, comme le fait saint Jérôme, on s’évertue à montrer que tous les genres littéraires sont parfaitement illustrés par les livres bibliques dans leur variété. De l’autre, on justifie au nom de la rudesse de la vérité le style sans apprêt des évangiles ou la dialectique rugueuse de saint Paul avec ses retournements subits et violents.

La nouveauté n’est pas seulement de forme, mais aussi de fond. Dans le paganisme antique, comme dans la plupart des civilisations, la poésie a été conçue comme un médium du sacré. Le poète est inspiré par Apollon ou par les muses. Le furor poeticus est une forme de possession par le divin. Mais si, comme l’affirme le christianisme, Dieu s’est fait homme, a vécu parmi les hommes, s’il a parlé aux hommes, si ses faits et gestes ont été notés et ses paroles recueillies, qu’est-il besoin, pour connaître Dieu, du médium poétique ? La poésie perd sa légitimité. Elle est suspecte. Suspecte, parce qu’elle est un art du discours contourné. Isidore de Séville fait venir prosa de pro(r)sum, « en ligne droite », alors que versus est de la même racine que vertere, « tourner », et désigne un discours sinueux. Suspecte, parce qu’elle est un art du discours imagé. Suspecte, parce qu’elle est un art du discours mensonger. Le mot désigne très longtemps au Moyen Âge la fable antique, la mythologie. La poésie a partie liée avec une religion fausse et morte.

On pourrait lire toute l’histoire de la poésie médiévale comme celle d’une réhabilitation de la poésie et de ses efforts pour retrouver sa légitimité. Ainsi les chartrains, au XIIe siècle, tireront parti d’un propos de Macrobe disant que la nature répugne à se dévoiler devant les ignorants et que le sage respecte cette pudeur en ne parlant d’elle que sous le voile du langage figuré. Ils y verront une justification de l’emploi de ce langage par la poésie[1].

Mais le « nouveau latin », c’est surtout cette langue qui évolue rapidement en se différenciant d’une région à l’autre. En attendant de donner naissance à des langues nouvelles, les langues romanes, elle produit très vite une nouvelle norme poétique : la poésie rythmique.

La poésie métrique reste la poésie savante, la seule d’ailleurs, pendant longtemps, à porter le nom de poésie. On écrit toujours des poèmes épiques en hexamètres. Mais l’oreille n’entend plus la longueur des syllabes ; les fautes de versification sont nombreuses quand les poètes ne se cramponnent plus à des hémistiches ou des hexamètres entiers empruntés à Virgile[2].

La poésie rythmique, qui repose sur le compte des syllabes et non sur leur longueur, répond à la phonétique nouvelle, celle des langues qui s’apprêtent à émerger. Désormais, c’est elle qui flatte spontanément l’oreille. Elle devient ainsi le vecteur de la pastorale. Elle est le support de la liturgie : hymnes et poésie liturgique. Ainsi les hymnes ambrosiennes :

Aeterne rerum conditor,

Noctem diemque qui regis

Et temporum das tempora

Ut alleves fastidium.

Bientôt la rime s’impose. Ainsi, dès 430 environ, trente ans après la mort d’Ambroise, chez Caelius Sedulius, dans un célèbre poème alphabétique dont voici la première strophe, celle qui commence par A (la seconde commence par B, et ainsi de suite jusqu’à Z :

A solis ortus cardine

Adusque terrae limitem

Christum canamus principem

Natum Maria virgine.

Cette nouvelle poésie se prêtait à la parénétique, car elle flattait l’oreille des simples. Elle flatte encore la nôtre : c’est son charme que célébrait Rémy de Gourmont dans Le latin mystique. Mais en son temps on ne l’a pas considérée d’abord comme de la poésie. À preuve, le mot prose désigne dans la liturgie un poème rythmique. Et les premiers auteurs à définir le prosimètre opposent d’un côté la poésie, qui est la poésie métrique, de l’autre la prose, qui englobe la poésie rythmique.

Le latin du haut Moyen Âge ne se contente pas d’évoluer. Il se fait le témoin indirect d’une poésie orale contemporaine à laquelle il fait allusion (de Césaire d’Arles, qui condamne dans ses sermons, eux-mêmes écrits en latin rustique, les chansons inconvenantes des femmes, à Bernard d’Angers s’étonnant que sainte Foy accueille favorablement les chants discordants des paysans) ou qu’il transcrit à demi en donnant une idée de sa rudesse, comme dans la fameuse cantilène qu’Hildegaire cite dans sa Vie de saint Faron, évêque de Meaux, écrite sous le règne de Charles de Chauve, sans doute vers 870 et derrière laquelle on devine à demi la laisse des futures chansons de geste :

De Chlotario est canere rege Francorum

Qui ivit pugnare in gentem Saxonum.

Quam graviter provenisset missis Saxonum

Si non fuisset inclytus Faro de gente Burgundionum.

Quando veniunt missi Saxonum in terram Francorum,

Faro ubi erat princeps,

Instinctu Dei transeunt per urbem Meldorum,

Ne interficiantur a rege Francorum.

Autant de témoignages de la différenciation des langues romanes d’avec le latin, qui est en train de se produire, comme aussi de l’irruption dans cette culture écrite de la latinité d’autres modèles poétiques, méprisé mais qui se font tout de même une place.

Tout cela est le signe d’une évolution, le signe des changements de la latinité (si l’on englobe à la fois sous ce mot la langue et la culture qu’elle porte). Mais cette évolution et ces changements ne sont sensibles (et sensibles à leur époque même, qui en tire des effets littéraires) que par contraste et parce que le latin classique et l’Antiquité classique sont toujours présents à l’arrière-fond.

La latinité classique reste si présente que, comme on l’a dit plus haut, les plus maladroits des poètes mérovingiens tentent de composer en hexamètres (souvent faux – on n’entend plus les longueurs) à la manière de Virgile, auxquels les épopées carolingiennes empruntent des clausules, des hémistiches, des vers entiers dont la perfection soudain détonne, comme de vieilles pierres dans un mur trop neuf : la poésie médiévale est d’abord une poésie latine de la mémoire et du centon.

Le latin classique, ses formes poétiques, les ornements de sa fable restent donc un modèle, et un modèle qu’on se désole de ne plus savoir imiter et auxquels on s’efforce périodiquement de revenir : d’où les « renaissances » successives dont le Moyen Âge est constitué : renaissance carolingienne, renaissance du XIIe siècle, renaissance humaniste…

Enfin, les deux formes de la poésie latine se mettent en valeur en s’opposant. La poésie métrique est le « sel » de la poésie rythmique, qui joue, par contraste avec elle, de sa facilité mélodieuse. La poésie rythmique est le « sel » de la poésie métrique, qui se vante, par contraste avec elle, de sa science et de la culture qui la sous-tend.

La poésie vernaculaire et sa relation au latin

La langue parlée – la langue rustique, comme on dit alors – peut être considérée comme une langue différente du latin à partir de la fin du VIIIe ou du début du IXe siècle pour ce qui est de la France. Le premier poème conservé en français, la séquence de sainte Eulalie, est exactement datable de 881-882. Comme elle, les quelques autres poèmes que nous connaissons avant la grande éclosion littéraire de la fin du XIe siècle sont des poèmes religieux qui se présentent comme des incursions à partir du latin sur le terrain de la langue vulgaire pour répondre aux exigences de la pastorale. Dans le manuscrit, qui contient l’office de sainte Eulalie, la séquence française suit une séquence latine (une séquence est un poème liturgique qui suit la jubilation de l’alleluia), dont elle n’est d’ailleurs pas la traduction. Le poème latin célèbre la sainte pour ceux qui connaissent déjà son histoire ; le poème français raconte cette histoire pour ceux qui ne la connaissent pas.

Mais le mouvement général est celui de la traduction, de la translation du latin vers la langue vulgaire. Au milieu du XIIe siècle, les premiers romans français – Roman d’Alexandre, Roman de Thèbes, Roman d’Enéas, Roman de Troie – sont des adaptations d’œuvres latines – le pseudo-Callisthène, Stace, Virgile, le pseudo-Darès le Phrygien. Même lorsque la littérature en langue vulgaire a pris son indépendance, elle ne cesse de se tourner vers les modèles latins, dont la copie (nous ne connaîtrions pratiquement plus rien de la littérature antique sans les manuscrits médiévaux) la lecture et la traduction forment tout au long du Moyen Âge une chaîne continue de l’Antiquité à la Renaissance.

Même la part essentielle de cette jeune littérature qui plonge ses racines dans le monde celtique s’écrit par référence au monde latin et à l’écriture latine de l’histoire. Vers 1170, dans le prologue de ses Lais, Marie de France déclare qu’elle voulait traduire en français un ouvrage latin mais que, comme elle a été devancée par d’autres dans cette entreprise, elle s’est tournée vers les lais bretons dont elle veut conserver la mémoire. Elle utilise un modèle oral vernaculaire comme substitut d’un modèle latin écrit mais, prétend-elle, dans le même esprit.

Même « libérée » du modèle latin, la poésie vernaculaire considère qu’il y a quelque chose de paradoxal et d’excitant à n’être pas en latin. Le premier troubadour, Guillaume IX, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine (1071-1126), dans son poème d’adieu au monde, implore « Jésus sur son trône » et en roman et en latin (variante d’un manuscrit : en roman et en son latin). Quelques années plus tard, Jaufré Rudel, le prince de Blaye héros de la légende de l’amour lointain, termine une chanson en précisant qu’il l’envoie à un des ses amis « sans bref de parchemin », par l’intermédiaire d’un jongleur qui l’a apprise par cœur, et que cette chanson, on la chante en plana lengua romana, « en simple langue romane » : l’emploi de la langue vulgaire comme la renonciation à la commodité de l’écriture lui paraissent mériter d’être relevés dans la chanson elle-même.

On disait que le latin n’est pas au regard de la poésie médiévale dans la situation d’un condiment qui se contenterait de la relever et de lui donner du piquant, mais que ce cas est loin d’être absent. Il est illustré en particulier par la poésie macaronique, mêlant le latin et la langue vulgaire. On la trouve particulièrement dans le milieu des écoles et des universités, sans cesse confronté au mélange des langues, parce que les études se faisaient en latin et que la langue vulgaire servait dans la vie courante, parce que les langues vulgaires se mêlaient dans le milieu très international des écoles, parce que latin et langue vulgaire se mêlaient dans la prédication. Quand on prêchait au peuple, on citait le début de l’évangile du jour en latin avant de le traduire. Pour plusieurs années du XIIIe siècle, on possède les notes prises à l’audition des sermons prêchés dans les paroisses et les couvents de Paris par les maîtres de l’université : ces reportationes mêlent le latin et le français au point qu’on ne sait trop dans quelle langue s’exprimait le prédicateur[3].

Bref, les exemples de poésie macaronique sont innombrables, particulièrement dans la poésie goliardique. Voici par exemple une strophe d’une pastourelle franco-latine :

(Je) Dis a la bele : « Icel Seignur qui est redemptor omnium

Vus sauve e gard e doint honur supra coronum virginum !

Vostre humme suy sans nul return et meum est consilium

Ke nus fasçum le ju de amur : ecce tempus ydoneum.

À quoi la belle répond :

« Mon pucelage me gardez. Veni creator Spiritus.[4] »

Les poètes de la fin du Moyen Âge useront largement de ce procédé. Ainsi Eustache Deschamps (1346-1406 ou 1407) :

Vielle a présent, jadis juvencula,

Qui en ce temps fu chérie et amée ;

A Venere venerunt jacula

Desquelz je fu en pluseurs lieux bersée,

Jusqu'à .XX. ans de maint homme honourée ;

Pour ma beauté chascun me convoitioit,

Son cuer, son corps, s’amour me promettoit

Cum effectu et suis sumptibus ;

De mains joyaulx mes corps parez estoit :

Vetula sum sine muneribus[5].

Ou, moins convenable (mais le latin macaronique est volontiers utilisé pour braver l’honnêteté) :

Tant com je me po esmouchier* *escrimer

De cymbalis cliquentibus,

Je fus des dames tenu chier

Me semper prosequentibus ;

Or suy de dormientibus,

Vieulx, gouteux, qui n’ay plus pouoir

D’ester cum mulieribus :

Je ne puis la queue mouvoir.

……………………..

L’ENVOY

Princes, je suy enervatus,

Et in obprobrium datus

Pour ce mestier, car main et soir

M’en duelt le dos, jambes, latus

Corporisque mei status :

Je ne puis la queue mouvoir[6].

Ainsi encore Charles d’Orléans (1394-1465) :

Procul a nobis

Soyent ces trompeurs !

Dentur aux flatteurs

Verba pro verbis,

Sicut « pax vobis »,

Et tendent ailleurs !

Procul etc

Non semel sed bis,

Et dez fois plusieurs,

Sont loups ravisseurs

Soubz peauls de brebis :

Procul etc[7].

Il est des cas où le latin donne du piquant à la poésie par la simple allusion à sa grammaire. Toujours Charles d’Orléans :

Maistre Estienne Le Gout, nominatif,

Nouvellement, par maniere optative,

Si a voulu faire copulative.

Mais failli a en son cas genitif[8].

De ces frivolités se dégage une leçon profonde. La poésie française (ou généralement vernaculaire) ose être elle-même, libre et audacieuse, parce qu’elle se sait soutenue par la « grammaire » qui ne cesse de la nourrir et qui la guide avec indulgence sur la voie qu’elle s’est seule choisie.

Le latin est donc la mère de la poésie vernaculaire ? Oui, ou plutôt son père…

Conclusion : langue maternelle et langue paternelle

En 1193, dans son poème satirique Tractatus contra curiales et officiales clericos, Nigel de Longchamps met en garde son parvus libellus de bien prendre garde à ses manières au moment de saluer l’évêque d’Ely (sans doute un de ses parents) :

Lingua tamen caveas ne sit materna, sed illa

Quam dedit et docuit lingua paterna tibi[9].

Cecily Clark suppose que la lingua materna est ici l’anglais, la lingua paterna le français[10]. Mais pourquoi l’anglais serait-il ici en cause ? L’évêque était notoirement francophone. Nigel aussi. Il écrit en latin. Il est plus vraisemblable que la lingua materna soit le français (en tout cas la langue vulgaire), la lingua paterna le latin[11]. Ce qui est sûr, c’est que la lingua paterna est la plus relevée des deux[12].

Il est vrai que dans la Vita Dunestani, la lingua paterna semble être la langue vernaculaire : Citharam suam quam lingua paterna harpam vocamus[13].

Mais pour Dante, la langue maternelle est bien le noble langage vulgaire qu’il entend rechercher et, l’ayant trouvé, promouvoir. La « grammaire », c’est-à-dire le latin, est immuable, dit-il dans le De vulgari eloquentia, tandis que les parlers vulgaires évoluent. S’il est préférable d’écrire dans sa langue maternelle, c’est-à-dire en langue vulgaire, il faut donc choisir avec soin, parmi les parlers vulgaire, le plus correct et le plus beau. Une grande partie du traité est consacrée à la comparaison des diverses formes du vulgaire italien, la plupart fautives ou ridicules à l’oreille du poète. On a, autrement dit, le choix de sa langue maternelle. Elle n’est pas imposée. Elle n’est pas une facilité, tout au contraire. C’est le latin qui va de soi. C’est parce que le latin va de soi, c’est parce qu’il s’impose à tous, que le poète a le devoir de se choisir une langue maternelle, et de la choisir belle.

Mais c’est aussi parce que le latin va de soi qu’il est la langue paternelle. Quoi qu’on fasse, il occupe l’horizon poétique. C’est face à lui et grâce à lui que la langue « de préférence » (dans le sens où Aragon définit les fusillés de L’affiche rouge comme des « Français de préférence ») acquiert son sel poétique.

[1] Sur cette question, voir Michel Zink, Poésie et conversion au Moyen Âge, Paris, PUF, 2003, p. 41-77.

[2] Voir Francine Mora-Lebrun, L’Enéide médiévale et la chanson de geste, Champion, 1994 et L’Enéide médiévale et la naissance du roman, Paris, PUF, 1994.

[3] Nicole Bériou, L’avènement des maîtres de la parole. La prédication à Paris au XIIIe siècle, 2 vol., Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 1998.

[4] Éd. Paul Meyer, dans « Mélanges de poésie anglo-normande », dans Romania, IV, 1875, p. 380.

[5] Eustache Deschamps, Balade MCLXXXV, éd. marquis de Queux de Saint Hilaire et Gaston Raynaud, SATF, t. VI, 1889, p. 140.

[6] Eustache Deschamps, Balade MCCXXVI, ibid., t. VI, p. 225.

[7] Jean-Claude Mühlethaler éd., Charles d’Orléans, Ballades et Rondeaux, Paris, Le Livre de Poche, Lettres gothiques, 1992, Rondeau 90 (Champion CLXXI), p. 436.

[8] Ibid., Rondeau 83 (Champion XIX), p. 426-427.

[9] Tractatus contra curiales et officiales clericos, v. 165-166, éd. Th. Wright, Anglo-Latin Satirical Poets I, 1872, p. 146-230. A. Boutemy, Nigellus de Longchamps dit Wireker, Paris, 1959, p. 144-210.

[10] Cecily Clark, « Women’s Names in Post-Conquest England : Observations and Speculations », dans Words, Names and History. Selected Papers. Edited by Peter Jackson, Cambridge, 1995, p. 118.

[11] Cest l’avis de Jan Ziolkowski, « Cultural Diglossia and The Nature of Medieval Latin Literature », dans The Ballad and Oral Literature, ed. Joseph Harris, Harvard, 1991, p. 193 sq. La citation de Nigel est commentée p. 194 pour illustrer la définition du latin comme « lingua paterna ».

[12] Voir Anne Grondeux, « La notion de langue maternelle et son apparition au Moyen Âge », dans Peter von Moos dir., Entre Babel et Pentecôte : différences linguistiques et communication orale, Berlin – Vienne, 2008, p. 339-356.

[13] Cité par Jean Batany dans « l’amère maternité du français médiéval », dans Langue française 54, mai 1982, p. 129 sq