Compte-rendu de notre réunion du mardi 9 novembre 2021
Mirage d’amour avec fanfare Hernan Rivera Letelier
Dans l’ensemble, ce roman a beaucoup plu mais voyons d’abord les réticences soulevées.
- On a parfois eu du mal à y « entrer » car beaucoup de détails un peu encombrants.
- Une lectrice pensait lire un livre d’écrivain-voyageur et découvrir le désert d’Atacama pour le comparer à ce qu’elle avait connu il y a quelques années. Or; le roman n’est pas du tout un récit de voyage, on reste à Pampa Union.
- A été employé le mot « guignol » pour qualifier les personnages. Beaucoup se sont insurgés trouvant ce mot trop fort, trop péjoratif. Certes les personnages sont caricaturaux, excessifs mais ce n’est pas à un spectacle de Guignol que nous assistons à la lecture de ce livre.
- Enfin, et cela a été reconnu par tous, le vocabulaire est parfois vulgaire, grossier . Les situations aussi : il est beaucoup question de beuveries, de coucheries, de prostitution. Mais cela convient parfaitement à l’histoire.
Comme souvent la question s’est posée : cette vulgarité était-elle dans le texte original ou est-ce un effet de la traduction ? On s’est d’ailleurs posé la question aussi à propos de certaines expressions (exemple relevé : un regard quaternaire)
Nous nous sommes donc « encanaillés »en lisant ce roman !!! Mais il évoquait autre chose que beuveries et coucheries !!!
- L’écriture en est pleine d’humour, piquante, colorée, grossière parfois on l’a dit, mais aussi pleine de fantaisie et de poésie ; le mélange de vocabulaire, de style, vulgaire pour parler des ouvriers et relevé pour parler de la jeune femme a pu paraître gênant mais ce décalage était sûrement volontaire !
- Les apports historiques et sociétaux sont très instructifs : on découvre la vie infernale des travailleurs dans les mines de salpêtre, dans un monde dominé par un tyran, réalité du Chili à cette époque (1929). Beaucoup d’allusions historiques émaillent le texte. L’exploitation des mines s’est achevée en 1932 ; la ville a été démantelée en 1954. Actuellement, on risque de voir revenir la même situation avec l’exploitation du lithium !!
- Le texte foisonne de personnages aux surnoms imagés, tous plus étranges les uns que les autres et plusieurs sont attachants : le vétéran qui ne se sépare jamais de sa gourde d’eau et qui se croit à l’abri, inconscient de la gravité de la situation ; mais aussi le commissionnaire Yemo Pon. Et comment ne pas aimer Bello Sandalio, ses cheveux roux, sa trompette, son nœud papillon et son éclatant sourire ? Et le coiffeur-barbier Sixto Pastor Alzamora, grand adepte de la sieste, qui bien qu’anarchiste a inscrit sa fille dans une école religieuse voulant pour elle la meilleure éducation qui soit ? Sa fille, mademoiselle Golondrina del Rosario est une caricature parfaite de la fille de bonne famille, toujours bien mise, toujours souriante, aimée de tout le monde, admirée pour ses dons pour la déclamation et le piano et pourtant elle tombe dans les bras du premier homme qu’elle rencontreet développe un amour fou, sensuel (qui la mènera à la mort.... Cette fin nous a paru bien trop triste mais il ne pouvait en être autrement pour cette femme passionnée)
- Ces personnages ont chacun leur rôle dans une intrigue bien construite : dès le début, on sait que le trompettiste et la pianiste vont vivre une histoire d’amour mais la mise en place se fait tout doucement. D’autre part, on connaît les idées anarchistes du coiffeur et quand on découvre chez lui tout un attirail de poudre, bâtons de dynamite etc, on se doute bien qu’il va en faire quelquechose au moment de la visite du président ; il faut attendre presque la fin du roman pour le voir agir.
- Tous ces gens, aussi étranges soient-ils, vivent entre eux une intense fraternité. Ceci est
particulièrement évident à la mort du bébé d’un des musiciens; Ils se réconfortent autour d’un verre
certes mais leur amitié est profonde. L’auteur les présente toujours dans leur réalité un peu sauvage
avec un grand humanisme, on sent qu’il les connaît et les aime malgré tout.
- Enfin tout au long du roman, on est plongé dans la musique : trompette et piano se
répondent. Comment résister ? Ecoutez le nocturne opus 37 de Chopin et vous retrouverez notre
héroïne.
Nous nous sommes penchés sur le sens du titre :Mirage.
Oui, ils vivent tous dans un mirage:
Golondrina dans le mirage de l’amour ; son père le mirage de la révolution et d’un changement
radical de société ; le vétéran dans le mirage d’une reconnaissance qui lui serait due ; tous les autres
personnages dans le mirage d’une amélioration de leur condition, d’un pas vers leur liberté : quand
ils viennent en ville ils se croient libérés de leurs employeurs. Or, dans leur vie, tout est utopie. Et
pour finir, Golondrina voit comme dans un mirage l’effondrement de sa ville.
Un roman original qui a fait réagir tout le monde !