Compte-rendu de notre réunion du mardi 11 février 2025
Allah n’est pas obligé de Ahmadou Kourouma
Notons d’abord que 5 lectrices ou n’ont pas lu ce livre ou l’ont abandonné en cours de lecture ou sont arrivées au bout par « devoir », sans l’apprécier. Il est vrai que cette lecture pouvait paraître un vrai pensum. Par son style d’abord. On est averti dès la première page que ce sera du « p’tit nègre » mais plus de 200 pages de ce style, ça peut agacer ! Puis il y a des parenthèses pour expliquer certains mots de vocabulaire, certaines sont amusantes certes mais à la longue…. Et la conclusion de chaque chapitre par une vulgarité, ça peut aussi agacer. Est-ce de la littérature ? Cela mérite-t-il un prix ?
Plus grave, le livre a déplu, dérangé, par son sujet : les enfants-soldats en Afrique, Sierra Léone et Libéria. La mort partout, les tortures, les atrocités, la corruption… ; un récit désespérant qui souligne les difficultés de ces pays et l’incapacité du monde entier à améliorer la situation. Dans ces temps de morosité générale, on a envie de lire pour se distraire et se détendre, pas pour plonger dans ce que l’actualité nous présente déjà. On a envie de lire « plus léger »
D’autres lecteurs ont su voir tout ce qui se cachait derrière ces lignes et ont apprécié.
Le livre a été écrit par Ahmadou Kourouma à la demande d’enfants-soldats de Djibouti qui voulaient faire connaître leur histoire. Il a donc utilisé le langage d’un enfant : sa naïveté,(définition de l’ONU), son plaisir de jurer, de citer des adages du pays (le pet de la vieille grand-mère ), sa fierté de montrer ses connaissances en vocabulaire grâce à ses dictionnaires.(Le Larousse, l’ inventaire des particularités du français en Afrique Noire, le Robert….) On peut même souligner la force de l’écrivain, écrivain adulte, d’avoir maintenu ce rythme oralisé d’un enfant tout au long du roman. Certains ont même vu de la poésie dans la suite des jurons et des parenthèses. Le style n’a donc pas été gênant pour tous. Il semblait même une preuve d’espoir en l’allègement de la vie dans le futur.
On a pu voir dans ce roman un message politique.C’est un documentaire sur les enfants-soldats dont la seule grande ambition est d’avoir à manger et d’être protégé en oubliant le prix à payer : tuer pour ne pas l’être. Quels adultes seront ces enfants ? L’auteur dénonce aussi le tort des puissances étrangères (européennes, arabes ou américaine) dans le découpage irréfléchi de l’Afrique en pays sans tenir compte des ethnies, dans leur soutien aux uns et aux autres sans soucis de loyauté. On voit combien le fétichisme avec ses gris-gris est important dans ces pays, mêlé à d’autres croyances (voir le personnage de Yacouba et Johnson, le féticheur chrétien).La recherche de la tante n’est qu’un prétexte à parcourir le pays pour en découvrir toutes les facettes.
Ce roman nous fait donc découvrir tout un monde étrange, inquiétant dont l’horreur est compensée par le style enfantin. On voit l’Histoire et ses personnages (,Houphouet-Boigny, Lumumba par exemple ou sœur Marie-Béatrice) avec des yeux d’enfant et le tableau paraît moins atroce.
Donc un roman peu ordinaire qui en a choqué certains par son style et la relation de faits abominables mais qui pousse chacun a réfléchir, sans être trop pessimiste, en gardant l’espoir d’une amélioration pour les générations à venir et la disparition de ces enfants-soldats encore trop nombreux dans le monde (cf enquête UNICEF). Comme l’indique le titre, Allah n’est pas obligé de sauver tout le monde mais « dans son immense bonté ne laisse jamais une bouche qu’il a crée sans subsistance. »