Compte-rendu de notre rencontre du mardi 10 décembre 2024
Instruments des ténèbres de Nancy Huston
Il manquait plusieurs habitués à cette dernière réunion de l‘année mais nous avons accueilli une nouvelle lectrice qui, nous l’espérons, se joindra à nous au cours des prochaines séances.
Il était donc question d’un roman au titre peu engageant :
Instrument des ténèbres
qui en a découragé certains comme était assez décourageante la lecture des premières pages. Mais personne n’a laissé tomber ! Certains ne sont pas encore venus à bout des 345 pages mais tous ont été invités à poursuivre la lecture jusqu’à la fin car le dénouement est assez inattendu et on peut dire que « ça finit bien » On n’en dira pas plus pour garder le suspense ..
Reconnaissons d’emblée que ce roman est dérangeant :
D’abord, il est composé de deux parties apparemment bien distinctes :
1 Le carnet scordatura : journal de l’autrice
2 Sonate de la résurrection : histoire de deux héros, Barbe et Barnabé, histoire tirée d’un fait divers réel.
On s’aperçoit que peu à peu les deux parties se répondent, Barbe et l’autrice ayant vécu des situations similaires (toute proportion gardée!!).
Le carnet scordatura a déplu parfois car trop introspectif . « élucubrations d’une riche américaine névrosée qui veut remplir le vide de sa vie » a pensé un lecteur. Il y a peut-être un peu de ça.
Et pourquoi changer son prénom Nadia en Nada, rien en espagnol ?
Et ce daimon qui lui parle ? Ce n’est pas le démon de la religion catholique , c’est le daimon grec, c’est à dire son inconscient, son autre ou son double, son inspiration.
Mais il y a surtout une réflexion sur le rôle de l’écrivain qui peut faire évoluer l’histoire à sa guise (la fin est différente de la réalité). On a noté aussi une étude de la femme : la mère de l’autrice soumise à son mari , la sœur hospitalisée par le bon vouloir de son père ...Et enfin on a souligné le cheminement de cette femme (voir sa description des hortensias en début et en fin de roman).
Et entre ces remarques sur la littérature et le féminisme (voir la leçon de repassage) se devinaient des notations politiques.
La sonate de la résurrection a déplu souvent par son coté sordide, trop triste, par une juxtaposition de détails parfois horribles (l’accouchement de Marthe), par sa « sombritude ».
C’est vrai ! On a évoqué à ce sujet le roman « Madelaine avant l’aube » de Sandrine Collette qui vient d’obtenir le Goncourt des lycéens : même pauvreté, même conditions de vie misérables. On se croirait au Moyen-Age a souligné une lectrice et pourtant nous sommes en 1712, preuve que la vie dans les campagnes n’a évolué que tardivement. De plus, nous sommes dans le Berry, au centre de la France et nous nous souvenons combien même dans les romans de George Sand, la vie était rude, peuplée de personnages maléfiques et mystérieux.
Eh bien, malgré tout ce qui a déplu, ce roman a été apprécié par une grande partie des participants si enthousiastes que la nouvelle venue s’est promis de le lire !
S’il est difficile d’y entrer, on se surprend à aimer ces jumeaux, Barbe et Barnabé, et la plantureuse Hélène, et sa fille Jeanne et les autres personnages. On aime la voix de Barnabé qui chante divinement bien, sa simplicité, son amour pour sa mère (défunte qui lui apparaît auréolée de bleu), sa confiance en la vie ici et ailleurs. On aime Barbe pour son plaisir à devenir femme et surtout pour son instinct maternel : elle parle à son bébé de façon si attendrissante.
Scordatura est un terme musical. Et on trouve beaucoup de musique dans ce roman. La mère est violoniste, Barnabé chante, Barbe fredonne à son bébé.
Scordatura signifie « discordance » Tout est discordance dans ce roman, un roman du double : double puisque des jumeaux , double de Barbe et de la narratrice, double du démon et du dieu, de la misère et de la grâce, de la mort et de la vie.
Tout ceci est servi par un style et une construction admirables.
Par respect pour les convictions de chacun, on n’a pas abordé la question de la religion qui est partout présente dans ce roman.
En conclusion, on a pu aimer ce roman…... mais on ne se hasardera pas à l’offrir … surtout pas pour les fêtes …..