Les soldats  blessés

"L’armée n’aime pas les gens blessés"

 

 

  

 

EXCLU - Les premiers soldats français blessés au front témoignent de leur sentiment 

d'abandon.

2010 est l’année la plus douloureuse pour l’armée française déployée en Afghanistan. La nette recrudescence a fait bondir le nombre de 

soldats blessés, 200 soldats depuis 2007.

La Grande Muette porte bien son nom lorsqu’il s’agit d’évoquer le sort des militaires français blessés au combat en Afghanistan. Or, le 

début d’un malaise se fait ressentir parmi ces militaires, qui ont l’impression d’avoir été oubliés alors même qu’ils sont revenus du front 

mutilés

"L’armée m’a carrément abandonné"

Cette omerta, Chad (son prénom a été modifié) a décidé de la briser en racontant son parcours. Ce militaire âgé de 28 ans a sauté sur une 

bombe artisanale près de Kaboul il y a quelques années.

Sa blessure a été très mal soignée et depuis, il passe ses journées chez lui, oublié de sa hiérarchie et de ses frères d'armes. Un isolement 

et une absence de reconnaissance que ce militaire vit mal.

"L’armée m’a carrément abandonné", déplore-t-il .

Quel suivi psychologique ?

D’autres, même s’ils ne sont pas blessés physiquement, reviennent traumatisés d’Afghanistan. Des séquelles psychologiquement comme 

Norman continue de subir des années après, malgré son expérience : il a servi 17 ans dans l’armée.

En 2005, son véhicule saute sur un engin explosif improvisé. Dix jours d'infirmerie et une oreille droite abîmée plus tard, il retourne en 

France mais n’efface pas ses séquelles psychologiques.

"Je ne pense pas avoir été bien suivi"

L’armée française a depuis pris conscience des lacunes de son accompagnement pour les soldats blessés sur le champ de bataille. Elle a 

ainsi mis en place à Chypre un sas de décompression pour tous les soldats qui reviennent du front. Inspiré de son homologue américain, 

cette étape permet au soldat de mieux tourner la page.

1er janvier 2011, Kevin, 21 ans, retrouve l’appartement familial. Chef de groupe à la Légion étrangère, il attend de devenir français « 

par le sang versé ». Derrière, sa petite sœur, Joyce, 2 ans. | Photo Baptiste Giroudon

En marche pour une reconnaissance

Mais, ce qui fait le plus de mal aux proches de ces tués et de ces blessés, c'est que cette guerre paraît oubliée en France, que personne ne 

mesure ce que ces hommes donnent. .

S

ans pouvoir s’arrêter, il tousse, il tousse, et tout son corps se soulève mécaniquement. « Kevin, voulez-vous un verre d’eau ? » Kevin respire, ­sourit. Oui, il veut bien. A l’aide d’une paille, il en aspire trois, coup sur coup. « C’est à cause de la cigarette », murmure-t-il. Sauf que, ­depuis le 2 juillet dernier, il n’a plus fumé. Il n’a pas non plus marché, ni bougé. Juste sa tête qu’il appuie sur un bouton pour appeler les infirmières. Il a la trace d’un trou dans la gorge, souvenir d’une trachéotomie, le crâne abîmé et marqué de cicatrices. Dans l’espoir de masquer ma gêne, ma voix se fait plus forte : « Kevin, quelles sont les séquelles de votre blessure ? » En articulant, il répond, comme si tout cela n’était rien : « Ma voix a changé, j’ai un déséquilibre de la mobilité, je n’arrive plus à bouger, je vois mal d’un œil. Et c’est tout ! »

La balle a franchi les distances à 800 mètres par seconde avant de se loger dans son casque, faisant exploser sa voûte crânienne. Elle a sectionné la veine qui irrigue les vaisseaux, entraînant une ­paralysie des quatre membres. Les lésions cérébrales lui occasionnent pertes de mémoire et troubles cognitifs. ­Kevin éprouve des difficultés à contrôler ses émotions et passe facilement du rire aux larmes. Il prend des médicaments pour lutter contre les raideurs, éviter les infections urinaires et pulmonaires ou les crises d’épilepsie causées par des morceaux de crâne qui se baladent encore dans son cerveau. Sans oublier les médicaments « pour sourire »…

Kevin a fêté ses 21 ans le 16 octobre, dans sa chambre du service de rééducation de l’hôpital militaire Percy. Il l’occupe encore. Un trait de barbe dessine le contour de son visage. « A l’hôpital, il faut être beau », confie-t-il, malicieux. Les yeux rivés sur les photos accrochées au mur, il rit à l’évocation de sa vie d’avant. Installés sur un fauteuil, trois lions en peluche, dont l’un porte une grande croix en bois, le regardent. « Je suis un lion », affirme Kevin. Ce surnom lui va bien. Il date de l’époque de sa belle tignasse, quand on lui prédisait un radieux avenir de footballeur professionnel. « J’avais ce rêve, dit-il. Mais je me suis mis à traîner. Mon oncle avait fait la Légion. A 18 ans, je me suis engagé. Je ne le regrette pas. »

Au souvenir du corps de son fils inerte sur son lit d’hôpital, les mots de sa maman s’entrechoquent, ses yeux brillants se voilent. Mais par moments, pointe la joie des pronostics déjoués. « Vers minuit, on m’a prévenue que c’était sérieux, que c’était une question d’heures. A 2 heures, je me suis dit : “Tiens, il est 2 heures.” A 6 heures, j’ai pensé : “Eh bien, on dirait qu’on a passé la nuit.” Puis j’ai compté les jours. Je fuyais les médecins. “Laissez-le partir. A vie, il sera un légume”, annonçaient-ils. Kevin n’avait qu’un pic à son électroencéphalogramme. » Sa mère a refusé qu’il soit débranché. Dix-sept jours et dix-sept nuits à le veiller, à organiser des tours pour que ­jamais il ne soit seul. Jusqu’à ce matin, ce « miraculeux matin » où il a ouvert les yeux. Puis cet autre, où il a mimé la parole. « Dieu est tout-puissant », assure cette maman...