AFGHANISTAN

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Afghanistan Sous le feu avec la légion

Notre reporter a suivi une opération du 2e REP et vu tomber plusieurs hommes. Leurs camarades se plaignent des règles de combat qu’on leur impose.

 

Jamais je n’aurais imaginé ce qui m’est arrivé. J’ai atterri le 1er juin à Bagram, la grosse base américaine où tous les pays de la coalition sont représentés. On m’a donné un casque et un gilet pare-balles. Le lendemain, j’ai rejoint un convoi de Vab (véhicules de l’avant blindés) qui se dirigeait sur Tora, la base avancée de la Légion, où il y a également des Bérets rouges. Pendant quatre jours, j’ai pris des photos de la vie du camp et me suis lié avec plusieurs hommes. Le 4, on apprend que l’opération « Altor Libeccio » va être lancée. Il s’agit d’un gros mouvement de troupes destiné à consolider la présence alliée dans le sud de la vallée de Tagab, particulièrement dans la « green zone », la bande de terres fertiles, parce qu’irriguées, où se trouve l’essentiel des villages de la région. Pas question pour autant de faire la guerre « à la russe ».Au contraire, les officiers expliquent qu’on fait désormais des « chouras », des actions où le rapprochement avec les populations locales est l’objectif prioritaire.

Avec l’élimination des « insurgés », bien sûr. Les militaires ne parlent jamais de talibans. Outre les 2e et 3e compagnies du 2e REP, le GTIA (Groupement interarmes) engagé par la France est composé du 1er RHP, du 35e RAP et du 17e RGP. Au total, environ 500 hommes. Un bataillon de l’Ana (Armée nationale afghane) est également de la partie. Deux hélicoptères Tigre et des F-15 américains seront en appui. Je suis content, quelque chose va se passer. Dans l’après-midi, un énorme diorama est installé. Il s’agit d’une maquette géante du terrain sur lequel nous allons intervenir. Les hommes parlent du « bac à sable ». Tout y est représenté, les hameaux, les maisons et le lit des « wabis », rivières asséchées. Des petits drapeaux indiquent les positions ennemies supposées, ainsi que les probables endroits où pourraient être planquées des mines artisanales. Les officiers afghans ont l’air un peu paumés. Alors que le commandant G. voudrait décrire le déroulé des opérations pour les cinq jours futurs, ils sont apparemment incapables d’anticiper la situation sur plus de 24 heures. Ils ne connaissent que les techniques de guérilla, ils n’ont pas lu Clausewitz.

La priorité : se rapprocher des populations locales

5 juin au matin. « Tu vas voir, ça va péter. » Il y a de la tension dans l’air. Les légionnaires nettoient leurs armes, démontent les mitrailleuses, chargent les Vab. Départ vers 16 heures. J’accompagne la 3e compagnie, une centaine d’hommes. La 2e est partie hier soir pour la base avancée de Rocco. Chaque régiment a sa propre ligne de front. Notre but est d’atteindre le Cop 46 : le poste de combat (Combat Outpost) situé sur le 46e parallèle. Il vient d’être rebaptisé Cop Robert Hutnik, en hommage au caporal de 23 ans, d’origine slovaque, qui y a trouvé la mort le 8 avril dernier. « Plus on grimpe, plus c’est dangereux », m’explique le lieutenant L. Il y a de plus en plus de noyaux durs de résistance. La limite de l’intervention des troupes françaises est le Cop 51. Au bout d’une heure et demie de routes et de pistes, on fait halte pour la nuit. On dort par terre près des Vab. Réveil à 2 h 30. Une demi-heure plus tard, nous sommes en vue du village de Shaehwatay, le plus au sud de la « green zone ». Les quatre sections de la compagnie se dispersent.

Les Vab se positionnent de façon à être protégés sur tous les flancs. Les opérations commencent vraiment. Je me retrouve avec la 1re section (« Noire 1 », les « Rouges » sont la 2e compagnie). Elle est commandée par un adjudant biélorusse avec qui j’ai un bon feeling. Les gars sont calmes. Les insurgés attaquent rarement de nuit, car ils savent que les forces alliées disposent de détecteurs thermiques. 9 heures : j’entame ma première patrouille à pied en Afghanistan. C’est assez flippant. Tu pénètres dans le bourg de maisons en terre où le danger peut venir de partout, d’un coin de rue, d’un toit, d’un arbre. A chaque carrefour, la pression monte d’un cran. Il ne se passe rien. Nous rentrons sur nos positions. Les légionnaires vérifient s’il y a du monde dans les champs alentour. C’est l’indice de base : s’il n’y a personne, ça veut dire que quelque chose se trame, les paysans sont au courant et sont partis se mettre à l’abri. Là, c’est la vie normale de la campagne afghane. Seconde patrouille en début d’après-midi. Même calme. Mes compagnons m’expliquent que les insurgés ne passent jamais à l’offensive le premier jour. Ils observent la tactique déployée par les alliés avant de se décider à attaquer ou non. Ils ne se déplacent qu’en petit nombre, pas plus de 15 individus, des « paks », comme disent les légionnaires.

Les rebelles préfèrent combattre en « binôme » ou carrément seuls. Surtout, ils sont dans le décor comme des poissons dans l’eau. Impossible de savoir si les civils sont des amis ou des ennemis. Un pauvre paysan peut se métamorphoser en insurgé en un rien de temps. Et il y a aussi les combattants ouzbeks, tchétchènes, pakistanais, proches d’Al-Qaïda, très motivés, « hard core ». Pour le moment, on achète des bouteilles de Coca qu’on donne aux gamins. C’est la nouvelle doctrine : établir de bons rapports avec les gens du cru. Les hommes s’exécutent, ce sont des professionnels, mais je sens bien qu’ils ne sont pas 100 % OK. « Altor Libeccio » est une opération « civico-militaire », il n’est pas question de parler d’offensive. Les règles d’engagement sont en outre très contraignantes. Pas question de pénétrer dans les maisons pour rechercher des armes. Il est également interdit de tirer sur un homme armé, même s’il est animé de mauvaises intentions. Il faut ­attendre qu’il te canarde pour riposter. Las de son rôle de « libérateur-distributeur de friandises », un soldat me confie : « On ne peut pas gagner une guerre avec les mains accrochées aux couilles. »

« Las d’être un libérateur-distributeur de friandises »

Lundi 7 juin. Toujours rien. En plus, il pleut. Je commence à désespérer. Je demande au capitaine G. si je peux me joindre à la « Noire 4 », qui est stationnée plus près du village. Avec quelques hommes, le lieutenant L. est installé à l’abri d’un muret. On avance, courbés en deux. Nous venions juste de finir de déjeuner quand, tout à coup, ça s’est mis à canarder dur du côté du nord-est. Le lieutenant m’informe qu’il a plusieurs hommes isolés dans les parages. Des « Eagles », des membres du GCP, le groupement de commandos parachutistes du 2e REP. Des bêtes de combat. Alors que les tirs redoublent, le capitaine G. donne l’ordre par radio à la « Noire 4 » de se replier dans ses trois Vab vers l’est du village. L’idée, c’est de surprendre les insurgés par le côté. Une demi-heure plus tard, on s’extrait des véhicules blindés et on pénètre dans Shaehwatay en courant le long des murs. Depuis les Vab, les légionnaires tirent au canon de 20 millimètres et à la 12,7. Ça fait beaucoup de bruit, mais manifestement ça ne suffit pas à calmer l’ardeur des rebelles. Un premier légionnaire tombe devant moi. J’ai juste le temps de shooter, mais nous poursuivons notre course, c’est l’ordre. On pénètre dans une cour, ça « rafale » énormément. Deuxième blessé.

Puis je vois des « Eagles » déboulant d’une ruelle très étroite. Ils sont en train d’évacuer un combattant sur une civière de fortune. Stress maximal. Comme je veux prendre une photo, les légionnaires me l’interdisent sans ménagement. Leur compagnon est mort, tué par une rafale de kalach. ­Tandis que le capitaine G. ordonne de décrocher, dans le ciel, à moins de 100 mètres d’altitude, un F-15 fait un « show force ». Un boucan d’enfer. La bataille a l’air de se calmer. La « Noire 4 », les commandos du GCP et le capitaine attendent que la 2e compagnie (Rouge) ait décroché quand, soudain, une paire d’insurgés, l’un avec une kalach, l’autre avec un RPG-7, nous prennent dans leur ligne de mire. Les légionnaires forment alors une « boule de feu » : ils se mettent tous à tirer en même temps. Là, j’ai vraiment eu peur.

En se repliant, on fait un prisonnier, un drôle de hère en guenilles, au visage couvert d’hématomes et complètement excité. Il est vite calmé. Un mort et trois autres sous-officiers blessés, cinq insurgés tués, c’est le bilan de cette sinistre journée. Il n’y a pas eu la moindre erreur de commandement, seulement une embuscade très bien montée. Les légionnaires en ont gros sur le cœur. L’impression que s’ils pouvaient faire leur métier – se battre, rentrer dans le tas – ce genre d’accrochage fatal n’aurait pas lieu d’être. Pas question, néanmoins, de baisser les bras. Le lendemain, nous retournons au Cop 46 pour montrer à l’ennemi invisible que nous n’avons pas peur. Tout est calme. Je suis toujours avec la « Noire 4 ». Il fait très beau.On informe le lieutenant L. que 20 « paks » armés se cachent dans un « compound » (une maison fortifiée). Les Américains sur place assurent qu’ils peuvent le détruire avec leurs F-15. L’ordre ne sera pas donné. Le 8 juin au soir, la mission « Altor Libeccio » est déclarée achevée. Dans un mois, les hommes du 2e REP regagneront Calvi. Ils seront remplacés par un régiment d’infanterie de l’armée régulière...

 

 

Afghanistan : La chevauchée des “Tigre”

 

Pas question d’augmenter les effectifs. Mais, désormais, les soldats français ont à leur disposition le plus performant des hélicoptères de combat

 

De leur base avancée de Nijrab, les marsouins du 3e RIMa de Vannes regardent deux Kiowa américains. Les hélicoptères foncent vers l’éperon rocheux qui domine la piste, avant de dégager sur le côté. A moins de 1 kilomètre à vol d’oiseau, ce manège ne passe pas inaperçu. « Ils ont repéré une position des insurgés avec une arme lourde », me souffle un officier. Soudain, des rafales de mitrailleuses 12,7. Chaque hélico lâche la sienne. Un bruit gras qui, ici, ne surprend personne. Depuis trois mois qu’ils sont arrivés de la vallée de la Kapisa, les soldats français ont connu le baptême du feu. Deux sont morts dans l’explosion d’une mine. Arrivent deux Caracal. A peine posés, il faut embarquer. Les hélicoptères décollent dans la foulée, le nez vers le sol.

En vol tactique, à 3 mètres au-dessus des rochers, chaque appareil épouse le terrain à 250 km/h. Les touffes d’herbe sont si près qu’il semble possible de les toucher. La routine pour le capitaine de l’escadrille des forces spéciales de Pau et son lieutenant. Derrière eux, deux « gunmen » sont à l’affût, le doigt sur la détente de leur fusil-mitrailleur Herstal, capable de tirer 1 000 coups à la minute à travers le sabord ouvert. Plus loin, deux Tigre nous protègent. Pour la première fois, cet hélicoptère dernier cri est en opération. Les pilotes volent en tandem. Tout à coup, un de nos anges gardiens vire de bord vers Nijrab, d’où nous venons. Cinq minutes après notre atterrissage, le Tigre se pose à son tour. Cinq alvéoles de chaque panier de roquettes accrochées aux deux ailettes de l’appareil sont vides. « Nous avons reçu par radio l’ordre de finir le job des Kiowa, m’explique le chef de bord du Tigre. Ils étaient à la peine avec leurs mitrailleuses. Ce sont eux qui nous ont guidés sur l’objectif : une Dachaka, grosse mitrailleuse russe. Il n’y avait personne autour. On l’a traitée au canon et à la roquette. »

Des canons capables de tirer, en une minute, six obus de 155 mm à 40 kilomètres

« Avec les Tigre, on est rassuré. Au début du mois, s’ils n’avaient pas été là, on serait allés au tapis », me confie son collègue. Cette nuit du 4 septembre, les pilotes ne sont pas près de l’oublier. Ni les commandos cloués au sol par la mitraille ennemie. Tous sont cantonnés à Tora, la base avancée de Surobi, occupée par les légionnaires du 2e REI, le régiment étranger d’infanterie de Nîmes. En août 2008, cette base abritait la section Carmin 2 du 8e RPIMA, décimée dans la vallée d’Uzbin. « Aujourd’hui, la zone est à portée de nos canons Caesar », me dit le colonel Durieux en montrant au loin le début de la vallée maudite. Des canons capables de tirer, en une minute, six énormes obus de 155 mm à 40 kilomètres. Seul problème : en cas d’imbrication de nos hommes avec l’ennemi, le tir devient difficile, sinon impossible. C’est ce qui a failli se passer dans la nuit du 4 septembre dernier.

Né il y a trente et un ans à Monaco, tout au moins sur ses papiers de légionnaire, l’adjudant-chef Roger, dix ans et demi de Légion étrangère, était de cette mission. Je le retrouve avec ses camarades, rassemblés pour écouter Hervé Morin, en tournée des popotes. « Ce n’est pas facile d’expliquer à nos compatriotes pourquoi vous êtes ici, leur dit le ministre. L’Afghanistan est au milieu d’un arc de crise qui commence en Iran, avec son programme nucléaire, et finit avec le Pakistan, ses 180 millions d’habitants et sa bombe atomique. Vous comprenez pourquoi il ne faut pas que l’Afghanistan retombe dans le chaos.

L'adjudant-chef emporte avec lui 61 kilos de matériel

Notre sécurité se joue ici. » L’adjudant-chef Roger acquiesce, même s’il sert d’abord la Légion et ensuite la patrie. Au nom de ce fameux « legio patria nostra », Roger n’a pas cillé quand il a appris sa mission, début septembre. Au contraire. Ne fait-il pas partie du groupe commando du régiment ?

Le 3 septembre, Roger et ses frères d’armes seront déposés sur une crête. Objectif : un village soupçonné d’abriter des rebelles, qu’il faudra observer toute la journée. L’exfiltration est prévue dans la nuit du 4, toujours par les airs. Dix hommes des forces spéciales américaines accompagneront les Français. Roger pressent que, cette fois-ci, c’est du sérieux. Il s’équipe en conséquence. Il emporte une Minimi à canon long, 900 coups par minute, efficace à 1 000 mètres. En fait, ils sont deux légionnaires à disposer de la même arme. « En cas de pépin, ce n’est pas de trop », estime le chef de groupe. Avec ses grenades, son pistolet automatique, sa radio, 5 litres d’eau, des rations pour vingt-quatre heures, ses munitions et sa Minimi, Roger emporte 61 kilos de matériel, habits et rangers compris. « Sur la balance de l’infirmerie, l’aiguille affichait 136 kilos alors que j’en pèse 75 », me dit-il.

Les points d’observation ont été déterminés sur ordinateur par la « coordination 3D ». La préparation des missions s’effectue grâce à des animations en trois dimensions. Légionnaires et commandos savent précisément où ils iront se poster pour scruter le village. A l’heure H, deux Caracal se posent sur la DZ de Tora. Les commandos embarquent en silence. Vingt minutes de vol tactique. Les hélicoptères n’ont pas touché le sol que les hommes sautent déjà. Ils sont une vingtaine. Chaque groupe rejoint sa position. Au lever du jour, tous sont en place. Les renseignements étaient bons, le village est un « nid de frelons ». Les légionnaires observent les allées et venues d’hommes en armes, les groupes qui se forment. Ils accomplissent une parfaite préparation d’objectif.

Les Tigre effectuent des « passes canons »

Leurs images seront précieuses. Elles permettront peut-être de localiser Aboul, Gul, Kotchai, les chefs insurgés, en les comparant avec les clichés que possède déjà le J2, la cellule de renseignement. Si c’est positif, une autre mission sera programmée pour les « neutraliser ». En bas, personne ne s’aperçoit de rien. Mais un grain de sable vient perturber le dispositif : un petit berger qui pousse ses chèvres dans la montagne. Tapis dans les rochers, les commandos sont invisibles. Pas pour les yeux d’un Afghan. « C’est probablement lui qui a donné l’alerte », me dit Roger.

Au crépuscule, Américains et Français reculent vers la crête. Ils ont rendez-vous au milieu de la nuit à un point connu de tous. Soudain, à 0 h 35, claquent les premières rafales. Les insurgés ont préféré l’obscurité pour attaquer. Ou bien attendre le « ftour », la rupture du jeûne, pour s’alimenter. Même si les moudjahidin en djihad peuvent manger pendant le ramadan sans commettre de péché. Roger ne se pose plus de questions. Il riposte avec de courtes rafales, quand il arrive à voir l’ennemi. La montagne résonne du bruit des armes automatiques.

Les commandos se couvrent les uns les autres pour se replier vers la crête. Les insurgés tentent de couper leur retraite en les prenant à revers. A la Minimi de Roger répond une PKM, une mitrailleuse légère fabriquée en ex-Union soviétique. Un Américain est touché à la jambe. Un second prend deux balles dans le casque et une autre dans le dos, arrêtée par la plaque céramique de son gilet. Un quatrième projectile lui perfore la main. Il est sonné mais vivant. Les hélicos français sont au rendez-vous, mais impossible de se poser : au sol, la bataille fait rage. Les commandos leur ordonnent de s’éloigner.

A la base de Tora, le PC est en effervescence. Natacha, la jeune capitaine du contrôle tactique aérien, a perdu son joli sourire. Elle entend les détonations dans la radio du légionnaire chef de groupe qui, dans la fureur des combats, ponctue ses messages de mots d’anglais, sa langue maternelle. Le colonel Durieux est également là. L’opération peut se terminer en catastrophe, comme l’an dernier dans la vallée d’Uzbin. Les rebelles se glissent entre les rochers en rampant, sans qu’on puisse les distinguer dans les lunettes de visée nocturne. Sur les indications des légionnaires, les Tigre effectuent des « passes canons ». Le but : faire « baisser la tête » aux talibans pour que les Caracal puissent se poser. Le capitaine Natacha, elle, prend ses précautions. Elle est dans son rôle.

Si ça dure encore une heure, les Tigre n’auront plus de « pétrole ». Il faudra qu’ils rentrent à Kaboul. Elle lance la procédure pour qu’ils soient remplacés par d’autres appareils, américains cette fois. Hélicoptère Apache, F 16, A 10 tueur de chars, tout sera bon pour desserrer l’étau. Profitant de l’accalmie, les Caracal effectuent un poser d’assaut. A ce moment, une roquette explose à 10 mètres du rotor de queue d’un des deux appareils. Un rebelle, caché derrière un rocher, qui a tiré avec son RPG 7.

`La riposte vient du ciel. Les Tigre « traitent » toute la zone avant de retourner vers Tora. Quand l’adjudant-chef Roger, épuisé, descend du Caracal, il tombe nez à nez avec son chef de corps. Dans son PC, le colonel Durieux ne tenait plus en place. Il est venu attendre ses ­légionnaires sur la piste.

 

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Afghanistan. Le 43e soldat français est tombé

 

Un soldat français, appartenant au 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi (Corse) a été tué lundi dans dans la vallée de Tagab (Nord-Est), par un éclat de roquette.

 

Un sous-officier français du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi (Corse) a payé de sa vie son engagement en Afghanistan. Le soldat français a été tué lundi par un éclat de roquette antichar tirée par des insurgés, a fait savoir un communiqué de l’Elysée, alors qu'«il participait à une mission de couverture» dans le cadre d'«une opération de reconnaissance déclenchée au sud de Tagab», dans l'Est du pays. Tagab est une ville située à une cinquantaine de kilomètres à l'est de Kaboul. C’est le chef-lieu du district de Tagab, dans le Sud de la province de Kapisa, à l’entrée de la vallée d’Alasay, un des endroits les plus dangereux du pays. Et la France, qui a des hommes là-bas, en perd régulièrement sur ce terrain (encore en mai dernier, et quatre en septembre 2009). C’est en outre dans cette région qu’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, les journalistes de France 3, ont été enlevés le 30 décembre dernier.

La mort de ce soldat porte à 43 le nombre de militaires français tués en Afghanistan depuis le déploiement des troupes alliées et le renversement du régime taliban, fin 2001. Ils sont sept Français à avoir péri depuis le début de l’année. Trois autres soldats français ont par ailleurs été blessés dans la même attaque. Les médecins se réservaient sur le pronostic vital de l’un d’entre eux, selon l'amiral Christophe Prazuck, de l'état-major des armées à Paris, tandis que les deux autres ont été «légèrement touchés».

10 soldats de l'Otan tués

Comme le veut la formule consacrée, le chef de l’Etat a fait part dans le communiqué de sa «vive émotion», et présenté à «la famille de la victime et à ses proches ses plus sincères condoléances et s'associe à leur douleur.» «Ses pensées vont également à ses compagnons d'armes», ajoute le document. Mais comme d’habitude, le président a néanmoins réaffirmé son soutien aux autorités et au peuple afghans, et son engagement dans le pays, où l’Hexagone compte 3 750 soldats.

Une dizaine de soldats de l’Otan sont morts en tout dans la seule journée de lundi, ce qui en fait la plus meurtrière depuis le 26 octobre 2009, quand onze soldats avaient été tués. Un porte-parole de la Force internationale d'assistance à la sécurité présente sur place (l’Isaf) a en effet fait état de 10 victimes, dont au moins six Américains -5 tués dans l'explosion d'une mine artisanale dans l'est de l'Afghanistan et un dernier dans une autre déflagration dans le Sud- et deux Australiens -dans l'explosion d'une mine artisanale dans la province d'Uruzgan.

Bientôt l'opération à Kandahar

Au total quelque 245 soldats de l’Isaf auraient péri sur le terrain afghan depuis le 1er janvier 2010, traduisant une augmentation sensible des attaques talibanes. Selon nombre d’observateurs, la recrudescence des violences s’explique en partie comme une réponse à l’opération «Mushtarak» (Ensemble), la plus vaste opération menée par les forces internationales dans la province du Helmand (Sud-Ouest), ainsi qu’à celle qui se prépare à Kandahar (Sud), censée être plus offensive encore. Depuis la mi-février, quelque 15 000 soldats sont déployés dans la ville de Marjah et ses alentours, l’un des fiefs de l’insurrection et du trafic d’opium –principale source de revenus pour les talibans ; ce qui leur permet notamment de se fournir en armes. Quant à Kandahar, il s’agit tout simplement du bastion culturel et intellectuel des activistes islamistes. C’est là que leur mouvement s’est créé ; c’est aussi un point stratégique du fait de sa proximité avec la frontière pakistanaise. La coalition, qui y travaille avec le président Karzaï, espère y rétablir la sécurité et trouver un équilibre entre le gouvernement local, les forces de police, et les anciens des tribus. Mais les forces américaines s'attendent une nouvelle fois à une forte résistance de la part des insurgés.

 

Le contingent en Afghanistan ou le syndrome indochinois

Antoine Fleuret, chef de bataillon, commandant de l'armée de terre

Le caporal Eric a été désigné pour accompagner le rapatriement de son camarade Vincent, mort en Afghanistan. Dans l'avion qui les ramène en métropole, il imagine son arrivée à l'aéroport et les applaudissements comme pour les marines aux Etats-Unis. Il n'en sera rien.

Puis il songe au trajet vers le cimetière et, comme au Canada, il voit de nombreux compatriotes sur le parcours avec des drapeaux et des pancartes de remerciement. Mais il ne distinguera personne. "Ils doivent nous attendre au cimetière", pense-t-il alors.

Son attente sera comblée avec la présence de la famille de Vincent, du ministre de la défense, des notables locaux et des associations d'anciens combattants. Surpris par l'anonymat de ce retour, il apprend alors que les derniers sondages confirment une tendance à l'agnosie au sujet de l'engagement des soldats français en Afghanistan.

Le maréchal de Lattre exprimait en 1951 ses inquiétudes sur l'avenir de la présence française en Indochine, en expliquant qu'il ne pouvait tout résoudre seul et que le corps expéditionnaire avait besoin du soutien du peuple français. Le risque de voir notre pays confronté au même syndrome de distanciation entre les forces engagées en Afghanistan et la population est évident. Il s'agit peut-être même déjà d'une réalité.

Cette comparaison germe pour de nombreux observateurs de l'engagement de l'armée française en Afghanistan. Or cette indifférence manifeste interpelle, car elle pourrait influer à terme sur la pleine efficacité de nos unités.

L'éloignement kilométrique du "pays des Afghans", pourtant moindre que celui qui nous sépare de l'Indochine, constitue une première explication. Mais ce désintérêt s'explique surtout par les difficultés de compréhension des motifs de notre présence sur place.

Nos dirigeants qui ont décidé de cet engagement ont là de véritables efforts de pédagogie et d'explication à produire. Cela est d'autant plus vrai en France, car la population ne distingue pas le soutien à son armée des raisons politiques de l'engagement de cette dernière.

Les Américains, a contrario, supportent infailliblement leurs "boys" malgré les atermoiements des dirigeants politiques pour justifier l'engagement en Irak de 2003 par exemple.

Comme en Indochine, l'opération en Afghanistan a été décidée par un gouvernement élu démocratiquement. Cette mission a été validée par un débat parlementaire après les quatre premiers mois d'engagement. De plus, l'intervention en Afghanistan est mandatée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Il est difficile, de nos jours, de trouver une plus large légitimité.

Les deux opérations ont été et sont menées sans l'apport du contingent. En Extrême-Orient, ce sont les troupes coloniales et la Légion étrangère ; la guerre en Afghanistan est conduite par la jeune armée professionnelle composée de volontaires. Cet argument avancé dans les deux cas pour expliquer la distanciation n'est pas recevable, car ce sont bien des fils de France qui se battent au nom du peuple français. Considérer l'inverse reviendrait à dire que l'armée française n'est pas une émanation de la nation.

Un syndrome indochinois prend donc bien forme pour nos troupes en Afghanistan. L'élément le plus probant se situe au niveau des responsables politiques qui peinent encore à expliquer cet engagement. Or la pérennité de notre engagement conditionne son efficacité.

En outre, l'appui du peuple est vital pour nos forces armées, en particulier dans le domaine psychologique au moment du retour. Le docteur Claude Barrois explique que l'approbation collective constitue un gage majeur de la réintégration pleine et entière des soldats de retour d'opération. Cela permet d'éviter un décalage entre des soldats marqués par un conflit mené au nom de la nation et un pays qui ne s'en préoccupe guère.

L'ignorance et l'oubli sont deux prodromes des crises à venir. Nos dirigeants doivent donc poursuivre leurs efforts d'explication sur notre implication dans la résolution du conflit afghan. Cela permettra aussi de ne pas oublier que le régime taliban, autrefois en place, fut un sanctuaire du terrorisme international.

Cette guerre est bien celle de la France. Il serait paradoxal que la population afghane soutienne de plus en plus la présence de la coalition lui apportant une certaine sécurité, pendant que les opinions des pays engagés se soucient de moins en moins de leurs soldats.

Le caporal Eric vit cela au jour le jour depuis qu'il est retourné en Afghanistan. Il appréhende un peu son retour, alors aidons-le à ce moment, pour lui témoigner le soutien du peuple français et lui permettre de continuer à porter fièrement les armes de son pays.

Antoine Fleuret, chef de bataillon, commandant de l'armée de terre