poésie deMark Braet
traduite du Néerlandais
publications diverses
Ce jeune auteur flamand a débuté en 1950 par "18 pas dans la tempête" et d'après Willem Elsschot, il donnait, dès lors, une forme personnelle à sa colère et àson indignation en face des guerres. Et le critique parlait de virtuosité d'un maître. " De Meridiaan" discernait en "Bagatelles" de 1952, un ton intérieur crispant. L'auteur évoque les pauvres et les opprimés avec un mélange de tendresse et de dureté, précisait "Dietse Warande". Quant à "Variations sur un thème donné" de 1956, Remi Van de Moortel y entend une chanson terrestre pleine de confiance en l'avenir.
I
Conque marine vide
à la coupe de mes lèvres,
par-dessus la rumeur des brisants
tu m'entends raconter,
je te parle en algues
en écume blanche brisée
en étoiles orangées,
mes mains découpent un soleil en papier
un nouveau monde
un conte en couleurs.
Tu continues à bruire
grande conque creuse;
sur la plage de son coeur
tu traduiras mes cantilènes,
elle écoutera toujours
le doux ou-ou de ta voix de sirène
(Adaptation par Walter van Welden)
II
Mais il restait toujours
une photo abandonnée
dans le sombre écrin
de mon souvenir:
un cheval agonisant dans un paysage espagnol
ou un enfant de verre
dans la boue de la guerre
ou une amie dans les flammes bleues d'Auschwitz.
Il y avait toujours quelque part
un négatif
un patron noir et blanc
dans le cauchemar
dans la coix de bras aimés
toujours dans le crépuscule
de mots étouffés.
Et parfois il me semblait
que le vent entrait en moi
comme dans un chardon desséché.
Mais il reste touous quelque part
des hommes dans le tableau
de ma confiance,
et quand je dis combien je les aime
ce n'est pas une pose,
et quand je dis qu'il y a toujours des hommes
il y a toujours de l'espoir et de l'amour,
c'est si simple
et c'est tout.
Et quand je dis
à toi qui me hais,
je ne suis pas des tiens:
tu 'es même pas
un négatif pâle
dans mon souvenir
où tu ne fus jamais.
(Adaptation par Walter van Welden)
III
O de nos rêves le chant majeur
nos rêves qui cherchent leur allure,
de notre coeur ô le murmure
entre nos deux ardeurs.
Tout vient exalter notre joie
dans les jours qui nous mènent,
il n'est plus rien qui freine
le temps qui se déploie.
Les joies vont à nos côtés
et l'amour et la jouissance;
-- vers l'île de désespérance
tous les ponts sont coupés.
(Traduction par Louis Poplemont)
♣ publication dans "Jouvence" mai-juin 1960 (6e année - n°31):
...La poésie de Marc Braet a rejoint celle des plus grands penseurs français contemporains. Elle s'apparente parfois à celle de Paul Eluard quand il se libère de l'oppression nazie qu'il a vécue pendant la guerre, quand il réclame la paix:
sur les cordes du violon,
sur les étoiles et la lune,
sur les portes des écoles,
sur les rêves qui s'évanouissent,
sur la poitrine des camarades,
sur leur coeur qui bat sans arrêt,
sur le chemin que nous avons foulé,
sur le temps qui ne s'arrête nulle part,
j'écris en grand, j'écris en lettres gigantesques,
comme un hymne, comme une prière,
avertissant, flambant, rouge-sang,
seulement cet unique cri du salut: paix.
(traduction libre de Jean Braeckman)
♣ publication dans Revue "Synthèse Littéraire, Artistique et Sociale" 1961 / Templeuve :
Au temps où seul existait l'aujourd'hui
avec le flot enflé d'espérance
et que je te rencontrai
entre les rares minutes
d'un poème.
Je ne puis pas encore te parler
pensai-je, pas encore
dans la brise légère qui guérit,
et le vent noir
brisa ton visage
contres les murs
ainsi que débris de blanfs coquillages.
Si je reviens encore
et tes douces lèvres sont closes
dans le train étroit de la peur,
jamais plus, pensai-je, jamais plus
tu ne pourras marcher avec moi
vers les jours àvenir
avec le flot impétueux du bonheur.
(traduction libre de Walter van Welden)
♣ ANTHOLOGIE DE LA POESIE NEERLANDAISE – Belgique 1830 – 1966 par Maurice Carême, Paris, Bruxelles, Editions Aubier-Montaigne, Asedi, 1967, Prix de la traduction néerlandaise (p. 322 et 323):
MEMENTO
Voor José Soler Fernandez en Martin Gisbert Martinez
Zij traden zonder angst tussen de hoge muren,
en zagen weer de zon door het gekerkerd raam;
zij wisten niet hoe lang het leven nog kon duren,
en zochten op de wand naar een verloren naam.
De dagen gleden heen tussen de lange nachten,
en tussendoor de staven van het tralieraam;
ze hoorden in de gang het lachen van de wachten,
en krasten op de muur de letters van hun naam.
Zij traden zonder angst tot bij de houten palen,
en keken naar de hemel zonder kerkerraam;
er bleven slechts hun levensloze lijven hangen,
en op degrijze muur hun reeds vergeten naam
(Achttien stappen in de storm)
MEMENTO
Pour José Soler Fernandez et Martin Gisbert Martinez
Ils marchèrent sans peur entre les murs très hauts,
revirent le soleil à travers les barreaux;
cherchèrent dans la pierre un nom qui s'effritait
sans savoir combien de temps encore ils vivraient.
Les jours avaient glissé entre des soirs plus longs
que les barreaux des fenêtres aux fers anciens;
ils entendaient le rire gras de leurs gardiens;
sur le mur, ils gravaient les lettres de leur nom.
Ils marchèrent sans peur jusqu'au pied du poteau,
regardèrent le ciel désormais sans barreaux;
alors, il ne resta plus que leurs corps pendus,
et, sur le mur terni, leur nom déjà perdu.
(Dix-huit pas dans la tempête)
♣ publication dans "LE DRAPEAU ROUGE" 30/06/1967:
laisse les paroles en massepain
pour qu'elles s'oublient elles-mêmes
du sang adhère au myrte
et chaque fontaine éveille une élégie
car les fontaines ne dorment pas
et les montagnes gardent encore le mauve
de ce matin docile et jeune
le beau chant de l'arbuste, le rire
du pouillot dans les hauteurs immenses
du sang colle à la terre
chaquepas dégage le désespoir
noircomme de vespérales olives
encore les coqs de verre respendissants sont éveillés
la ville retient l'haleine
pour que l'angoisse ne se déchaine pas
du sang adhère aux moins
l'haleine argentée des fleuves
le vol silencieux de l'engoulevent
le tendre mouvement de la primevère
le chiendent si vivace avec l'hymne
de la mort: tendre, inabordable
quand le ciel montrera-t-il sa vengeance
foncé et violent comme est la foudre ardente
les voix quand elles ne se tairont plus
et se déchaineront en ouragan de fer
car le sang colle à la tête deFédérico
laisse les paroles de massepain
si douces, si comestibles
il y a une autre forte douleur qui brûle
ou visage aveugle, aux doigts mutilés
il y a une autre douleur de sang versé
du sang oublié et de la solitude
(trad. M. Thijs)
♣ publication dans "MARGINALES" 1965 - n° 102:
Mais il restait toujous
une photo
dans la chambre obscure
de ma mémoire
Un cheval mourant
dans un paysage d'Espagne
un enfant transparent
dans la boue de la guerre
une amie
dans les flammes d'Auschwitz.
Toujours il restait un négatif
un schéma noir et blanc
dans le rêve anxieux
dans la croix des bras aimés
dans la pénombre des bruits éteints.
Et parfois
le vent me saisissait
comme un chardon desséché.
Mais il y a toujours des gens qui bougent
dans l'image de mon espoir
et si je dis que je les aime
ce n'est pas de la pose
et si je dis que des hommes vivent toujours
qu'il y a toujours de l'espoir et de l'amour
c'est si simple
etc'est tout à la fois.
Et si je dis
à vous qui me haïssez:
je ne suis pas des vôtres,
vous n'êtes même pas un négatif pâli
dans mon souvenir
vous n'avez jamais existé.
*
Je puis me voir vivre
aux frontières de ton regard
qui bouge avec prudence.
Ainsi sommes-nous
dans les miroirs solitaires
dans le reflet des choses irréelles
toujours semblables à nous-mêmes
avec nos rires et nos larmes.
Je puis m'entendre
dans la voix d'un étranger
à l'horizon de l'harmonie
et me réveiller avidement
dès qu'une question se dénoue.
Je puis toucher le soleil
il est si près aujourd'hui.
*
Ainsi vous le savez
Un train de Juifs traverse vos rêves.
Vousles regardez, ils sont déjà loin
loin de vous
des fils obscurs de l'angoisse.
Un train de Juifs traverse votre coeur
et des roues blanches
monte un chant amer
qui monologue avec les yeux.
Un train de Juifs vous traverse
oiseaux mourants qui nous ressemblent
ils sont déjà loin, loin de vous
dans cette course rapide
écrite avec les lignes d'un chagrin étouffé.
Et celui qui le sait vit dans une maison de verre
dans l'arbre de neige de l'électricité
avec des doigts qui parlent et un visage muet
devant ce monde ouvert comme un poème nouveau.
Un train de Juifs traverse votre maison
vous êtes déjà loin,
et ils nous appellent, et vous êtes déjà très loin,
mais ils vous appellent avec la voix grêle
de leur espoir ballotté par le train.
C'est peut-être leur dernière chanson.
(Adapté du flamand parDavid Scheinert)
♣ publication dans "ASPHALTE" 1970 / Amay:
mais la peur est peut-être en nous-mêmes
: la fenêtre ouverte l'automne qui approche
son double visage au miroir muet
meut-être ne sommes-nous que des mots
prononcés à contresens dans les douces couleurs
de la pénombre un visage transparent
dans la prudente pluie
peut-être sommes-nous plus que simple impatience
voix vaincue et muette
lorsqueje dis maison à tes mains blanches
lorsque je vis chaudement entre tes épaules
la question répétée de tes doigts
recueille le fil des jours
les jours portent des noms étranges
peut-être n'avons-nous peur que du fil
tissé d'une rencontre pour un mot
lu à l'envers
il y a tant de mots avant d'écrire bonheur
car les mots ne sont pas des îles
car nous ne sommes jamais sûrs de la pluie
car tant de bonnes choses remplacent l'amour
car nous sommes sûrs de la mort
avec un visage d'eau de nuit
ah l'eau noire désespérément profonde
plus profonde que le visage de l'eau
sur laquelle court un kangourou d'argent
et je pensais que je dormais tout au fond
mais se lever dormant c'est aller droit
à la mort avec des cheveux éblouissants
et des mots que l'on prononce la nuit
et je pensais ah je pensais que je pensais
mais le matin est pâle dans ma bouche
et ma bouche une tombe nocturne
où gît le mot que j'ai trouvé
(traduction David Scheinert)