Date de publication : Apr 03, 2010 2:19:15 PM
QUESTION : Comment ce fait-il que, malgré l'existence d'un tel niveau de maîtrise et la présence de formidables ingénieurs tels que moi même, les retards soient si courants dans le BTP ?
La question n'était pas exactement celle-ci mais la signification en a été maintenue.
REPONSE(S) : En fait la méthode de construction de planning que je présente s'applique à la partie gros œuvre d'un ouvrage important.
Les travaux
D'abord le gros œuvre seul est rarement suffisant - c'est un eu spartiate - il faut donc l'intervention en coordination de tout les autres corps d'états.
Il y a la un premier gisement de progrès : on s'aperçoit que c'est souvent dans les interfaces entre les corps d'états que se situent les pertes de temps en cours d'exécution.
Les entreprises annoncent leurs délais avec une marge qu'elles ne consomment pas forcément => les suivantes ne sont pas prêtes en temps voulu.
Les corps d'états différents avancent suivant des logiques propres qui ne sont pas forcément celles qui avantagent ceux qui leurs succèdent.
La construction d'un planning TCE => encore un paragraphe à développer et à mettre en ligne.
L'accroissement du recours à la sous traitance augmente ce nombre d'interfaces.
Il faut une entreprise d'une certaine taille pour pouvoir lisser entre eux les différents projets et appliquer dessus une gestion de planning.
En réalité les entreprises gèrent leurs ressources sur l'ensemble des chantiers en cours. En dessous d'un certain volume d'activité elles ne peuvent pas les faire avancer simultanément aux rythmes souhaités.
Le nombre moyen de personnes par entreprises dans le secteur du BTP est entre 3 et 4 : il n'est ni souhaitable ni réaliste d'envisager de ne travailler qu'avec des "gros". Même sur les chantiers importants on retrouve des artisans via la sous traitance.
Ces paramètres existants objectivement ils doivent être pris en compte par les personnes qui coordonnent les interventions des autres entreprises, et ils sont nombreux : de la maîtrise d'œuvre à chaque conducteur de travaux ayant recours à la sous traitance même partielle. Malheureusement il n'y a pas que de bons coordinateurs, même parmi les bons techniciens.
Il n'y a pas non plus QUE des gens sérieux et de bonne volonté. Mais ça c'est l'explication trop facile pour être suffisante.
Le secteur du BTP manque de main d'œuvre. Oui, oui, même en avril 2010, on manque de main d'œuvre sérieuse et formée.
Les études
Sur l'ensemble d'un projet les travaux ne représentent que de 50% à 20% du délai total !
Les autres phases menant à la concrétisation du projet : conception, expression des besoins, études préliminaires, prises de décisions, acquisitions foncières... peuvent durer très longtemps alors même que de l'extérieur le projet a l'air d'être mûr pour un démarrage imminent.
Certain de ces délais sont incompressibles car liés à des obligations légales et administratives.
D'autres sont soumis aux méandres de décisions politiques, localement ou de manière plus large, avec tractations, hésitations et négociations diverses.
Ces difficultés décisionnelles pouvant d'ailleurs remettre en cause les phases précédemment écoulées et rallonger d'autant le délai global.
Deux facteurs jouent globalement contre la rapidité dans cette phase
L'équation financière n'est pas encore fermement établie entre l'investissement - dont on ignore encore le montant exact - et le retour que l'on en espère, qui peut être financier mais aussi en termes d'utilités, de fonctionnalités...
Les coûts engagés lors de ces phases sont plus diffus, moins importants aussi, et moins liés au temps qu'une fois engagée la phase travaux. Lors de celle ci les entreprises adjudicataires des marchés vont effectivement exercer une pression importante pour pouvoir produire - et facturer - chaque mois un montant en lien avec les moyens déployés. Au contraire en phases préliminaires les études vont être payées au coup par coup avec une plus grande maîtrise des dépenses.
La gestion globales du planning
La méthode proposée de création d'un planning de production par lissage des ressources n'est pas incompatible ni contradictoire avec la théorie de la gestion de projet.
Au contraire celle-ci reste prioritaire et déterminante dans ses fondements :
La longueur totale du projet ne peut être inférieure à la plus grande des somme des durées des tâches devant se succéder.
Ainsi les phases de conception + réalisation d'une machine équipant un futur bâtiment peuvent être plus longues que celles du bâtiment lui même.
Et d'autre part les différents chemins critiques interagissent entre eux, pouvant ainsi provoquer des retards supplémentaires : modification des caractéristiques d'accueil de la machine dans notre exemple précédent qui modifie les paramètres de conception de l'infrastructure...
Un exemple
Dans tout ceci il n'y a pas de jugement et encore moins de condamnation de tel ou tel groupe d'acteurs de la construction. Juste le constat de la complexité de prise en compte de nombreux impératifs et intérêts parfois difficilement conciliables. Au point que certain points, a priori largement maîtrisables, deviennent la sources de situation ubuesques.
Ce bâtiment, réalisé dans une grosse ville, dans un beau quartier, par un architecte qui n'en est certainement pas à sa première réalisation, pour un client tout aussi sérieux et par des entreprises de grandes technicité a l'air actuellement bloqué, comme le suggère la signalisation routière.
La façade - on peut aimer ou pas mais elle note quand même d'une certaine recherche architecturale - n'est tout simplement pas pensée pour permettre l'accès des secours en cas d'incendie !
D'où les trames d'ouvertures carrées qui (comment le dire ?) ne s'accordent pas vraiment à l'ensemble.
Est-ce un loupé de l'architecte, de l'entreprise de façades, de l'entreprise générale, du rapport préliminaire du bureau de contrôle, une modification du programme ?
Je ne connaît pas l'opération en détail, mais c'est sûr que le résultat actuel et le visible peu d'avancement du chantier des derniers temps, doivent laisser un goût amer à certain des intervenants.
Conclusion
Je ne pensais pas développer autant pour une telle question mais maintenant on voit que finalement, il est même assez formidable d'être parfois dans les temps prévus à l'origine !