Le Collier de Sucre

Par Brady Santoro


Cinq dames blanches en robes blanches ascensionnèrent la passerelle, voilées contre le flanc funèbre du paquebot. Elles furent pavoisées par des parasols palots et leurs bottines firent des petits sons claquant aux planches ombreuses. Marchant en ligne droite, l’une d’elles sauta spontanément un peu de la rayure et continua à marcher sous les regards durs des autres. Elles arrivèrent au haut et s'assirent au banc du hall, enlevant leurs voiles en dentelle et tripotant avec leurs bottines.

“Est-ce que c’est le meilleur jour à sauter comme un crapaud chaud?” dit la plus âgée d’elles.

“L’existence d’un crapaud est une honte aux grenouilles” répondit la sauteuse.

“Tu n’es pas crapaud, Joséphine" dit l’une des autres femmes.

“Je sens comme du verre."

“T’es sûrement polissonne sale, fille” dit la veille.

“Ne me parlez pas des singes, maman” prononça-t-elle laconiquement, en faisant comme si elle baisserait sa voile encore.

"N'espère pas que tu sois veuve” sa mère lui bela “est-ce que ça semble que je sois béate dans ma situation?”

“Je n’ai pas dit que je suis guenon, j’ai dit que- alors, ils sonnent leur corne, il faut que nous nous mouvions."

La groupe se leva. Leurs bottines noires répandaient des ombre minces à travers le sol.

Je veux un miroir dit Joséphine à l’une des femmes, je suis pas singe. La femme, plusiers ans âgée plus de l’autre, assit avec ses doigts gantées et ses yeux mirent en tombant. Un canapé gouttant au velours les soutenait et elles y creusaient le plus qu’elles y reposaient. Je déteste la mer, a quel point je la déteste pensit la femme en pliant ses mains. La mer est pleine d'âmes mortes.

“À quoi est-ce que tu penses?” demanda Joséphine.

“Je ne pense à rien.”

La mer est pleine d'âmes. La mer sonne avec les palpitations de leurs cœurs morts. La mer est une veine, les flots essaiment, les flaques de la lumière sifflent lentement et font souche vers le tribord.

“Je peux le sentir ici-bas” dit Joséphine.

“Qui?”

“Pas Dieu- il n’est pas avec nous sur ce continent profane.”

“Si seulement il n’existe pas à cause de toi et lui, en perdant la foi, la foi ne cesse d' exister."

“Est-ce qu’il est nécessaire de te moquer de moi?”

“Est-ce qu’il est nécessaire d'être profond tandis qu’on flotte sur l’abîme la plus profonde?”

“Je suis fatiguée.” Elle monta et se retourna vers le mur.

“Veux-tu que je t’accompagne à ta cabine?”

“Ça ne sert à rien d’être seule”

-

La cabine était en lumière d’or et en panneaux de bois qui tenaient la vérité du soleil et la desserraient, la tenaient par la taille nue et la laissaient croupir. Elles étaient aveuglées quand elles l’ont ouvert. Caressant la lie de la phare, elles trouvèrent le lit.

“Veux-tu que je parte?”

“Demeure- je ne suis pas malade”

“Madame Joséphine, tu es malade de soi-même et de sa propre farce”

“Ça semble que je te suis ivrognesse de la rue”

“Je n’ai pas dit-”

“Laveuse folle du quartier, qui marche sur des pieges de ratons, toi”

“Tu es complètement imbue!”

“Que tu oses parler comme ça à une veuve, quelle langue de bile as tu”

“Tu n’es pas veuve, Madame Josephine.”

“Oui, mon mari m’entoure. Je me suis mariée à un mur, comme ça-” elle cogna au mur en bois “plus fort que mon mari, plus dur.”

“Parle-moi de ton mari”

“Alors, il était petit, comme un jeune coq, pas mince et pas gros et avec un nez fade. Ses yeux, ils étaient fades aussi, mais dans la nuit, ils me faisaient peur. Il avait la manière d’avoir un air mort et mourant et il avait une montre de gousset en argent avec un cadran en ivoire indienne qu’il prenait goût à tournoyer quand il avait raison.”

“Quand on a quitté Zanzibar après la mort de Charles, il m’a dit que le passé fut rien et je l’ai cru alors. Mais pourquoi est-ce qu’on quitte encore Zanzibar? À quel point peux-je le croire?”

“Quand il m’a marié, il m’a donné des perles et un collier de sucre. Un collier, fait de vrai sucre. Son père, il cultive la canne, avec deux milles noirs tordus vers sa chaise. Il m’a rappelé des histoires qui lui semblaient fantastiques et à moi fantasmagoriques de la ferme. Son père l’a ordonné, le collier, avec le sucre le plus fin qu’il a choisi, moulu d'être dur et couronne avec un emérald comme la mer. Le matin que je me le suis laissé, j’ai ouvert sa boite et encore je me suis senti jeune et j’ai fermé le couvercle et l'ai caché dans ma robe. Je suis arrivé chez ma mère comme tu peux l'attester, tu sais, dans cette robe si bleue, presque noire, portant ce collier-là et- est-ce que tu te souviens de ce que j’ai dit? Réponds-moi."

La femme n’en souffle mot.

“Bien, le silence encore. Je vous ai dit, Maman, je suis veuve. Et bien rapide, elle m’a reconnu. Elle m’a dit, fille, ne t’habille pas comme la nonne d’antan. Et elle m’a donné seulement les robes blanches comme une blague, comme elle portait et je me sens de plus en plus comme veuve et de moins en moins comme mariée. Mais tu en connais tout que je viens de te dire, mais tu n’es jamais veuve ni femme ni petite fille. Tu étais toujours la vieille dame de vingt ans.”

Il y eut d’une frappe à la porte.

“Je me lève" dit elle.

Le porteur annonça que sa présence avait été demandée pour le dîner.

“Merci, on part."

Elle ferma la porte.

“Je ne veux- à quel point je ne veux- je tremble que je ne veuille, que je sois malade à partir encore.”

“C’est quoi, la cause de ça?”

“Ce dont je parle, c’est de mon mariage."

"Joséphine, tu ne cesses pas d’en parler.”

“Alors, silence. Je vais encore en parler. La nuit après je lui ai été mariée, quand on était en train de prendre la mer à la Grande Île, a Tananarive, notre destination, j'étais enivrée, un peu enivrée, j’avais bu tant de champagne, tant de champagne fine de Marne, il n’avait goutte bu, cette nuit, écoute-moi, cette nuit, la porte est fermée, le lit est défait et je fais comme si je vais me lever pourquoi je ne sais pas. Je me lève, à mi-chemin du lit et à la moment que je suis en train de me lever, sa main, il lève sa main et me saisit, il m’a saisi, par le collier et il me tire au lit, levant des marques sur mon cou, il me tire comme il me noie, vers la mer des draps, le capitaine décapé et nu, me flageller et je m'étouffe, le collier, le sucre surtout, m'étouffe et bien à ma nuit de miel, j’ai été asphyxiée par le collier qui m’est donnée, mis à mon cou, bien, je m’asphyxie sous l’empire de sucre qui tremble sous la main de mon mari, sous la main blanche qu’il me donne. Les rats rongent ma douleur, les dents de serpents s'accrochent à mes seins, ses doigts trouvent mon cou et le brisent. Je me noie dans la mémoire. J’ai su à ce moment-là que je ne pouvais pas le fuir- il me suit maintenant. Mon mari et son empire me suivent. L’Afrique m’attrape. De plus en plus, la mer me délivre. Je ne me soucie pas qu’elle est presque une mer africaine- elle est la leur et pas la mienne- quand elle me frappe, je la refrappe. Je parle comme laveuse-ivrognesse, peut-être que je le suis maintenant. Il n'a rien dit tandis qu’il me battait. Celui m’a rendu peureuse de lui, que quelque chose l’a rendu méphistophélique, que quelque chose pouvait.”

Elle se cessa.

La chambre sonnait du silence.

“Dis quelque chose.”

“Allons dîner, Joséphine" dit la dame, fatiguée.

“Je ne veux pas y aller”

“Alors, va”

Elles se mirent debout ensemble.

-

Le dîner fut frais. La mère, ses cheveux droits comme la loi de la tabernacle, s'était ennuyée en attendant sa fille et la conversation a souffert donc d’une aridité rigide et fatigante.

“Pourquoi as-tu sauté plus tôt, Joséphine?" demanda la mère.

“Je me suis sentie comme un hôte de marque après un long voyage.”

“Tu as toujours des idées particulières de décence."

“C’est le poisson que je suis donnee qui me rend comme ça.”

“On penserait qu’on deviendrait accablé par les charniers de poissons qu’ils nous donnent chaque soirée” dit l’une des dames.

“Tout à la mer me fatigue” soupira la mère.

“Alors pourquoi as-tu choisi un bateau?”

“Je suis trop vieille pour aller en dromadaire à Madagascar. Le Seigneur marchait à la mer, moi, je prends le paquebot.”

“Tous les jours sont Pâques, vraiment, avec cette multiplication constante des poissons, un vrai miracle.”

“Ta bouche fuit avec les mots aqueux- que tu peux nager comme ca, c’est le miracle.”

“Tout est miraculeux à la mer. Je ne me noie pas.”

“Que je me noie” dit Joséphine dans sa chambre.

“Quelquefois tu me fais l'espérer"

“La dernière fois que je l’ai vu, il est tombé si sepulcralement dans la délire. Quand on arrivait à Tananarive, a Tananarive, je descends pour la première fois, il m'amène à la plantation de son père. L’instant qu’il a mis le pied à ce terre, il descendit aussi, il est descendu dans une délire qui ravissait ses lèvres minces en folie. La terre lui appelait et il lui cria. Il parlait comme lèpre à bec-de-lièvre, J’ai étreint à la songe de ne pas le laisser me nuire et je n’en cesse depuis un petit moment. La ventre affamé n’a point de poumons et j'étais bien contente de souffrir sans oser penser. Comme collier, j’avais lest, le sucre qui m'entourait, m’etouffait. Les gouttes de sucre dans mes linges, les gouttes de sucre dans ma thé, les gouttes de sucre qui tombait des yeux de mon mari, les gouttes de sucre qui peignaient les dos des ouvriers, qui poignaient les peaux noirs des ouvriers, pratiquement, pratiquement, esclaves- ah, que j’ais été esclavagiste- je noyais dans les larmes de sucre. Le goût de sucre à ma langue, ma bouche ouverte et forcée, était amère. Je ne buvais goutte de sucre quand j’ai commencé à pourrir. Il enrageait contre toute la terre et j’en étais partie. Il voyait des fantômes le matin et le diable la nuit. La nuit de notre mariage il m’a lu une poésie, merveilleusement une amour m’éteignit- et puis, il m’a frappé. Alors, j’ai trouvé la poésie- elle continue. Ça semble que je t’offre mon coeur, peint comme le mur… bien, je t’ai peint une peinture avec tout le feu qui souffre dans ma poitrine brûlante- je ne sais pas ce qu’il aimait, mais quand on est arrivé à la plantation, cet amour se multipliait ou atténuait tandis que la chaleur de la terre grossissait. La terre a fait folle sa tête. Il n’y a pas eu dix mois depuis quand il m’a marié quand j’ai jeté mes espérances de Tananarive sur terre. Il était fou sans regard pour jour et nuit- après un moment, il cessait ses paroles sauf pour les cris de bête. C'était la terre de son enfance et après qu’il y soit revenu, il est revenu dans le temps quand il babillait et avait sa bouche essuyée par des esclaves. Je l’ai quitté parce que je ne peux être ce dont il a besoin.”

La dame parlit.

“De quoi a-t-il besoin, Joséphine et de quoi est-ce que tu t’es libérée?"

“Je sais que je suis libre parce que je ne sens plus le sucre dans mon corps. Je le sens maintenant parce que c'est ce dont je parle mais je peux laver le sucre de mon corps. Il a besoin d’une maman qui sait ce qui va le rendre paisible. Il a besoin d'être apaisé. La dernière fois que je l’ai vu, il reposa sur les genoux d’une grande femme noire, comme une bonne d’enfants, comme d’antan, pratiquement à sa sein, tranquille comme un mort-né. Je venais de lui chercher à lui dire que j'étais en train de le quitter et je suis arrivée à l' embrasure de porte, je peux voir huit cent pas de marbre ivoirin plus loin de couloir couvert, comme un cadre et à la fin, est-il assis sur les genoux de cette grosse dame. Ce tableau me représente la Madagascar que je connaissais, la faiblesse de toutes sortes. Quand je suis parti, j’ai laissé mon collier au rive de la mer et alors qu’on était en train de partir finalement, j’ai vu le collier dans le sillage, coince, me suivant. Et bien, je reste ici, pas fatigué mais dans mon lit et je me demande, de quoi est-ce que je me suis libérée? Je sais bien, le sucre. Le sucre est dans mon sang, dans mes mots, dans mon corps. Je peux me laver, je peux m’enfuir les îles de la torture mais le sucre demeure. Mon corps et donc ma vie sont fondés tous les deux en sucre, les palais et les champs de sucre, mes vêtements sont faits de sucre- tu peux comprendre pourquoi je courais à ma mère, l’amertume de sa présence m’éveille. Mais tandis que mon mari tombe au sommeil, j’y tombe aussi et avant que je puisse conter mes pas vers Zanzibar encore, je me trouve tirée vers lui, sa main m’éteint et je viens.”


La nuit était chaleureuse et les étoiles étaient brillantes et elles s'asseyaient ensemble jusqu’a l’aube.