La Mort de l'Ambassadeur: Pt. 1

Une histoire par Brady Santoro

J'étais attaché quand l’ambassadeur disparut dans un brouillard épais sur un col alpin. L’ambassadeur haïtien en Belgique n'était pas un personnage auquel notre gouvernement s'intéressait - il était, pour la plupart de sa vie, une personne nulle, une façade pour cacher les activités qui se passaient derrière lui. Son père était quelqu’un d’important, son grand-père était quelqu’un, bien sûr; il naquit avec l'espoir d'être un personnage d’importance et, après une nuit vague, il fit partie du brouillard du gouvernement, englouti dans leur vaste brume. Il disparut comme les autres qui sont les plus médiocres parmi nous. Il n'était plus quelqu’un et moi, Jean-Luc-François-Dumarsais Duval, je suis devenu, sur le coup de minuit, ambassadeur haïtien en Belgique - Je m'y attendais, mais les autres membres du gouvernement ne s'y attendaient pas du tout.

Pour une raison encore inconnue, mon gouvernement ne semblait pas avoir connaissance de mon existence jusqu'à ce que notre bon ambassadeur disparaisse avec sa voiture. A cause de ça, il m’a regardé avec un air suspect pour l’autre moitié de mon existence. Je ne sais pas pourquoi j'étais inconnu (je soupçonne que l’erreur était simplement une erreur, qu’un clerc du gouvernement oublia une fois mon nom et pour la durée de ma position à Saint-Gilles, ne corrigea jamais son omission). Sauf moi et l’ambassadeur, il n’y avait pas une autre personne à l'ambassade; donc, je fus le successeur naturel, prédestiné à être chef de l’ambassade, laquelle était pratiquement un appartement dans les faubourgs de la capitale où la prison était une attraction touristique. Le premier jour de mon poste officiel comme ambassadeur, d’autres ambassadeurs haïtiens (aux Pays-Bas, en France et un autre attaché pour l’ambassade à Belgrade; pourquoi il était avec nous, je ne sais pas) m'ont accueilli. Selon eux, je devais sortir avec eux, pour apprendre le rôle d’un ambassadeur, car «L’union ne peut pas faire sa force sans vous.» L’ambassadeur en France était le premier à sortir avec moi. Nous fûmes conduits à Paris. L’ambassade était au dix-septième arrondissement. Quand je sortis de la voiture, la porte heurta les genoux d’un jeune homme qui était en train de marcher dans la rue. Ne le voyant pas, je continuai à essayer d’ouvrir la porte. Une foule de passants se rassembla devant nous, hurlant et pleurant. Un homme cria, «vous allez le tuer!» et mon hôte, l’ambassadeur, sortit rapidement et après avoir vu le pauvre jeune homme sous ma porte, proclama qu’il était l’ambassadeur haïtien et que son ami était aveugle et sourd et misérable et orphelin et illettré et que la foule devait se disperser car il allait s’occuper de cet homme aux deux jambes cassées. Il se trouve que l’homme était lui-même un bureaucrate sous le premier ministre, et il jura qu'il nous poursuivrait et nous ferait payer pour le mal que je lui avais fait. Mon hôte fut très content de le savoir. Il me quitta sans un autre mot, me laissant à Paris seul et perdu. Silencieusement, je le remerciai très fortement. Je n’ai pas entendu parler de lui encore pendant quelque temps, jusqu'à ce que j’apprenne sept mois plus tard qu'il avait été inculpé par un tribunal français en participant au commerce des antiquités.

Je suis retourné à mon appartement à Saint-Gilles, où j'ai trouvé un nouvel attaché qui était arrivé quand je suis parti. Il me surveilla comme un fils regarde son vieux père. J’ai remarqué tous ses maniérismes, la raie de ses cheveux, la couleur de ses yeux - il ne changeait jamais, un autre bureaucrate comme moi, guinde, poli - et il me fit peur. A la fin de la deuxième semaine, un autre attaché arriva. J'ai commencé à être paranoïaque que le bureaucrate à qui j'avais cassé les jambes avait envoyé ces deux «diplomates» me tuer. Tout le monde qui existait hors les murs de l’ambassade est devenu suspect pour moi; je ne voulais plus sortir de l'établissement, et je ne me sentais même pas sauf dedans.

C’est comme ça que j’eus deux nouveaux attachés sous mon commandement. Apparemment, notre gouvernement ne fut pas content que je vive encore. J'avais deux assassins avec moi et pas d'idée pourquoi. Me tuerait-il, le premier, ou tuerait-il l’autre, qui arriva exactement comme lui? Mon ambassade était vide de visiteurs haïtiens pour la majorité de mon occupation de ses bureaux et ses chaises - la seule personne qui nous rendait visite était le facteur ou l’inspecteur du bâtiment (oubliai-je que l’ambassade était vraiment un appartement et j'étais responsable de payer le loyer?). Une fois, un gaulliste français nous félicita pour le soixantième anniversaire de notre président dans le deuxième mois de mon affection. L’ambassadeur avant moi, l’un qui disparu aux Alpes, le regarda comme un fantôme.

J’habitais au-dessus de l'ambassade dans un autre appartement qui ressemblait à l’ambassade sauf pour un drapeau haitien sur un des murs et un porte-parapluie près de l'entrée. Mon appartement était plutôt dépouillé et couvert par une couche de poussière. Même les mégots des cigarettes d' hier étaient couverts avec une fine poudre. Il sentait légèrement du linge et de la peinture acrylique, comme si les murs étaient peints dans le créneau étroit quand je ne fus pas ambassadeur et l’ambassadeur ne fut plus ambassadeur. Je n'étais pas sur qui aurait pu peindre les chambres quand j'étais parti - mais, tout de même, j'étais un peu persuadé que quelqu’un les peignit quand j'étais parti. Pourquoi on fit ça, je ne sais pas, mais pour une semaine après que j'emménageai, les murs sentaient comme la peinture et le gypse.

Mon appartement était composé de trois chambres. Il y avait un salon-cuisine-vestibule, de taille de vingt pas sur treize. Sur le mur de droit, il y avait la salle de bain et ma chambre, qui était dix pas sur douze - je sais la taille parce que je la mesurai moi-même, avec mes propres pieds les nuits où je ne pouvais pas dormir. Cet appartement était strictement pour l’ambassadeur (c’est ce que notre gouvernement a dit aux tâches administratives); l’attaché habitait au-dessous de l'ambassade.

Le rôle et le sort d’un attaché pour l’ambassade haïtien était mal défini - nous étions censé y être, mais on ne savait pas quoi faire avec notre poste. Pour la durée de mon affection là, je ne fis rien de travail et on ne me paya presque rien. Je dépensais la plupart de mon salaire à payer le loyer et ma nourriture. Je mangeais trop de moules-frites et waterzooï avec mes bocks; et toutes les nuits, je mangeais une forme de pomme de terre et je dormais de ma chaise.

A l’ambassade, il y avait deux chaises devant le grand bureau de l’ambassadeur. Quand j'étais attaché, je m'asseyais à l’un et l’autre était toujours vacant. Je m’asseyais là et fixais l’horloge devant l’ambassadeur tandis que l’ambassadeur lisait le journal. Nous ouvrions l’ambassade a 8h et la fermions à 16h. Pendant que l’ambassade était ouverte, il lisait et je fixais l'horloge et me rongeait les ongles. Maintenant, les deux attachés me regardaient comme je regardais l’ambassadeur avant de moi.

Une nuit, tandis que je me préparais à m’endormir, je sentais une fièvre à mon front. Je m'allongeais et quelque temps après minuit, j’ai pensé que je voyais le premier attaché entrer dans ma chambre et me demandant si j'étais Jean-Luc-François-Dumarsais Duval, l’ambassadeur en Belgique. J’ai fait oui de la tête, trop pétrifié pour faire du son. Il s’est rapproché un peu, et dit très sombrement qu’il devais me tuer. A ce moment, l’autre attaché entra soudainement et commença de me poser la même question comme le premier. En honte, ils me quittèrent silencieusement tous les deux. Je m'aperçus qu’il y avait des petits trous dans mon mur et des cafards roux en train de s’en glisser par eux.

Le matin suivant, les attachés ne dirent rien, comme toujours. Personne ne fit une avance pendant tout l'après-midi jusqu'à 16h, quand on ferma. Je me suis bougé tranquillement vers la porte et j'ai couru dans les escaliers jusqu'à mes chambres. J’ai vite mis mes possessions dans ma valise et je me suis allé soigneusement du batiment, à travers l’ambassade, ou les attachés n'avanceraient pas du tout. Je suis allé au café. J’ai commandé un grand bock et, bien sûr, des moules-frites et waterzooï. J’ai regardé ma réflexion dans ma bière et vis que mes yeux étaient roux - de peur, de fatigue, de ne pas savoir quoi faire maintenant. Je vis un homme qui ne pouvait pas empêcher la mort, mais juste la tromper. Je devais la prolonger encore. En quittant le bar, j’ai quitté la mémoire de Saint-Gilles.

A 19h au soir, le faubourg s'endormit. J’ai retrouvé ma voiture et caché ma valise dans le coffre. Tandis que j'étais en train de la démarrer, j’ai discerné un frappement à la fenêtre. Ce fut le premier attaché, me suppliant d’ouvrir la porte pour lui. J’ai enlevé mon revolver et le lui ai braqué.

«Voulez-vous entrer encore?« je lui dis. Il signa oui. J’ai posé mes armes et il entra dans ma voiture.

«C’est vraiment gentil de votre part,» il énonça. «Où allons-nous?».

«Je vais où je vais aller,« ai-je répondu. Je dus soudainement faire l’ambassadeur rigide comme les autres, dont l’un bientôt mourrait, dont l’un serait transfert en Turquie (un pays plus approprié pour nos intérêts) et l’autre, qui restait à Belgrade jusqu'à la chute de l’URSS, avant qu’il prît sa retraite à Martinique. Il me regarda d’un air ébahi. J’ai poussé un soupir. Comme ça, nous avons commencé notre départ.

Il me dit qu’il s'appelait Sophrone-Pacien-Pascal Chatelaine et qu’il avait vingt ans. Il est né dans le même quartier que moi, comme la plupart des diplomates. Son père était diplomate (le mien était chirurgien), il grandit comme moi, en substance, nous étions deux sur mille personnes qui étaient produites en série par les tontons, par les jésuites, qui ne parlaient jamais sauf pour des malorientations et cheminées. Nous habitions à l'âtre et aux parterres en soie. Nous avons conduit pendant onze heures, de Saint-Gilles à travers la France en espérances d’arriver à Monaco avant le deuxième coucher du soleil. Les routes étaient toutes vides alors que nous conduisions sans cesse. Une chanson à la radio que nous passâmes s’agit d’une personne qui se prit pour Ulysse. Peut-être que j'étais Ulysse, moi, et qu'en bravant la pluie et les beaux temps, Pascal regardait la route avec insistance d’ennui. Peut-être que j'étais Ulysse et lui, mon cheval. Nous passâmes cette chanson cent fois, la houle mélancolique des cordes et la persistance obsédante de la mémoire du dernier ‘moi’ chanté après chaque rotation. Finalement, je ne vis plus mes phalanges devant mes yeux et nous nous arrêtâmes dans un champ de maïs entre Tarare et Affoux. C’est là où nous avons passé la journée à dormir. Je me suis levé à 19h et ai trouvé que nous étions assis au milieu d’un verger des abricots. J’ai secoué Pascal et je lui ai ordonné de regarder les arbres devant nous.

«Voilà, des abricots,» il bailla. «Je m’en souviens de mon enfance. Mon père les mangeait après que nous prenions le petit déjeuner. Il les coupait et enlevait le noyau avec son canif.» Il bâilla encore.

«Voilà, des abricots. Il n'a jamais vu un arbre d’abricots, pas même une feuille ou une branche. Mais je me souviens bien de la petite boite de couleur crème qui arrivait chez nous tous les mardis, avec le cachet du port d’Acre et les mots anglais en grands caractères, FINE PERSIAN APRICOTS, 8 OUNCES. Je cachais mes petits soldats dans cette boite et quand j'étais affecté au Mexique plusieurs mois plus tard, je cachais mes rasoirs dans l’un d’eux, car Marthe les a gardés après-»

Choisissant de ne pas finir sa phrase, Pascal se jeta vers la voiture et ouvrit le coffre. Frénétiquement, il creusa à travers sa valise et retourna avec une boîte colorée dans ses mains. Il jeta quatre ou cinq rasoirs sur le sol. Oniriquement, il cueillit autant d’abricots qu'il pouvait mettre à la boîte. Quand il revint, il y eut huit abricots dorés en deux lignes. Pascal remit la boîte avec ses possessions dans sa valise et ferma le coffre. Tout à coup, il commença à sangloter amèrement. Je lui donnai mon épaule et le consolai alors que le soleil se mit à se coucher derrière les pins osseux.

Il faisait nuit quand nous arrivâmes près de Grenoble. La circulation sur la nouvelle autoroute était si terrible que je dus tourner loin du sud et vers Turin dans l’est. Pascal fut déçu parce qu’il voulut visiter Monaco et Nice, mais je lui ai rassuré que nous étions dévalisés sous la menace d’un couteau si nous sortions de voiture. Pascal m’a dit qu’il ne fut jamais déçu, car il ne voulut pas être tenté par les casinos et des autres lieux immoraux, comme la porte. J'étais perplexe - je lui ai dit pourquoi une porte est un lieu immoral. Il me répondit avec un air impassible que tout le monde savait que le Diable, lui-même, habitait aux portes et sous ponts sombres. J’ai laissé échapper un rire et lui ai dis que sa mère n'était pas une bonne source d’information. Il sembla avoir un air comme s’il allait sangloter à nouveau donc je l’ai consolé encore. Nous avons continué à conduire à travers la nuit et à travers l’Italie. A 6h du matin, je conduisis dans un champ et nous nous endormîmes.