La Mort de l'Ambassadeur Pt. 2

Une histoire par Brady Santoro

Quand je me suis réveillé le soir, le champ était encore un champ, mais nous étions encerclés par des taureaux roux qui furent en train de manger sans bruit. Le soleil se couchait déjà et nous avons dû sortir du champ. J’ai démarré la voiture et secoué Pascal. Ses yeux s'ouvrirent écarquillés de surprise. “Surement je vais mourir” il murmura. C’est alors que j’ai réalisé sa jeunesse, avec ses abricots et sa peur nue. J’ai donné un coup de klaxon aux taureaux. Pas de réponse. J'y ai donné un autre coup. Cette fois, l’arbre devant le troupeau frissonna et une grande colonne noire d’oiseaux montra au ciel, comme un tourbillon de fumée d’une cheminée. Les taureaux n’ont pas bougé. Lentement alors, j’ai conduit à travers le champ. Je pouvais entendre les pneus passer sur l’herbe et les ailes lointaines d’oiseaux. Nous avons enfin échappé quand j’ai trouvé une petite colline sans taureaux et nous continuâmes sur cette route. J’ai demandé à Pascal s'il savait un peu d’italien. Il dit qu’il pouvait en parler un peu, mais sa connaissance était limitée aux conversations sur des animaux et des fruits. Tournant un virage, nous recontrames un fermier avec un tracteur rouillé. Pascal lui demanda où nous étions - on n'avait pas la moindre idée. Il répondit Munt Giardêin et cracha sur le sol.

“Sais-tu où est l’autoroute?” Pascal demanda en italien. L’homme fit un geste avec son pouce.

“Sais-tu où est la police?” Pascal demanda. L’homme dit non avec sa tête. Riant, il ajouta qu’il ne connaissait pas le mot que Pascal avait utilisé. Pascal semblait dérouté. Je me rendis avec lui et j’ai demandé à l’homme ou nous étions avec mon italien putride.

Munt Giardêin” dit-il.

“Et où en Italie est… Mount Jardin?” j’ai soupiré.

L’Itaglia?” il me dit “Quèst paēş, lò l’è San-Marein! Coma, com'è bëla, la libartë, nò ?”

J’ai voulu hurler. J’ai tourné à Pascal et saisi son épaule.

“Qu’est-ce qu’il dit?”

“C’est un dialecte, je pense.”

“Oui, oui, mais qu’est-ce qu’il dit? Une insulte?”

“Non, je pense qu’il dit que nous ne sommes pas en Italie.”

“Alors, où sommes-nous?" j’ai haleté. Pascal le lui a répété en italien. L’homme haussa les épaules et dit la même chose. Pascal m’a tapoté le dos.

“Saint-Marin” dit-il.

“Où sommes-nous?”

“Saint-Marin, le pays. Il dit quelque chose aussi sur la liberté, peut-être. Je ne sais pas si c'était dirigé vers nous.”

Je n'étais pas sûr comment j’allais traverser la frontière pendant la nuit, ni si Saint-Marin était vraiment un pays ou juste un état d’esprit. Cette nuit, j’ai conduit à côté de la mer Adriatique jusqu'à ce que nous arrivions à Otrante. J'étais en train de sortir de la voiture quand j’eus mal à mes jambes - j’avais des crampes terribles qui m’ont fait effondrer sur le trottoir. Pascal m’aida et quand je pus me lever, nous avons glissé à travers le centre ville et au port. Il n'était pas ce que je m’attendais à ce qu’il soit. Il y avait cinq ou six bateaux qui dansaient en silence sur l’eau noire. Silencieusement, nous sommes montés à bord d’un bateau et nous avons coupé la corde. J'étais libéré! J'étais le voilier, j'étais les vagues de violence, vague de désordres - tornade, marée, commandant, libéré d' Haïti et de chaque tonton qui me moulait. J'étais un bélier sur les vagues, j'étais finalement mon propre bateau! Mais, bien sûr, Pascal ne pouvait pas piloter un catamaran.

Un canot est plus facile à utiliser qu’un catamaran. Un catamaran est éprouvant pour les nerfs. Sur une mer agitée, j’ai commencé à nous commander à travers l'Adriatique. Pascal se fixait par la mer impassible. Le bateau était comme une grande voiture, mais volatile et lourde. Après cinq ou six heures, Pascal s’affala sur le pont. Il se plaignait de voir des ombres sur la mer, tâches et étendues des ombres. Je lui dis qu’il n’y aurait pas une ombre s’il n’y avait personne la. Il devint morose et s'affala encore sur le pont. Je me suis concentré sur le gouvernail. Vingt minutes plus tard, il dit encore qu’il vît des ombres, ombres tourbillonnantes et contrites, sur la mer, comme une couche de brouillard ambigu. Je lui dis de cesser ses bêtises avant qu’il se jette du bateau. Il eut l’air peiné. Nous avons continué de naviguer vers l’horizon dans un silence inquiétant. Je me tenais droit à la proue, Pascal allongé sur des planches à goudron. Son corps était apathique, comme un cadavre revenant du purgatoire. Ses poignets étaient si minces, ses bras si décharné, qu'il semblait à moi qu’ils étaient des os sortir de ses manches. Je pris une cigarette de ma poche. Pascal soupira.

“Ne fume pas, s’il te plait” il me dit “la relent me fera vomir.” J’ai allumé sans égard. Pascal se leva. Avec un air exténué, il prit ma cigarette et la jeta à la mer. Puis, il s’affala encore sur le pont. Je me sentais furieux au-delà l’option de langage. J’ai marché en trombe sur le pont, criant des gros mots. Pascal restait comme une flaque. J’ai repris une cigarette de ma poche et Pascal se leva mais cette fois il passa devant moi et montra le doigt à la mer.

“Elles sont encore là-bas." il me dit.

“Qu’y sont?” je le dis.

“Les ombres, les ombres malheureuses, elles sont revenues.”

Je me pencha sur le bastingage. Je ne vis rien.

“Les vois-tu?” il me demanda.

Je ris.

“Pascal, toi, tu es vraiment bête intransigeant.”

“Non, non, nous ne sommes pas seuls!”

“Alors, si nous ne sommes pas ce que tu dis-”

Avec cette rupture d’impertinence, j’ai respiré bruyamment et continué.

“Alors, si nous ne sommes pas ce que tu dis, je cesserai de respirer à tes pieds!”

Comme pour me moquer, la porte de la cabine s'ouvrit et retentit contre le mur. Une cruche vide en forme d’un homme tenant deux pistolets sortit de la porte, avec un bandeau sur ses yeux, titubant comme s’il s’était réveillé curieusement. Pascal cria. J’ai roulé mes yeux.

"Je suis capitaine de mon propre navire!” l’ombre dit au mur avec un accent corse épais. Il mourrait de sa belle morte au milieu d’un navire d’enfants américains. Maintenant, il hurla à un mur. Pascal me fit signe qu’il était fantom. J'ai encore roulé mes yeux, mais cette fois je sentais la terreur dans mon corps. Soudainement, le fantôme disparut dans sa cabine.

Nous sommes arrivés à Leucade après deux nuits de traversée sur l'Adriatique. Pascal fut malade et vomit par-dessus le bastingage tandis que les cloches des églises sonnèrent. Ce fut alors que notre fantôme, Le Capitaine, ressortit. Il semblait accepter qu’il y avait deux Haïtiens sur son navire en complets et cravates froissées. Le Capitaine nous a parlé.

“Il s’appelle Telegono, après mon grand-père. Il est mort pendant la guerre franco-allemande, du cancer du côlon. Je ne l’ai jamais vu - c'était la suggestion de ma mère, il est le sien, il est.”

“Telegono, c’est le nom du bateau ou son nom?” Pascal me chuchota.

“Tu sais bien la réponse" je lui dit.

Le Capitaine prit sa retraite à la cabine et à 7h du matin nous pouvions voir la ville de Leucade. Pascal resta allongé sur le pont comme une anguille morte. J'ai amarré des chaînes aux pierres et sortit du bateau. J’eus encore mal à mes jambes - putain de crampes! Je ne savais pas où j'étais (j’ai appris qu’on était à Leucade quand j’ai commencé à écrire ce conte) et après avoir demandé à plusieurs personnes sur une plage, j’ai trouvé un dépôt de bus pour m’envoyer au consulat tchécoslovaque à Corfou. Au crépuscule, je me suis rendu compte de ma faim sauvage. Je me suis faufilé au village ou j’ai mangé un peu à la taverne. Le Capitaine et Pascal y chantaient une chanson de mauvais goût que je fus surpris que Pascal connaissait.

Laisse porter jusqu'à son bord,

Pour voir qui sera le plus fort

Je suis retourné au bateau et j'ai regardé la fin du coucher du soleil. Les rides jaunes et mauves sur la mer etaient comme des traces en train de disparaître au vide a la mer Ionienne. Je m’apercevais des couleurs et de l’absence des crises de bruit. Les arbres trépidaient, les vagues soupiraient, le vent soufflait. Je pensais à Homère.

Vous êtes donc doublement mortels

Puisque tous les autres hommes ne meurent qu'une fois

Le Capitaine et Pascal retournèrent à minuit. J’ai démarré les chaînes et nous sommes partis à nouveau sur la mer. Des bouées orange et gris ondoyaient et nous passaient. De l'obscurité complète, un vaisseau sortit vers nous. Je me suis tourné loin de ce vaisseau, vers l'île. Il me suivit comme une hyène. Ses projecteurs brûlaient mes yeux et j’ai été rattrapé à son sillage. Pascal était correct- il y avait des ombres sur la mer.

Quelqu’un nous cria du vaisseau. J’ai tourné le bateau. Un fusil tira. J'ai encore tourné. Il y eut le son faible d'une radio. Les mouvements forcenés ont éveillé Pascal, qui porta Le Capitaine de la cabine comme un invalide de guerre et à la proue. Le Capitaine marmotta des niaiseries nautiques et Pascal sembla être malade. Je jetai les yeux furieusement vers la mer et les douces lames de la lune, pour qui l'humanité se noyait et ramassait de petits pétales de jolies fleurs. Des bouées ondoyaient et me passaient encore. Une brume fine fut poussée par le vent vers nous. Je pus voir le brouillard de la terre. Le vaisseau nous suivit toujours. De la brume, deux rochers ont émergé de la mer, drapés en brume comme un linceul argenté.

“Attention! Attention!” Pascal cria “Prend garde des rochers, on va mourir!”

“Ah, mon bon ami” je lui dis “je ne m’en soucie plus.”

La mer fut impassible quand on a frappé les rochers.