Les Noces à Gaithersberg

Par Brady Santoro

Si je suis bien permis d’être un peu loquace, je jure que ma cousine, ou franchement, la fille de la cousine, ou franchement encore, la fille de la fille de la quasi-cousine de ma grand-mère (qui fut aussi, c’est-à-dire, la mère de la mère de la fille, et, si je ne suis pas peu clair, la meilleure copine de mon arriere-grand-mère, et franchement, la tante de ma grand-mère - et qui, à vrai dire, fut très peu de moi pour la bonne raison qu’elle est morte depuis quinze ans et que je ne lui avais jamais rendu visite, pour la bonne raison encore que je sois trop jeune et elle habitait trop loin et ma mère était enceinte ou malade ces jours-là et franchement mon père ne se souciait pas d’elle; bien, il se souciait, mais pas tant que ça) - elle, ma cousine ou ma quasi-cousine ou comme dit Le Petit Robert du souvenir vénérable, ma cousine-remuée-de-germain, elle, je le jure, était fiancée depuis deux mille ans jusqu’à un jour quand, dans une explosion de salpetre, on a entendu dire qu’elle allait se marier avec le bonhomme à qui elle, ces années-là quand le monde était simple devant le visage du feu et je n’existais point, s’était fiancée au pied enneigé de Mt. Hood et personne n’a ri car on a su à ce moment-là qu'il n’y aurait pas de question d’y aller. Ma mère, elle, s’est lancée à trouver un costume et de bonnes chaussures et mon grand-père a acheté des cravates appropriées pour des noces qui sont bien attendues et après un été de chaleur sec et inexorable. On a reçu une carte postale de la mère de la future mariée qui nous a invités à la messe et la célébration après pour le contrat conjugale et civil sous l'égide vigilante de tous les gardiens naturels, temporels et spirituels qui avec nous célèbrent des fêtes du bonheur, et de la joie programmée au calendrier de la cuisine. Donc, du 27 août à l’époque insipide de deux mille vingt-sept ans après la vie sacrée et celibataire de JC, on est parti de notre maison et avec le reste de mes frères et mes sœurs, on a suivi la grande corde de l’autoroute vers le tout milieu de Maryland.

Comme le reste de cette histoire, un sacrifice des entrailles emmêlées alentour d’un petit pain de proposition, l’autoroute fut un vieux monsieur essayant de se trouver au milieu d’un embouteillage de cavaliers. Tout dans ma vie semble durer deux mille ans. Et bien, on est arrivé deux mille ans trop en retard aux noces. L'hôtel, plein d’émanations des flambeurs et des nécromanciennes aux peaux moulants, était généralement vide, sauf pour des hommes chauves aux chiens en acajou éréthismique, rendus sans sommeil par la fumée et des pincements cardio-vasculaires qui les ont mis a ce coma d’éréthisme perpétuelle, des enfants peut-être perdus, qui couraient comme des éléphants autour du hall et bien sûr, le veilleur de nuit adolescent et bien endormi. On a sonné sa petite cloche de bureau avant qu’il se soit réveillé et nous a donné les clés. A ce moment-là, il était presque onze heures du soir et on était censé rejoindre les tantes et les oncles au salon privé, mais on est allé au lit sans s'intéresser, et on s’est réveillé de même le lendemain.

Bien, le beau jour de belles noces: comme c’est joli! Il n’a pas plu ce jour et les nuages avaient été dissipés la nuit dernière par les ailes lapis-lazulis des archanges. L’été s’attenuait avec un coup à la tête et le jour nous a accueillis avec une étreinte distante. Le matin s'éveillait lentement et c'était pendant ces heures qu’on a découvert la ville de Gaithersberg. Comme un tapis clignotant et débranché, elle s'allongeait cocassement devant moi à la lumière douce du matin. Elle ne semblait pas une véritable ville, à mon avis: plutôt une ville-imposteuse, perpétrée par les fabricants du plastique qui habitaient un paradis de faux étangs. L’herbe était trop verte, l’eau était trop claire, les gens qui se promenaient, trop minces et trop anonymes. Les citadins paraissaient mis à la promenade de planches par un main imperceptible et remontés à marcher affamés comme un morse perfide à travers un parterre des clous. En noir et néon, ils passaient tandis qu’on se reveillait. La partie de la mariée est sortie à la messe à 11h et nous sommes tous retournés à l'hôtel quelques minutes après le midi. La famille du mari n’avait pas de confession romaine; avant que je me sois réveillé, elle est partie pour une assemblée presbytérienne. Mon père et moi, nous avons fait une promenade cet après-midi pendant le trou de temps après la messe. Mon père et le reste du monde, ils ne parlèrent aucun mot. J’avais vingt-deux ans et j’ai partagé une chambre d'hôtel avec toute ma famille: ma mère, mon père, mes trois frères et ma sœur - une chambre! Je me suis promené avec lui dans un vacarme silencieux. Le ventre de la ville engloutissait mon silence et le lui crachait, comme si enflammé par l’amertume gastritique de nos pas désossés. Je ne voulais pas parler avec lui mais mes frères ont dissipé et ma mère et ma soeur, elles s’occupaient a s’arranger leurs robes tout en se parlant comme petites filles. Nous nous promenions autour de l'étang effilé lentement, l’haleine de mon père a mon dos.

«Bien, fiston, comment vas-tu?» il m’a dit lourdement. Sa voix a sonné comme si elle était coincée dans une grotte sibylline et elle n’y a pas voulu sortir. J’ai haussé les épaules.

«Je m’en souviens,» il a grogné trop de suite sans intonation.

«De quoi te souviens-tu?» J'ai dit sans intérêt en regardant les cygnes qui me semblaient s'être déplacés dans le milieu d’un faux étang.

«La jeunesse, la jouvence, la bagatelle de jeunes années, quand tout est le sien. Tu me comprends?»

J’ai encore haussé les épaules. Nous traversâmes un pont bas par-dessus le faux étang.

«Qu’est-ce que tu vas faire cette semaine?» Je les ai haussés. Il trébucha sous le fer du silence. Je me redressai. Son corps sembla devenir dur.

«Parle-moi» il m’a demandé.

«Papa, j’ai rien a te dire.»

«Rien n’est qu’un mot déformé. J'espère que t’as pas de mots laids pour moi.»

«Ah, papa, j’ai pas de mots pour toi.» Je l’ai aveuglé. Comme une lâche descendant de la tour laquée, je l’essayais faire choir devant moi avec des mots amers et courts. La somme de mes mots me semblait irisée.

«Fiston, que détestes-tu de moi?»

Je suis resté raide. Il m’a regardé avec les yeux durs, comme la peau brûlée de l’eau certaine. Moi, j’ai été bien incertain. Sa façon de bêtise et d’aspiration flottement, sa façon de marcher obliquement, sa façon de rien-dire aux phrases d’autres comme s’ils étaient le bas de ses chaussures. L’essence - la vraie essence du mot ‘fiston’- ca, ca explique tout, ce dont je sentais - mais il n’y avait rien de la moelle dans l’os que je l’ai jeté comme un experiment ennuyeuse. Dans la vie, il est essentiel qu’on tienne quelque chose détestable devant nos petits yeux, comme l'écriture au revers d’une petite cuillère trempée de thé laiteuse. Ma hure fut vide.

«Je ne te déteste pas,» j’ai dit avec un air de finalité.

«Pourquoi penses-tu que tu peux?»

«Je sais que je ne peux»

On est monté en haut du pont. Les cygnes se sont décollés et sont passés nos têtes sans remords. Ils n’ont pas peur de l’herbe trop verte et des bans de mariage et des devinettes aux nuages. Il faut qu’on fasse la crainte ici-bas. La bonhomie de la saleté de la terre est détruite par l'obscénité d’une ciel dépouillée. Avant que la déluge, le monde soit massacrant; après, il fut nu. Le pont se balançait âprement. On est descendus.

Au retour à l'hôtel, la ville fut vide. Je la connaissais bien. Les gens me passaient et se parlaient et se consacraient leur argent sans penser. Je ne pensais pas non plus. Je n’ai pas pu. Je n’ai rien pu faire. Il n’y a rien que je pouvais faire. Qu’est-ce qui en était de résister? Le filet du monde et des cousins nous a dégagé. Nous nous sommes tous séparés, de l’existence des autres, un nuage On se regarde comme l’animal regarde son domaine. Le monde est bien étrange et alambiqué. Il est facile d’y noyer, dans ce monde de silence.

Je suis retourné à l'hôtel. J’ai oublié mon père au pont et l’a trouvé plus tard avec un café comme s’il s'était perdu. J’ai fait ma retraite à la chambre. Ma mère et ma soeur ont disparu. J’ai défait ma valise sur le tapis de la chambre, et puis je l’ai fait encore. La cérémonie allait commencer dans trop peu de temps. Je me suis rhabillé dans mon costume et voila, l’heure est venue et nous sommes partis ensemble encore, ma valise faite pour le soir.