Événements de guerre
Dans les premiers mois de la deuxième Guerre Mondiale, la direction de la Filature d'Erstein a reçu l'ordre des Autorités Françaises d'organiser son repli au-delà de la ligne des Vosges.
Au mois de mai 1939 déjà, des contacts avaient été établis par Robert-Édouard Vogel avec les établissements Henri Schacht à Saint Aubin les Elbeuf en Seine-Maritime.
Le 18 mars 1940, un contrat a été signé entre les deux sociétés qui stipule que la Filature d'Erstein apporte aux Ets. Schacht un parc de machines d'une valeur de 3 Millions de Francs en échange de 12 000 actions de ladite société. A voir : Usine Henri Schacht
Les machines sont démontées dans la foulée et transférées à Saint-Aubin-les-Elbeuf pour être stockées dans un hangar.
Au mois d'aout 1940, le P-DG, Robert E. Vogel se réfugie en France libre.
Un mois plus tard, René Joannes est nommé directeur de la société repliée à Elbeuf, tandis que l'administration allemande place à la direction de l'usine d'Erstein, d'abord, le 30 juillet 1940, Alexandre Vogt, puis, le 31 octobre 1940, Hermann Merx, commissaires provisoires de la société.
Pendant 80 ans, la Filature d'Erstein n'a pas à subir les calamités de la guerre.
Durant celles de 1870 et de 1914-1918, il n'y a eu que des soldats en cantonnement de passage dans ses bâtiments.
La Deuxième Guerre Mondiale, par contre, s'est durement fait sentir. Les jours malheureux ont commencé en juin 1940, lorsque des soldats de l'armée française, qui battait en retraite, ont fait sauter les ponts, tours et autres ouvrages stratégiques.
La majestueuse cheminée de 60 mètres de haut qui domine toute l'usine, devait subir le même sort : elle était déjà entourée d'une charge de 100 kg d'explosif !
Heureusement ce projet n'a pas été mis à exécution grâce à l'intervention énergique d'Alexandre Vogt, alors chef de service, et d'un soldat Alsacien ayant fait partie du commando chargé de cette besogne.
Les premiers dégâts ont été causés aux bâtiments le 14 juin 1940, quand le pont en béton armé sur l'Ill a sauté, à environ 300 mètres de l'usine.
Après l'explosion une véritable pluie de pierres est tombée sur les toitures, brisant un grand nombre de tuiles et près de 270 m2 de vitrages.
Un bloc de 50 kg a percé le toit de la carderie et abimé deux cardes. Un morceau de rail de tramway pesant quelques 100 kg a traversé un shed et endommagé deux continus à filer.
Dégâts du 14 juin 1940 aux continus à filer. (Archives de la Ville d'Erstein)
Elbeuf
Trois jours plus tard, mais à Elbeuf, le 17 juin 1940, un incendie a détruit une grande partie des machines mises à l'abri, à savoir :
Un assortiment de préparation complet, 11 machines de préparation du 1er passage, 10 cardes, 24 peigneuses, et une batterie de lavage.
La cause du sinistre qui n'a jamais été établie de façon incontestable, a tantôt été attribuée à la combustion spontanée de laine qui se trouvait dans un bâtiment voisin, tantôt à des éclats d'obus tirés par l'artillerie allemande.
Les compagnies d'assurance qui couvraient ce risque avaient tout d'abord bien l'intention de payer une indemnité, mais elles ont refusé ensuite en invoquant le fait de guerre.
Les autorités allemandes, auxquelles le cas fut soumis, ont bien reconnu le fait de guerre, mais elles n'ont dédommagé que 28,51 % de la facture, la partie du capital social représenté par les "Reichs-Deutsche" (Allemands du Reich) soit 66 490 Reichsmarks.
L'État Français qui fut également saisi de cette affaire n'a pas reconnu le fait de guerre, de sorte que la Filature a été obligée de prendre les autres 71,49% entièrement à sa charge.
Les quelques rares machines qui avaient pu être épargnées de cet incendie, ainsi qu'un grand tas de ferrailles noircies ont été rapatriées à Erstein en mai 1942, où d'habiles et patients mécaniciens ont pu en reconstruire quelques peigneuses.
Ce qu'il reste des machines d'Elbeuf (Archives de la Ville d'Erstein)
Diverses pièces éparses...
On distingue des tambours de cardes sous la neige...
Le tri final. Le mur du fond est un vestige du magasin détruit par l'incendie du 23 août 1941 (voir ci-dessous).
Incendie : Le 23 aout 1941, à 11 heures du soir, le feu a pris naissance dans un magasin en bordure de la rue du Général de Gaulle, près des garages à bicyclettes, et s'est étendu au réfectoire attenant. Les deux bâtiments ont été détruits, probablement à cause d'un soldat ayant fumé en cachette.
La bonne action d'Etienne Buchmann
Il convient de citer, ne serait-ce qu'à titre d'exemple, la belle action de l'ancien ouvrier Etienne Buchmann (décédé le 21-10-1955) qui, par un désintéressement complet, a grandement contribué à améliorer le sort peu enviable des soldats français, qui ont été faits prisonniers en 1940.
L'événement se situe en juin / juillet 1940 quand, au cours de débâcle de l'armée française, des centaines de milliers de soldats français tombent, comme prisonniers de guerre, entre les mains des Allemands pour être dirigés sur le Reich, en captivité.
Près de 150.000 hommes passent ainsi par Erstein sur le chemin les menant de l'autre côté du Rhin.
L'usine avec sa cour spacieuse sert de camp de passage improvisé.
Les Allemands négligeant de subvenir, même modestement, aux besoins d'un si grand nombre de soldats, un service bénévole s'installe dans la cour de l'usine où, à l'initiative du directeur Alexandre Vogt et de son épouse l'on met en activité 4 grosses chaudières pour préparer des repas chauds devant être distribués aux soldats harassés de fatigue.
Beaucoup de volontaires de la Ville d'Erstein prêtent leur concours à cette œuvre de bienfaisance.
Etienne Buchmann, à qui ces soldats exténués et affamés font particulièrement pitié, s'empare de sa voiture à 4 roues, puis fit de sa propre initiative, la collecte de vivres en passant de maison en maison.
Il réussit ainsi à ramasser sur son chariot toutes sortes de vivres, tels que pommes de terre, pains, légumes, pâtes alimentaires, viande fraîche, lard fumé etc., qu'il transporte dans la cour de l'usine pour approvisionner ses protégés.
C'est pendant 21 jours consécutifs que Buchmann se livre, du matin au soir, à cette action. Malgré les grandes chaleurs qui sévissent à l'époque, Buchmann tire sa voiture jusqu'à Osthouse, village situé à 3 Km d'Erstein, pour y faire la même collecte.
Il en revient avec un chargement de vivres complet, de même qu'avec une somme d'argent qui lui a été remise au Château d'Osthouse pour les "Pauvres Soldats".
Le susnommé réussit ainsi à recueillir 5 000 Francs, somme qui a servi à acheter des produits alimentaires pour les prisonniers.
Cette bonne action mérite d'être évoquée d'autant plus que Buchmann était déjà à moitié aveugle quand il a fait le Bon Samaritain.
Ajoutons que les cinq sœurs de l'ancienne crèche de la Filature ont pris une part très active au ravitaillement des infortunés soldats, et bien sûr les époux Vogt ainsi que le personnel de la filature.
Leur fille, Hélène Georger-Vogt, m'a permis de reproduire ces images prises par son père Alexandre Vogt. J'ai été obligé d'en sélectionner quelques-unes, car il y en a 56 en tout. Les autres sont visibles ICI
Arrivée des prisonniers par la rue du Gal de Gaulle
Entrée à la Filature
Distribution de pain à la boulangerie
La cantine improvisée dans la cour de la filature
Vue du magasin qui a brûlé le 23 août 1941
Au centre : Hélène et Georgette Vogt née Kintz
Toutes ces photos m'ont été aimablement prêtées par Hélène Georger-Vogt
Hélène Vogt se rappelle : "Pour le ravitaillement des soldats, mes parents avaient organisé une cantine : Les chaudières étaient en réalité des grandes lessiveuses de la quincaillerie Meyer. J'avais 13-14 ans, j''ai été chargée de chercher des épices, du sel, et des légumes chez Fuchs le jardinier. Les jardiniers amateurs en ont fourni des brassées, pour faire une soupe réconfortante avec la viande qu'Etienne Buchmann apportait. Les soldats ont bien apprécié, malgré la chaleur…"
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