La fin de semaine s'annonçait fiévreuse. Dans le petit utilitaire de gitan sédentaire, l'odeur douce des aliments chauffés par une demi-journée au soleil se mélangeait aux effluves empyreumatiques du caouach. Ah ! l'odeur du caouach ! Cette odeur de néoprène et de caoutchouc qui embaume les lieux de stockage du matériel de plongée, promesse de plongées futures et souvenirs d'histoires sous-marines, jonchées de solides amitiés, d'anecdotes extraordinaires et d'aventures ... A cinq heures, nous nous retrouvions, au milieu des touristes endormis, comme une équipe de voleurs de poules fomentant un mauvais coup !
Mais quelques plongeurs, fort sympathiques au demeurant, étaient aux abonnés absents. Maudissant ces oublieux, et après quelques coups de téléphone, la petite troupe de manquants arriva, la tête dans le cul, mais basse cependant, prétextant honteusement moult aventures, et dissertant en particulier sur l'existence d'une distorsion spatio-temporelle dans le secteur du camping de Cerbère ! Ils s'équipèrent néanmoins honorablement, malgré la pression et les quolibets de leurs camarades, et nous nous retrouvions dans l'eau noire en un éclair !
La plongée de l'aube est une plongée d'ambiance qui ravit les contemplatifs : on passe des ténèbres à la lumière, du néant à la vie ; l'eau noire et inhabitée de la fin de la nuit laisse pénétrer une lumière rasante et douce ; alors, les girelles deviennent girondes, les rougets rougissent, les poulpes pouponnent, et les transats tlantiquent ...Tandis que tout ce petit monde s'agite autour des roches devenues roses ou bleu pastel, les mauvais garçons, loups et barracudas, rodent, faméliques, espérant une proie facile ... Car c'est la dure loi de la nature : croquer avant de se faire croquer !
Mais revenons à notre palette de couleurs, à cette interface air-eau, étrange au lever du soleil comme une peinture de Turner, belle comme un poème de Rimbaud :
"Et dès lors je me suis baigné dans le Poème de la mer, infusé d'astres, et lactescent, dévorant les azurs verts, où , flottaison blême et ravie, un noyé pensif parfois descend ".
A la sortie de l'eau, tout est calme, les impressions sont vagues, les esprits semblent embrumés. Certains ont vu des poissons, certes, mais là n'est pas le principal... Les images et les couleurs sont dans la tête, et se rattachent à l'intime, au ressenti. C'est difficile d' exprimer un spectacle éphémère ! C'est peut être la nostalgie qui nous saisira, quand, dans bien des années, nous repenserons à cette plongée de l'aube !
Sortis de l'eau vers sept heures, nous enchaînions sur une séance d'apnée à huit heures, heure à laquelle les plongeurs qui partaient se coucher croisaient les apnéistes qui se réveillaient ! Parmi nous, certains irréductibles commençaient à trouver que malgré l'heure matinale, la journée commençait à être bien remplie...
L'apnée est vraiment une discipline du silence, On y apprend avant tout à respirer et à se relaxer... on y apprend à ressentir les mouvements de ce muscle mystérieux qu'est le diaphragme, accroché aux côtes et aux vertèbres, véritable piston respiratoire, qui douze fois par minute repousse les organes abdominaux, puis passivement pousse l'air des poumons.
Alors nous déclinâmes, comme une litanie, l'apnée expiratoire, contre nature et complexe, l'apnée statique, rassurante et dangereuse et l'apnée en poids constant des pêcheurs de perles.
Pour le plongeur bouteille, l'apnée apporte énormément de compétences d'immersion, de flottabilité, de compréhension de l'équilibre dans l'eau, de précision dans les déplacements et le lestage : les apnéistes font rarement de mauvais plongeurs !
Après une sieste bien méritée pour certains, nous retrouvions la sympathique équipe du Cap Cerbère, pour une plongée sans histoire, et sans visibilité non plus ... Néanmoins, les mérous étaient au rendez-vous, malgré l'heure tardive, et, entre deux remontées techniques nous les apercevions à l'abri d'un rocher.
La soirée s'annonçait prometteuse car les irréductibles plongeurs avaient prévu un festin improvisé. Le feu fut prestement allumé par l'ancien du "3", à la redoutable efficacité.
Les rôtisseurs s'activèrent, tandis que les bouchers découpaient, que les échansons versaient vins et bières et buvaient sec.
Les mandibules claquaient, les gosiers glougloutaient, et chacun tapait dans les plats à grand coup de couteau, attrapant les saucisses à pleine main, les morceaux de canard au vol, engloutissant des tartes, des quiches, des brochettes, des tartelettes, des fromages, et pour finir, il faut l'avouer, quelques alcools forts. Mais ce n'était pas fini ! Certains s'étaient mis en tête de faire de la musique et même de chanter ! Heureusement, les musiciens ne finirent pas comme le barde dans Astérix (d'ailleurs, il n'y avait pas encore de sanglier !), preuve que les plongeurs, dans leur mansuétude, ne sont pas trop à cheval sur les interprétations les plus étranges !
La nuit fut calme et réparatrice pour la plupart d'entre nous... Sauf que, brusquement, le razorback du camping de Cerbère, s'invita au campement de la famille Granveau. Sanglier en voie de domestication, ou à la recherche de l'amitié des hommes, comme disent les végans, il défonça la glacière, essaya de charger Jean-Marc, et finit par s'évanouir dans la nuit ...
Les plongées du dimanche furent des plus classiques, et, la clarté de l'eau s’améliorant, la mer nous révéla quelques belles surprises !
Pour ma part je fis la connaissance d'une murène étonnante qui avait une notion très singulière de la symbiose. Accompagnée de sa célèbre crevette, bouche grande ouverte, elle se laissait comme à l'accoutumé nettoyer les quenottes. Voulant sûrement changer de dentifrice, elle referma sa bouche et la croqua !
L'après-midi nous réservait une plongée d'anthologie. La visibilité était exceptionnelle sur le coralligène, et la mer nous dévoila des langoustes, des murènes, un homard et surtout une ambiance extraordinaire.
C'était la fin d'un weekend plutôt bien rempli, Martin nous parlait encore de son homard et de ses projets de braconnage. Il nous emmena dans un estaminet qu'il avait repéré l'avant-veille, pour déguster d'excellentes glaces.
Les yeux remplis de paysages sous-marins, un peu tristes que ça s'arrête, les plongeurs se promirent de recommencer !
GY
Images et Vidéos : Robert, Jacques, Julien, Guy.