La veille au soir, regardant la pluie qui tombait dans le crépuscule, je me doutais que la plongée de demain n'allait pas rassembler la foule des beaux jours.
Perdu dans mes pensées et dans les bulletins météorologiques, scrutant les cumulonimbus, étudiant la direction de la houle, je méditais tristement .
Dans les chaumières, ceux qui ne s'étaient pas encore fait porter pâles, se demandaient bien au chaud si ce con de président allait enfin annuler cette maudite plongée.
Mais quelle bonne surprise ! Nous étions quatre le lendemain au bord de l'eau à nous équiper sous une pluie fine .
Il n'y avait pas la quantité, la qualité pas vraiment non plus du reste, comme nous le verrons par la suite, mais il y avait de quoi faire une palanquée bien sympathique, composée de François (le blond), Timothée, Tim, sujet de sa Gracieuse Majesté et moi même, sociologue de la plongée.
Dès le départ, je compris que la journée allait être exceptionnelle, quand Tim s'exclama "kiss my ass", j'ai oublié mon détendeur !
Nous le regardâmes avec une stupeur non feinte, soupçonnant un sabotage volontaire de ce solide garçon en polo de rugby blanc, la rose sur la poitrine et la perfidie chevillée à l'âme. Immédiatement et en futur bon guide de palanquée, François lui donna son détendeur de secours (chose que je n'avais encore jamais vu faire en surface ! Une histoire de fous, vous dis-je ! ).
Il me confia plus tard, ce sont ses propres paroles, qu'il avait envisagé cette éventualité, connaissant l'aversion de Tim pour l'eau froide.
Après toutes ces péripéties, et après avoir rassuré François sur la capacité gigantesque du bloc oxy, nous nous immergeâmes sous une pluie diluvienne dans une eau que je jugeais tempérée.
Le plancton, source de vie, nous attendait sous la surface, avec des mètres-cubes de salpes et de vélelles translucides qui se dandinaient au gré du ressac suivies d'improbables méduses .
Pour ceux qui auraient raté cette plongée mémorable, les salpes sont des tuniciers pélagiques coloniaux qui prolifèrent quand les microalgues sont nombreuses. Véritables chaînes d'animaux gélatineux, on distingue un nucléus rouge dans chaque individu, qui correspond à la bouche, au cœur et aux branchies de l'animal. En contractant leurs musculatures flasques en même temps, ces chaînes sont capables de légers mouvements, ce qui ne les empêche pas de se faire drosser sur les récifs, où chaque individu, devenu solitaire, fabrique une nouvelle chaîne .
Ils sont dévorés par les poissons-lune, les cténophores (l'animal transparent qui produit des éclairs électriques !) et les méduses.
La vélelle, quant à elle, est un cnidaire pélagique qui appartient au Neuston (plancton à l'interface eau-air), car il est muni d'une petite voile.
Les traînées de surface que l'on voyait ce jour-là à Es Caials étaient sûrement dûes à cette bestiole.
Ayant passé les dix mètres planctoniques, François nous emmena à 31 mètres sur un joli coralligène, comme il l'avait bien précisé dans un briefing d'anthologie, nous faisant découvrir des langoustes, du corail rouge, et les animaux du milieu.
Tout à coup, il prit un cap de retour tout-à-fait singulier. Tim me regarda d'un regard désapprobateur qui m'amusa beaucoup, tandis que nous palmions vers une Terra Incognita pleine de promesses. Nous faisant traverser toute la baie, François nous emmena sur un bout de tôle qui mit la puce (de mer !) à l'oreille de notre guide, comprenant alors qu'il était temps de rentrer en virant à droite, avant d'aller visiter Cadaques.
Nous rigolâmes bien en surface, quand je lui assénai la célèbre formule des Glénans : mieux vaut savoir où l'on est sans savoir où l'on va, que savoir où l'on va sans savoir où l'on est ! Tandis que nous dissertions sur l'orientation et ses travers comiques, une méduse, vraisemblablement anglophobe, brûla la main de Tim sous nos regards amusés .
En surface, un grand soleil nous éblouissait tandis qu'une douce chaleur réchauffait nos membres gourds. Nous avalâmes sans sourciller nos repas et repartîmes dare-dare sous l'eau. L'épave du Llanishen nous attendait posée sur le fond depuis 1917, torpillée par un U-boote allemand.
Il y a toujours des choses à voir sur une épave, même quand elle est très abîmée. Les spirographes et les cérianthes fluorescents étaient au rendez -vous avec quelques gros chapons. Longeant les récifs par leur base, en partant vers le large, nous rencontrâmes de craintives murènes et de petites langoustes toutes excitées de quitter leur trou.
La plongée de l'après-midi était particulièrement lumineuse et poissonneuse, peuplée d'énormes bancs de castagnoles, de crénilabres et de mendoles.
La plongée des quatre mousquetaires !
La conclusion de cette journée mémorable se fit sous le soleil, en dévorant des crocodiles Haribo.
Je pense que pour une fois, le plus sérieux fut Timothée .
Ce fut une belle journée .