Date de publication : Nov 23, 2012 9:51:35 AM
Problèmes habituellement réservés aux conducteurs, les embouteillages, le manque de places de parking ou l'agressivité au guidon menacent désormais de transformer l'utopie cycliste néerlandaise en un cauchemar quotidien. Dans un pays où le nombre de bicyclettes dépasse le nombre d'habitants (18 millions de vélos pour 16,7 millions de Néerlandais), les Pays-Bas n'ont tout simplement plus assez d'espace pour accueillir sur leurs routes les 5 millions de cyclis/tes quotidiens.À Amsterdam, par exemple, 490 000 personnes enfourchent leur vélo pour parcourir au total près de 2 millions de kilomètres chaque jour, selon la municipalité. "Les pistes cyclables les plus utilisées sont trop petites pour le flux grandissant de cyclistes", reconnaît le conseil municipal. Le nombre de cyclistes "a considérablement augmenté au cours de ces dernières années", assure également un porte-parole de l'Union néerlandaise des cyclistes (Fietserbond), Wim Bot. "Dans un petit pays comme les Pays-Bas où chaque mètre carré est compté, nous n'avons plus d'espace", ajoute M. Bot : "C'est devenu un cauchemar."
Les Néerlandais sont tombés amoureux de la petite reine dans les années 1880. Deux décennies plus tard, les premières pistes cyclables, qui s'étendent aujourd'hui sur près de 35 000 kilomètres, étaient installées dans ce pays si plat qu'il semble fait pour le vélo. Même l'actuel Premier ministre Mark Rutte arrive régulièrement aux sièges des institutions politiques à bicyclette. En 2011, plus de 1,3 million de nouveaux vélos ont été achetés par les Néerlandais, pour un montant estimé à 968 millions d'euros.
Après avoir investi pendant des décennies dans les infrastructures réservées aux cyclistes, les Néerlandais payent le prix de la popularité de ce moyen de transport quotidien. "Dans des endroits comme Amsterdam ou Utrecht, l'augmentation du nombre de cyclistes a donné lieu à de nouveaux phénomènes, comme des embouteillages, des carambolages, des problèmes de parkings et de l'agressivité au guidon", rapportait récemment le quotidien néerlandais Trouw. À la gare centrale d'Utrecht notamment, des dizaines de milliers de vélos, parqués légalement ou non, diminuent l'accès des piétons à l'espace public, alors que d'autres cyclistes ont les plus grandes peines du monde à se garer.
"Parfois, c'est une maison de fou sur la piste", assure à l'AFP un gardien de parking vélos de la gare centrale d'Utrecht, au centre des Pays-Bas. "Il n'y a pas de bagarres à proprement parler, mais des mots très durs sont souvent prononcés", soupire-t-il. Marleen Van der Wurff, 58 ans, cherche frénétiquement un endroit où garer son vélo avant de courir attraper son train : "Cela devient une situation très dangereuse." Les statistiques confirment ses propos : un quart de toutes les personnes décédées dans des accidents de la route sont des cyclistes, assure le Fietserbond. En 2011, plus de 200 cyclistes sont morts sur les routes, soit 28 de plus que l'année précédente, la majorité d'entre eux étant âgés, indique le Bureau central des statistiques (CBS).
Et le problème n'a fait qu'empirer depuis que les autorités néerlandaises ont élargi l'accès aux pistes cyclables aux mobylettes, qui prennent facilement de vitesse les cyclistes dans un espace restreint. "Une recette pour un désastre", selon M. Bot. C'est devenu un tel problème qu'une conférence a récemment été organisée par les responsables de plusieurs grandes villes. Les solutions proposées, similaires à celles mises en place pour gérer les embouteillages à quatre roues, vont de l'installation d'immenses parkings en sous-sol à l'enlèvement par la fourrière des vélos garés illégalement, comme à La Haye où près de 2 400 vélos ont été enlevés depuis août.
La ville d'Amsterdam a de son côté annoncé un plan d'investissements de 120 millions d'euros pour installer, entre autres, 38 000 nouveaux emplacements de stationnement, ainsi que 15 kilomètres de pistes cyclables supplémentaires. "Ce n'est pas un problème qui sera résolu la semaine prochaine", assure pourtant M. Bot, soulignant qu'il faut travailler "à moyen et long terme". En attendant, le meilleur moyen de gérer le chaos sur la piste est de prendre son mal en patience et de ne pas s'énerver : "Parfois, ça aide d'être néerlandais et stoïque", lance-t-il.
source lepoint.fr 09/11/2012
Et merci à Ed HANSSEN, professeur à l'Institut Néeerlandais de Paris pour avoir diffusé cette info sur Facebook
Les infrastructures actuelles (pistes cyclables, parkings, feux tricolores, etc.) sont le fruit de décisions fortes prises dans la seconde moitié du XXe siècle. Dans les années 1960, la capitale néerlandaise s'étendant, l'usage de l'automobile était privilégié pour la majorité des déplacements, engendrant d'importants problèmes de congestion. Comme à Paris, il fut, un temps, envisagé de construire des autoroutes traversant le centre-ville, un projet finalement abandonné. C'est dans les années 1980 qu'est intervenue la prise de conscience de l'utilité du deux-roues comme moyen de transport à une large échelle, d'autant plus dans une ville aux nombreuses rues étroites comme Amsterdam. Prise de conscience peut-être facilitée par l'absence d'un champion national dans la construction automobile depuis le rachat de DAF par Volvo.
Le développement du vélo s'est accompagné d'un renforcement de l'intermodalité, qui permet aux usagers d'emprunter plusieurs moyens de transports pour leurs trajets."Aux Pays-Bas, les villes sont denses et bien reliées entre elles, explique Laurent Chambon. Pour la proximité, il y a le tramway et le vélo, le métro à un niveau un peu plus large, puis le train entre les villes, qui est un peu comme le RER en région parisienne considérant la taille du pays, puis enfin les trains internationaux."
Les autres utilisateurs des routes amstellodamoises le savent : dans les rues de la capitale néerlandaise, la "petite reine" porte bien son nom. Gare à celles et ceux qui se mettent en travers de sa route. Mais ce qui fait le folklore d'Amsterdam menace de tourner au cauchemar quotidien. Les deux-roues connaissent un succès qui dépasse aujourd'hui la municipalité. Chaque jour, 490 000 personnes enfourchent leur vélo pour parcourir un total de 2 millions de kilomètres dans cette ville de près de 800 000 habitants. En 1992, elles étaient 340 000, soit une augmentation de 44 % en vingt ans.
Une rue Kamikaze
Cette augmentation exponentielle du nombre de cyclistes pose problème au quotidien, avec des embouteillages de vélos. "Les pistes cyclables les plus utilisées sont trop petites pour le flux grandissant de cyclistes", a reconnu le conseil municipal dans un communiqué, fin octobre, annonçant, dans le même temps, la construction de 15 kilomètres de pistes cyclables supplémentaires.
Circuler à vélo à certaines heures n'a rien d'une promenade de santé. Un coup d'œil à un monument, la bicyclette qui dévie de sa route et un strident coup de sonnette vient la rappeler à l'ordre. Changer de direction peut s'avérer périlleux, entre les vélos, les voitures, les taxis, les tramways et les piétons. Sans oublier les scooters acceptés sur la piste cyclable et qui roulent à une vitesse moyenne de 36 km/h au lieu des 20 km/h autorisés, selon une récente étude. "Il faut tout regarder, c'est le stress !", témoigne Laurent Chambon, sociologue français vivant à Amsterdam depuis quinze ans. Une des rues principales de la ville, Damrak, est d'ailleurs surnommée "Kamikaze".
Pour Nancy Neuteboom, gérante du magasin de cycles Marcel Tweewielers, le problème se situe également dans l'attitude des deux-roues. "Il n'y a pas de respect des règles, dit-elle. Beaucoup de cyclistes ne respectent pas les feux, roulent en téléphonant, ont des écouteurs sur les oreilles... C'est dangereux ! Et il y a de l'inconscience : j'ai déjà vu une femme avec ses trois enfants devant, derrière et sur le côté du vélo, tout en étant au téléphone... Incroyable." Ces comportements expliquent en partie la forte augmentation des accidents impliquant des deux-roues dans Amsterdam. En 2009, les cyclistes représentaient 56 % des 950 blessés graves, contre 48 % en 2000. La première cause d'accident étant le défaut de priorité (42 %), souvent lié à une vitesse excessive.
Le parking de la gare centrale de 10.000 places est plein
Mais le principal problème, et le plus visible, est la saturation des places de parking, pourtant au nombre de 200 000 sur la voie publique et 30 000 dans des garages. Le moindre grillage, le moindre réverbère, le moindre mur bordant une rue et, bien sûr, les ponts au-dessus des canaux sont pris d'assaut par les vélos cadenassés. Même l'immense parking de la gare centrale d'Amsterdam, avec ses quelque 10 000 places et ses trois étages – un des endroits de la ville le plus photographié par les touristes ! –, est plein. En octobre 2008, la mairie d'Amsterdam a calculé un taux d'occupation de 136 %.
Ce constat se vérifie chaque matin : dans un va-et-vient incessant s'ouvre alors la chasse au moindre petit emplacement disponible. "Cela empire, vraiment, soupire Johan, un grand brun en cravate de 32 ans qui pose chaque matin son vélo vert avant de prendre le train pour aller travailler. Maintenant, j'arrive quinze minutes plus tôt qu'avant, le temps de trouver une place. Il m'est arrivé de rater mon train à cause de ça... ou bien de me faire enlever mon vélo par la police parce que je l'avais mis n'importe où !" Cela ne décourage toutefois pas les Amstellodamois derecourir au vélo : 40 % d'entre eux l'utilisent avant ou après un trajet en train, à égalité avec les transports en commun, contre 6 % dans les années 1980.
Pour tenter de résoudre le problème du stationnement, la mairie d'Amsterdam a annoncé la création de 1 700 places supplémentaires à la gare centrale d'ici à 2016, puis des aménagements progressifs afin d'arriver à 17 500 places en 2020 avec, notamment, la construction d'un parking souterrain. "C'est un bon pas, même s'il faudrait au minimum 20 000 places là-bas, estime Gerrit Faber, de l'union néerlandaise des cyclistes (Fietsersbond), qui promeut l'usage du vélo et défend les intérêts de ses usagers. Mais ils prévoient également de supprimercertaines places en surface, ce qui ne fera que déplacer le problème." Le Fietsersbond prône une "décentralisation" des places, avec une meilleure répartition au niveau des gares et le long des stations de métro.
Réseaux de vélos volés
Face à la saturation des emplacements réservés, nombre de Néerlandais optent pour le parking sauvage, posant là où ils le peuvent leur deux-roues. Il s'agit d'une stratégie risquée car rien ne garantit de retrouver ensuite son vélo. Par l'action de la police locale, tout d'abord, qui enlève bon nombre de bicyclettes considérées comme gênantes pour le passage ou bien celles restées au même endroit pendant plusieurs semaines. Environ 50 000 vélos sont ainsi enlevés chaque année à Amsterdam.
Le cycliste peut également se retrouver sans sa monture à cause des vols qui prolifèrent. Katja, manageuse d'une boutique d'Amsterdam, arrive en train le matin et reprend son vélo là où elle l'avait déposé la veille... quand elle le retrouve. "Je me suis fait voler mon vélo deux fois !, raconte-t-elle. Maintenant, j'achète le moins cher possible." La tentation est forte de racheter directement un vélo à un particulier, sans connaître sa provenance. Et ainsi d'alimenter de véritables réseaux de vélos volés.
Le chiffre officiel de 90 000 vols de vélos aux Pays-Bas chaque année est de l'avis général largement sous-estimé. Les estimations vont de 500 000 à un million par an. A titre de comparaison, les vols de voitures sont de 11 000. "Beaucoup de cyclistes ne déclarent pas leur vol, car ils estiment que le vélo, s'il est vieux par exemple, n'en vaut pas la peine, affirme Nancy Neuteboom, qui vend, comme beaucoup de ses concurrents, des vélos d'occasion. Je recommande à mes clients dans cette situation de déclarer le vol sur Internet et, surtout, de ne pasacheter de vélo sans connaître sa provenance. Autrement, ils risquent d'acheter le vélo qu'on vient de leur voler !" Pour tenter de lutter contre ce phénomène, tout vendeur professionnel est tenu d'enregistrer le numéro de série de chaque vélo qu'il récupère ainsi que l'identité du propriétaire précédent.
L'idéal d'une villes ans voiture
Une conversation avec les usagers quotidiens du deux-roues à Amsterdam aboutit rapidement à l'évocation d'un idéal : une ville sans voitures. "Un tiers de l'espace de transports est pris par le trafic des voitures et un tiers par les parkings de voitures. Or le vrai trafic se situe du côté des vélos et des transports en commun. Il y a un calcul à faire", analyse Laurent Chambon, qui a été conseiller municipal travailliste entre 2006 et 2010.
Pour Gerrit Faber, du Fietsersbond, c'est toute la ville qu'il faut systématiquementrepenser lors de grands travaux. "Le vélo soulève la question de l'urbanisme,explique-t-il. Par exemple, on ne peut plus construire d'immenses centres commerciaux en périphérie comme on pouvait le faire avec les voitures. Le vélo oblige à un retour aux commerces de proximité." C'est pour peser sur ce genre de décisions que le Fietsersbond participe aux délibérations du conseil municipal et a voix au chapitre pour conseiller les autorités ou émettre des critiques sur un nouveau projet. "Les mentalités ont évolué, les autorités nous prennent maintenant au sérieux, constate M. Faber. Favoriser la pratique du vélo coûte moins cher, et c'est bon pour la santé de tous : nous avons aux Pays-Bas un des taux d'obésité les plus faibles en Europe. Le vélo en est sans aucun doute une des raisons."
source: le Monde 22/11/2012 Alexandre Pouchard Amsterdam