Dans un village de l’île Sabusawa quelqu’un marchait dans la nuit en disant d’une voix étrange : “J’ai mal au nez, j’ai mal au nez”. Entendant cette voix, cinq ou six jeunes villageois sortirent discrètement, sans réussir à apercevoir qui parlait ainsi. Ils suivirent la voix, mais toujours sans succès. Ils avaient beau brandir des bâtons en bambou, aucune réaction. Soudain, l’un d’entre eux entendit marmonner dans les broussailles alentour. Il tendit l’oreille et reconnu un chant, bien que la voix ne fût pas humaine. Vieilles pèlerines de paille, vieux chapeaux de jonc, vieux tambours, vieilles socques de bois et vieux paniers, “don-don”, “paki-paki” et “bassa-bassa” (ou si vous voulez “bom-bom”, “cric-crac” et “frich-et-frach”). -Arrêtez ! Arrêtez ! fit une autre voix, quelque chose ne va pas ce soir !Le chant cessa immédiatement. Le jeune rentra chez lui, affolé, et se mit tout de suite au lit.Le lendemain, les jeunes formèrent une grande équipe et retournèrent au même endroit. Dans les broussailles, ils virent de vieilles pèlerines de paille, de vieux chapeaux de jonc, de vieux tambours et de de vieilles socques de bois (furugeta), tous échoués de la mer. Et un peu plus loin, une socque sans le passe-orteil en cordon, la partie qu’on appelle le “nez” en japonais. Je comprends maintenant qui se plaignait d’avoir mal au nez ! Ils les brûlèrent tous ensemble. Depuis ce jour cessèrent les sanglots, les danses et les chansons dans les broussailles. C’étaient bien les esprits de vieux ustensiles qui avaient taquiné les jeunes villageois.
Source image: Shigeru Mizuki et carte illustrée du Geta no Bakemono