La dague antique

Quand un petit garçon fait l'impensable dans un musée. Et que sa vie bascule entrainant de grands bouleversements autour de lui. Qui oserait croire que c'est le passé qui serait le seul salut de son futur ?


Prologue : Le musée

J'ai toujours eu une passion pour les musées. D'aussi loin que je me souviens mes parents m'emmenaient visiter ces grandes bâtisses regorgeant de merveilles. Et à chaque fois, je rentrais chez moi les yeux pleins d'étoiles. Mais ce qui fit basculer ma vie m'arriva alors que j'avais tout juste huit ans.

Nous visitions un obscur musée, dans un pays dont je n'ai même plus le souvenir. Mes parents s'extasiaient devant une toile de maître que je trouvais, à cette époque, d'une absolue laideur. Tandis que je me carapatais en direction des œuvres antiques. Je marchais tranquillement dans le sombre couloir qui menait à la section qui m'intéressait essayant de faire le moins de bruit possible sur le sol carrelé qui résonnait. Cette démarche furtive sembla amuser un garde qui se trouvait là. Il me fit un clin d'œil complice et d'un geste de la main m'indiqua que la voie était libre. Ravi de ce camarade improvisé j'entrais dans le jeu et me faufilais dans la salle, tandis que le garde détournait son regard de moi.

Il n'y avait pas grand-chose dans cette salle. Une statue d'albâtre trônait en son centre, à laquelle il manquait un bras. Quelques vitrines le long des murs refermant différents colifichets et de la vaisselle endommagée. Un peu plus loin, près de la sortie de la salle, dans une petite alcôve, se trouvait sur un socle éclairé par une lumière étrangement bleue et tamisée, une antique dague finement ciselée. Les incroyables reflets, que cette lumière provoquait sur le métal, m'envoutèrent à un tel point que je me retrouvais juste devant cette arme plusieurs fois millénaire. Constitué d'une poignée en ivoire et d'une lame de plusieurs métaux précieux incrustée de pierres tout aussi précieuses, j'étais certain qu'elle avait dû appartenir à un haut dignitaire ou même un roi. L'ivoire ciselé avec une infinie délicatesse représentait la tête d'un animal tout droit sorti de livre fantastique. Sur la lame, une foultitude d'inscriptions qui ne ressemblaient à aucune écriture que je connaissais la recouvrait. Les yeux rivés sur le métal je n'arrivais à regarder ailleurs. À la fois fasciné et subjugué j'observais les inscriptions de plus en plus intensément, si intensément que ma vue se troublait. Ma tête commença à tourner et mes mains se mirent à trembler. J'entendis alors des pas dans mon dos et sans comprendre ce qu'il m'arrivait je levais les mains vers le ciel et hurlais sans le vouloir " Kaystos" à ce moment-là un voile occulta mes yeux et une douleur me foudroya la poitrine. Puis... Plus rien.

Quand j'ai repris conscience, le visage de ma mère en pleurs était au-dessus de moi, tandis que mon père parlait avec un homme en uniforme tout en gesticulant. Ma mère me dit alors :

- Tu vas t'en sortir.

Incapable de comprendre quoi que ce soit, j'essayais de me relever, car j'étais allongé sur un sol incroyablement froid. Mais une douleur à la poitrine qui irradiait dans tous mon corps m'arrêta nette. Je baissais les yeux pour voir ce qui pouvait bien me faire autant souffrir et vis, terrifié, le manche de la dague devant mes yeux. Je voulus l'attraper, mais ma mère retint mes mains pleines de sang en disant :

- Pourquoi t'es-tu fait ça ?

C'est la dernière chose dont je me souviens de ce jour-là.

Chapitre 1 : Désorienté

J’avais chaud. Incroyablement chaud. C’était comme si je recevais les rayons du soleil en plein visage et en même temps j’avais froid à l’intérieur. Pourtant tout était noir. Impossible d’ouvrir les yeux. C’était comme dans un rêve, mais trop réel pour en être un. La douleur que je ressentais me le rappelait bien. Soudain, je recouvrais la vue. Et sans avoir même ouvert les yeux, je voyais mes poignets. C’est là que j’avais mal et non à la poitrine. Je réalisais du coup que j’avais les mains liées par une corde si serrée que je saignais. Le sang avait coulé un peu partout et le sable qui tombait du plafond se collait dessus. J’étais perdu avec une sensation de déjà vu. Des rayons de soleil filtraient entre les planches au-dessus de moi. C’était donc bien cela la chaleur. Du sable tomba de nouveau et je baissais la tête pour ne pas en recevoir dans les yeux. Le sol, en terre, me rappelait la vieille cave de mon grand-père dans laquelle il aimait bricoler.


Observant tout autour de moi, je réalisais l’incroyable situation dans laquelle je me trouvais. Enfermé dans ce qui devait être une cellule, et pas très grande de surcroit. Comment suis-je arrivé là ? me dis-je. Mon dernier souvenir était la douleur dans ma poitrine, les pleurs de ma mère au-dessus de moi et mon père qui vociférait à l’encontre d’un militaire. Et la dague plantée dans mon torse. Je levais les mains pour vérifier mon état, et réalisais que ce n’était pas les miennes. Deux immenses battoirs s’approchaient de mon visage. Pourtant, je les dirigeais, immenses et massifs, couverts de sang coagulé avec du sable. Soudain, je crachais dedans sans l’avoir voulu et les frottais sur mes jambes pour les nettoyer. Incompréhensible. Était-ce mon corps ? Qui le contrôlait. Je ne parvenais plus à agir. C’est alors qu’un bruit de voix sur le côté attira mon attention.


Ma tête se tourna vivement dans cette direction. Puis je me levais en faisant face à une petite porte. Je touchais presque le plafond. La corde, bien qu'attachée à un crochet fixé au sol, était assez longue pour pouvoir me frotter le visage. Le cliquetis d’une clé dans la serrure annonçait l’arrivée d’un visiteur. Mais je demeurais stupéfait quand je vis que l’homme face à moi était vêtu d’une cotte de maille. À la main, il tenait avec fermeté une épée longue et fine dont le tranchant faisait penser à un sabre de samouraï. Je réalisais soudain qu’il était bien plus petit que moi. Tout comme son acolyte qui apparut comme un fantôme et passa devant lui en me regardant d’un air menaçant. Il était face à moi et je sentais son souffle sur mon visage. Il glissa une main dans son dos et saisit une dague qu’il me mit sous la gorge tout en me tenant la nuque avec sa deuxième main. Je reconnus alors le manche en ivoire. J’eus un frisson dans tout le corps. Tant à cause du métal qui touchait ma peau qu’au souvenir de l’avoir eu fiché dans mon torse. Mais celui qui contrôlait le corps que je partageais ne sembla pas intimidé le moins du monde. Il resta stoïque fixant avec dédain celui qui le menaçait. J’étais terrifié par cette situation plus qu’inconfortable sur laquelle je n’exerçais aucun contrôle. Le plus petit des deux hommes qui se trouvait derrière m’aboya dans un langage que je ne connaissais pas, mais que je compris par je ne sais quel miracle :

- Qui t’a donné cette dague ?


Mais rien ne sortit de la bouche de celui qui contrôlait le corps. Je percevais malgré l’ambiance un calme et une sérénité que même l’enfant que j’étais n’avait jamais connus. Je me suis senti si bien que j’eus même envie de fermer les yeux.

Devant ce mur de silence, l’homme se découragea et baissa la dague. C’est à ce moment-là que tout alla très vite. Alors que la lame descendait, le maître du colosse que j’habitais leva les mains tranchant dessus les cordes qui nous entravaient les poignets. Puis dans un mouvement souple et vif, il fit une rotation sur une jambe et avec l’autre il frappa au torse, l'homme qui se trouvait derrière. Celui-ci fut soulevé du sol, tomba avec violence, et resta étourdi par l’impact. Simultanément, un de mes poings libérés avait percuté dans un mouvement ascendant la mâchoire du plus proche. J’entendis claquer ses dents, et le vit, s’écrouler sans connaissance, tellement le coup fut puissant. Avant même de comprendre ce qu’il venait de se passer, je réalisais que la dague était dans ma main et j’enjambais le corps de l’homme étendu au sol. Je courais dans un couloir qui donnait sur de nombreux passages latéraux, mais les incroyables foulées m’emmenaient tout droit vers ce qui semblait être l’entrée d’un tunnel. Alors que j’aurais tout fait pour ne pas y aller, nous nous engouffrâmes dans ce dernier. Impuissant, je regardais défiler les torches de moins en moins nombreuses. Toujours au pas de course, tournant à chaque bifurcation sans la plus petite hésitation. De temps en temps, je sentais que je marchais sur quelque chose. Une pierre, une bête, je ne pouvais savoir. Tout allait trop vite. Mais j’étais pieds nus, et cela n’avait l’air de perturber que moi. Personne ne semblait nous poursuivre. J’aurais aimé m’arrêter. Mais celui qui contrôlait le corps ne faiblissait pas, bien au contraire. Nous étions dans le noir total et le sol était humide et glissant. Le bruit que faisaient mes pas résonnait dans le tunnel. C’est alors que je m’entendis dire :

- À l’ombre du soleil, à quatre heures lors du solstice d’été. Rappelle-toi.

De nouveau, je tournais et je marchais maintenant dans des flaques de plus en plus nombreuses. À mesure que j’avançais dans cet interminable labyrinthe, j’avançais vers un bruit assourdissant qui finit par couvrir tout les sons que j’aurais pu entendre. J’étais encore perturbé par cette phrase quand je vis enfin une lumière pointer au loin. Ma course s’accéléra encore et une fois à proximité du bout du tunnel je réalisais qu’un mur d’eau masquait ce qui semblait être la sortie. J’entamais alors un sprint effréné approchant d’une issue que je n’osais imaginer. Lorsque mon corps toucha l’eau glaciale, je n’eus même pas le temps d’être mouillé avant de me retrouver de l’autre côté. C’est alors que je découvris ce qui allait sûrement être la dernière image de ma vie. Un lac, à au moins trente mètres au-dessous de moi, bordé de rochers. Et derrière moi, une cascade qui s’écrasait dessus. Je plongeais la tête vers le bas, les bras tendus, regardant tomber l’eau en même temps que moi. L’impact fut si violent que je ressentis la pression de la tête jusqu’aux pieds. Je sombrais dans le lac, mais ne remontais pas alors que mon esprit voulait absolument revoir la surface et respirer l’air. Le temps devint une éternité au point de me mettre à hurler, terrifié de ne plus pouvoir respirer.

C’est à ce moment-là qu’un flash m’éblouit et me fit rouvrir les yeux alors que je venais juste de les fermer. Quelle ne fut pas ma surprise quand je vis une infirmière bondir à cause de mon cri.

Chapitre 2 : Réveillé

Encore sous le coup de la surprise. Je voyais débarquer une armada de médecins et d’infirmières. Agitant leurs dossiers dans leurs blouses blanches immaculées. Aucun ne parut s’intéresser à moi, comme si rien ne m’était arrivé et que je faisais partie des meubles. Réalisant par la même occasion que j’étais « branché » un arsenal de poches, contenant divers produits et arborant une multitude de couleurs, toutes reliées à un « distributeur ». Mon inquiétude grimpa en flèche, tout comme les battements de mon cœur, qui se répercutèrent sur la machine qui bipait à côté de moi. Envahi par une bouffée de chaleur, je sentais les gouttes de sueur perler sur mon front. Hormis ces nombreux individus qui ignoraient le « bip » retentissant. J’étais si fatigué et angoissé que je n’avais pas encore bougé. Mais la chose qui acheva de me terrifier fut la présence de sangles en cuir qui m’entravaient les poignets et le corps. Je ne pouvais pas me toucher les mains même si j’avais une légère mobilité. Loin de comprendre pourquoi toutes ces mesures avaient été prises, j’essayais de me redresser pour voir si mes parents étaient quelque part dans toute cette foule. Malheureusement, j’étais « seul ». J’eus soudain l’impression de m’assoupir et de me réveiller de nouveau.

C’est alors qu’un médecin m’adressa la parole, en se penchant sur moi, avec une voix trop calme compte tenu de l’agitation qui régnait dans la pièce. Mais il parla si faiblement que j’eus du mal à entendre.

- Bonjour Luc ! Comment te sens-tu ? me dit-il en Français sans le moindre accent.

- Faible, répondis-je.

- Nous avons fait appeler tes parents pour qu’ils viennent tout de suite. Ils ne sont pas loin.

- OK.

Le calme était revenu dans ce qui devait être ma chambre d’hôpital. Le regard de toutes les personnes était maintenant rivé sur moi.

- Je peux te poser quelques questions ?

- Bien sûr !

Le « bip » de l’appareil s’était tu. Je regardais dans sa direction et constatais qu’une infirmière l’avait coupé.

- Très bien. Entends-tu sans difficulté ce que je te dis ?

- Oui !

Il prit une petite lampe dans la poche de sa blouse et me fit passer rapidement passer le faisceau lumineux devant les yeux.

- La lumière te fait-elle mal ?

- Non.

- Vraiment ?

- Oui ! dis-je en insistant.

Il se tourna vers les gens et leur dit avec un air dubitatif :

- Tout semble normal. Peut-être trop.

Cette dernière réflexion m’agaça. Comment mon état pouvait-il être trop normal ? Et le murmure montant parmi l’auditoire m’inquiéta encore, car tous semblaient avoir compris cette phrase dite en français, alors que nous étions bien loin de la France. Il fit signe à une infirmière de me détacher et je fus ravi de pouvoir me frotter les yeux et le visage ainsi que de secouer les bras qui me paraissaient incroyablement engourdis. Je voulus alors me relever, mais le médecin m’intima l’ordre de renoncer pour le moment. Je décidais alors de poser à mon tour une question.

- Pourquoi étais-je attaché ?

- Parce que tu fais du somnambulisme et que tu as déjà arraché tes perfusions en te levant la nuit.

- Je ne m’en rappelle pas.

Un silence s’installa et je regardais tour à tour les médecins autour de moi. Il fuyait mon regard et chuchotait entre eux. Ce qui me stressait de plus en plus. Plus j’observais plus je réalisais que l’on me cachait quelque chose. Mais quoi ? Le médecin se résigna à me répondre.

- On ne t’a pas réveillé quand nous t’avons retrouvé. Comme tu as dû déjà l’entendre, c’est dangereux.

- Quand était-ce ?

- Hier soir.

Je baissais la tête pour me concentrer et faisais face à un morceau de son badge qui dépassait de sa poche. Professeur Delaroi Hugues. J’allais de nouveau poser une question quand j’entendis quelqu’un arriver. Curieux de savoir qui provoquait ce mouvement je fus soulagé de voir mon père. Le professeur l’intercepta avant qu’il ne me parle et lui chuchota quelques mots d’un air grave. Il parut contrarié, mais fit un geste de protestation et s’avança. J’étais heureux et maintenant j’avais peur de ce qu’il allait bien pouvoir me dire. Il me serra dans ses bras pour commencer comme jamais il ne l’avait fait auparavant et un cri survint à la porte.

- Ouinnn !

Je redressais la tête regardant au-dessus de l’épaule de mon père et vis un enfant dans les bras de ma mère. Mon père sentit immédiatement mon tressaillement et me dit doucement à l’oreille :

- Je te présente ta petite sœur Annabelle elle vient d’avoir un an.

Chapitre 3 : Vérité


Mon regard éberlué était analysé par tous les gens autour de moi. Des hommes et des femmes de tout âge. Le silence qui s’installa durablement devenait si pesant que certains commençaient à baisser les yeux pour cacher leur mal-être ou autre chose. Mais maintenant, j’entendais que des personnes discutaient dans le couloir. Ce n’était pas compréhensible au travers des murs. Pourtant j’avais l’intime conviction que si j’étais plus près, j’arriverais à communiquer, quelle que soit leur langue. Mais mon esprit était autant troublé qu’accaparé par cette annonce que je peinais à intégrer. Une petite soeur. Elle avait surement un an même plus et je n’avais jamais vu ma mère enceinte.

Le professeur Delaroi décida de rompre la distance en s’asseyant sur mon lit. Il me fixa avec de grands yeux en me demandant avec calme :

- Qu’as-tu compris de la situation ?

- J’ai dormi longtemps, mais je ne sais pas combien de temps. Sans doute plus de deux ans.

- En réalité tu n’as pas vraiment dormi.

- Ah ?

- Tu parlais en dormant dans une langue inconnue. Et tu te levais pour marcher. On t’a retrouvé plusieurs fois dans les rues avant de t’attacher. Tu arrachais tes perfusions de traitement et d’alimentation en te déplaçant. Et à la troisième reprise, tu as failli mourir écrasé.

- Combien de temps ?

Tout en posant la question, je passais mes mains sur mon visage. Imaginant peut-être découvrir une barbe. Le professeur me dit alors voyant mes mains qui s’attardaient sur mon menton :

- Pas si longtemps que cela. Mais trois ans c’est déjà long à ton âge.

- J’ai onze ans ! m’exclamais-je presque surpris par ma réponse.

Je sentis soudain mon corps de plus en plus faible. Laissant ma tête s’enfoncer dans l’oreiller, et mon regard fixer le plafond d’un blanc lumineux, je tentais de reprendre mes esprits, mais en vain.

- N’ait pas peur mon chéri ! dit ma mère tout en se rapprochant. Il est temps de reprendre le cours de ta vie.

- Pas encore, intervint le professeur. Nous devons encore le garder en observation.

- Cela fait trois ans que vous l’avez en observation, protesta mon père.

- J’entends bien. Mais pas conscient. De plus, nous devons être certains qu’il ne replongera pas dans cet état de transe prolongée.

- Combien de temps ? s’inquiéta ma mère en regardant au bord des larmes le professeur. Ma petite soeur, qui sentait le stress envahir sa mère, commençait à s’agiter dans ses bras.

- Au minimum deux jours. Si tout va bien.

Cette dernière phrase fit réagir mon père qui demanda d’un ton presque implorant :

- Faites au mieux s’il vous plait.

- Nous ferons aussi vite que possible, mais avant tout je dois parler seul à seul avec votre fils.

En l’espace de deux minutes, l’ensemble du personnel médical et ma famille quittèrent la chambre nous laissant en tête-à-tête. Cette situation me parut plus qu’inconfortable, surtout quand il me dit d’un air grave :

- Je ne vais pas te mentir.

Pouvait-on dire cela à un enfant désorienté ? Surtout après qu’il eut découvert qu’il venait de perdre trois ans de sa vie. J’étais soudain suspendu à ses lèvres. Attendant ces mots que j’imaginais m’annoncer un secret inavouable.

- Luc ! Lorsque nous t’avons accueilli dans notre hôpital, il y a trois ans, tu avais encore une dague dans la poitrine. Tu venais de faire un long voyage en avion et elle était plantée depuis trois jours.

À ces mots, je déboutonnais le haut de mon pyjama blanc à petits pois bleus.

- Elle n’y est plus, même si elle a été très difficile à retirer. C’est pour cela que tu as été opéré ici.

- Trois jours, m’exclamais-je.

- Des formalités administratives, pour sortir la dague du musée et du pays, ont été autant nécessaires, que longues et difficiles, a avoir.

- Trois jours ? répétais-je.

- Il n’y a presque plus de marque, tenta de me rassurer le docteur.

Effectivement, il ne restait qu’une minuscule cicatrice légèrement rosâtre. Vestige de ma propre agression. Ce fut un grand moment de soulagement. Le premier après que se fussent accumulées toutes ces affreuses nouvelles.

- Tes parents ont emménagé près de l’hôpital, il y a maintenant six mois, pour être plus proches de toi et des meilleurs spécialistes sur Paris.

J’étais donc à Paris. Tout s’expliquait. Il continua alors son monologue.

- Ce qui nous inquiète le plus, ce sont tes déplacements nocturnes. Et encore plus la langue dans laquelle tu parles quand tu es en transe. Nombre de spécialistes ont écouté les enregistrements que nous avons pu faire, mais aucun n’a pu déterminer laquelle c’était. Nous ne savons pas non plus si tu replongeras dans cet état de transe agité et incontrôlable.

J’étais donc susceptible de me rendormir à tout moment. Cette idée me fit frissonner. Quelle terrible nouvelle. Mes parents devaient être au courant. Mais qu’allait-il se passer ? Trois ans sans que je voie passer le temps, la vie avait continué sans moi. Mes amis avaient sans doute changé d’école. L’école… Je finis par sortir de mes pensées et demandais :

- Je peux vraiment me rendormir à nouveau ?

- Nous ne savons pas. Tu es le premier cas répertorié. Mais hormis cela tu dois faire de la rééducation pour récupérer tes forces. Ce sera long, mais faisable. Tu es jeune.

- Pourquoi long ? Ce n’est que musculaire.

- Hé bien ! Ce n’est pas que cela. Quand tu t’es poignardé, tu as touché ton coeur. De plus, la dague contenait un produit qui a altéré son fonctionnement. Si bien que maintenant son fonctionnement est complètement imprévisible. Il bat à des vitesses si extrêmes, qu’elles sont inédites dans le monde médical. Allant d’un battement toutes les six minutes à quatre cents battements minute.

- Je suis donc en danger.

- A priori non, mais cela reste un mystère.

- Je pourrai sortir et vivre normalement ?

- Nous pouvons l’espérer. Avant tout, tu dois manger normalement. Dormir et te réveiller et rencontrer un psy.

- Pourquoi ?

- Pour savoir si tu seras capable de te remettre de cet événement et comprendre les rêves que tu as faits, si tu t’en souviens.

- Mes rêves ?

- Bien sûr. On ne parle pas en dormant, surtout dans une langue inconnue. Reste à savoir si tu t’en rappelleras.

Ne tenant pas à continuer sur le sujet je lui répondais :

- Donc ! Si je mange, que je parle au Psy et que rien d’étrange ne se passe durant ma nuit. Je rentre chez moi.

Je tournais la tête. Ne voulant pas voir l’expression qu’il aurait quand il me répondrait. Et me trouvait face à face avec mon propre reflet dans un petit miroir. Mon visage n’avait presque pas changé. J’étais bien sûr fortement amaigri, mais je reconnus mon expression de surprise. J’entendis alors la réponse avec une pointe d’hésitation dans sa voix :

- Ou-i !

Il se leva et me laissa seul.

Chapitre 4 : Retour

La première fois que j’ai essayé de me lever, j’ai eu l’impression de ne plus savoir utiliser mes membres. Pour mon plus grand soulagement, cela ne dura qu’un bref instant. Ce fut la même chose pour mon premier vrai repas, qui me propulsa dans la peau d’un bébé incapable de se nourrir seul. Éprouvant des difficultés à trouver ma bouche, mais aussi à mastiquer. Et pour finir, je déglutissais en m’étouffant à moitié. Par chance, là aussi tout revint très vite. Ma première conversation avec la psy ne fut pas concluante. Car je ne me suis souvenu que d’une seule phrase « À l’ombre du soleil, à quatre heures lors du solstice d’été. Rappelle-toi. » Pourtant je reste persuadé que d’autres choses sont restées enfouies dans ma mémoire. Cette première journée à l’hôpital s’avéra très difficile. Et ce fut un déchirement quand mes parents durent me laisser. Car j’étais terrorisé à l’idée de m’endormir et de ne pas me réveiller le lendemain. Heureusement, tout se passa pour le mieux. Pas de somnambulisme ni de rêves.

Le deuxième jour, je constatais une amélioration physique notable. C’était de bon augure pour mon retour, mais ma mémoire resta silencieuse. Le matin du troisième jour, j’eus la joie de pouvoir réintégrer le domicile familial. Nous fîmes le trajet à pied comme recommandé par le professeur Delaroi. Je marchais avec une telle lenteur que je percevais le regard des passants sur moi. Les vêtements que m’avaient apportés mes parents étaient trop grands pour moi tellement j’étais maigre, mais malgré cette faiblesse visuelle, j’avais surpris tout le monde en marchant presque du premier coup. J’appréciais de pouvoir respirer l’air extérieur comme si je ne l’avais pas fait depuis longtemps. Ce qui était le cas, mais pour moi c’était il y a quatre jours. J’avais maintenant, la sensation d’avoir vécu une infinité de choses, sans pouvoir me l’expliquer. Nous arrivâmes devant la porte d’entrée d’un immeuble et mon père dit :

- Nous voilà arrivés.

Son regard était rempli de joie et d‘inquiétude. Il tapa un code et nous entrâmes.

- L’appartement est au quatrième, dit ma mère. Alors nous prendrons l’ascenseur.

Chaque mot et action que mes parents faisaient trahissait une certaine retenue à mon égard. Ils avaient peur, mais pourquoi ? Franchir le pas de ma nouvelle demeure fut comme l’ouverture d’un cadeau, j’étais curieux de voir ce que j’allais découvrir. Après une rapide visite des lieux, je constatais que la décoration était proche de celle de notre ancienne maison. Et ma chambre avait été refaite à l’identique. J’étais heureux. Ma longue absence n’avait pas remis en cause ma place dans notre foyer. Et ce, même après la naissance de ma « nouvelle » petite sœur. Ils me laissèrent seul dans ma chambre, histoire que je reprenne possession des lieux.

Je poussais la porte de ma chambre, histoire d’être un peu seul face à mon passé, et commençais à marche doucement, mais sûrement. C’est à ce moment-là que je réalisais que tout avait changé. Pas les lieux, mais moi. Même si ma démarche était faible j’avais une assurance que je n’avais jamais eue. Souplesse et fluidité dans mes mouvements apparaissaient plus je mobilisais mon corps. C’était comme une mise à jour de mes capacités physiques. Je gesticulais comme un danseur exécutant une chorégraphie et finis par me laisser tomber sur mon lit. J’étais épuisé, mais j’avais ressenti une liberté de mouvement comme cela ne m’était jamais arrivé. Je me surpris alors à sourire. J’étais persuadé qu’il était visible au travers de la porte. Me sentant à l’aise allongé de la sorte, je saisis dans la bibliothèque à côté de moi une encyclopédie que m’avait offerte mon grand-père avant son décès. J’entamais un chapitre concernant la civilisation romaine. Mais quelle ne fut pas ma surprise quand j’eu réalisé que je lisais simultanément le chapitre sur la civilisation grecque, écrit sur la page d’à côté. Le plus est, sans la moindre difficulté. Immédiatement, je refermais le livre et le rangeais. Comment cela était-il possible ? J’avais soudain peur. Devais-je en parler ? J’hallucinais certainement et cela entraînerait encore des séances à l’hôpital avec psy et médecin en plus du kiné. Mon interrogation fut interrompue pas la voix de mon père qui m’appela pour passer à table. Un repas qui fut un réel plaisir. Surtout après les menus que j’avais eus ces derniers jours. Même si tout semblait être revenu à la normale, je percevais de la tension dans le comportement de mes parents. Comme si une chose terrible allait survenir. Mais rien ne se passa. Une nuit calme et un réveil normal.

Cette nouvelle journée s’annonçait chargée; kiné puis psy. Je ne révélais rien de ce que j’avais vécu la veille étant à peine persuadé moi-même de l’avoir vécu. Me vint alors l’idée d’une expérience. Je demandais à aller à la bibliothèque ce qui ne surprit pas le moins du monde ma mère qui nous emmena avec ma petite sœur. Me laissant un peu seul afin de s’occuper de ma petite sœur. J’avais maintenant le loisir de tester différentes idées. Je pris trois livres différents au hasard et réitérais l’expérience de la veille. Et à ma grande surprise, je parvins à les lire simultanément. Mais le plus fou arriva quand je pris deux livres dans deux langues étrangères, qui m’étaient totalement inconnues, l’un à côté de l’autre et parvint non seulement à les lire, mais aussi à les comprendre. Il ne m’avait fallu que dix minutes pour faire tout cela.

Fort de cette expérience, je rangeais les livres et commença à rechercher des informations sur la dague qui avait failli me coûter la vie. Après un quart d’heure de recherche, je trouvais mon bonheur et sortis mon calepin histoire de prendre des notes. Puis, je me plongeais dans une lecture fascinante étayée par des photos de lieux d’où pouvait provenir la dague. Je m’arrêtais rapidement sur celle d’une falaise bordant un lac et plus rien...

C’est la voix de ma mère qui me tira de ma torpeur. J’étais devant une pile de bouquins et ma mère dans mon dos.

- Tu viens mon chéri, il est temps de rentrer. Ça fait deux heures que nous sommes ici.

- OK.

Je refermais mon calepin et rangeais les livres que j’avais consultés sans même m’en être rendu compte. Nous reprîmes alors le chemin de la maison. Tout en poussant le landau de ma sœur, je me dis intérieurement : que se passe-t-il ?

J’arrivais à l’appartement courbaturé, mais assailli par des tonnes de questions. Une fois seul dans ma chambre, j’ouvrais mon calepin et réalisais que je l’avais presque totalement noirci de notes et de dessins. Et ce, dans au moins six langues que je parvenais toutes à comprendre. Je passais sous silence tout ceci lors du repas et me contentait de parler, à mon père, des ruines qui se trouvaient dans les livres que j’avais consultés. Il parut fasciné par ce que je lui expliquais et me dit à la fin du repas :

- Je suis heureux que tu t’intéresses toujours à l’archéologie.

Il m’embrassa et me souhaita bonne nuit en poussant la porte de ma chambre, afin que je ne sois pas perturbé par le bruit de la télé. Mais ce ne fut pas ça qui me perturba.

Chapitre 5 : Egaré


Deux semaines s’étaient déjà écoulées depuis que j’avais réintégré le cocon familial. La petite routine quotidienne et les séances de kiné m’avaient permis d’améliorer ma condition physique. Assez pour que contre toute attente je puisse presque courir. Pourtant les progrès se cantonnaient aux physique et physiologique, car aucun souvenir ne m’était revenu. Hormis l’étrange phrase. Il m’arrivait de rester une heure à fixer le plafond bleu pastel parsemé d’étoile de ma chambre. Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de voir d’autres enfants de mon âge. Je savais qu’il faudrait bientôt que je retourne à l’école. Cette idée, bien qu’effrayante, m’enthousiasmait, mais la solitude me pesait. De plus, pour je ne savais quelle raison, la décoration moderne de l’appartement me mettait mal à l’aise. Il était évident que dans ma situation la moindre visite me ravirait. Un tour au jardin des plantes ou n’importe quel musée m’aurait comblé de joie. Une balade aurait pu sembler anodine, mais pour moi elle devenait une expédition. Je harcelais ma mère pour que nous fassions quelque chose en dehors de cette prison qu’étaient nos habitudes. Et à force de persévérance, elle céda.


Le lendemain de cette victoire, au petit matin, nous préparions notre casse-croûte. Rien que prendre l’ascenseur m’enchanta. Son grincement et ses tags me donnaient déjà l’impression d’une aventure alors que je le prenais tous les jours pour aller à l’hôpital. Mais ce jour-là, nous avions changé la routine et je me retrouvais dans le métro. Au milieu de la foule grouillante et odorante, agressé par la cacophonie composée de voix, de bruits étranges et de musiques, j’avançais au côté de ma mère. Nous arpentions couloirs, quais, escaliers, sans cesse bousculés, souvent injuriés. J’étais au comble de la déception. Ce moment que j’attendais tant était plus un calvaire qu’autre chose. Avant même d’arriver à destination, j’avais perdu pied et me retrouvais transporté par le flot de passagers. Ma mère se battait avec la poussette et nous nous sommes retrouvés séparés.


C’est à ce moment-là que j’ai tout oublié. J’ai eu comme un « blanc ». Un trou de mémoire soudain. Je me suis alors retrouvé propulsé loin de tout. C’était une sorte de réveil après une amnésie temporaire. Je sentais les courbatures comme si j’avais marché longtemps. Ma vue revenait doucement et reprenait lentement mes esprits devant une pierre tombale en très mauvais état. Le granit était couvert de lichen qui ne laissait apparaître qu’une date. Le 21 juin 1312. Presque immédiatement, je perdis à nouveau le fils de mes idées. Et je repris conscience devant notre immeuble alors qu’il faisait nuit. Je sonnais pour que quelqu’un vienne m’ouvrir. Ce fut ma mère, paniquée, qui apparut sur le pas de la porte.

- Où étais-tu ? demanda-t-elle en me serrant dans ses bras.

- Dans le métro, mais je t’ai perdu de vue en montant dans la rame.

- Mais depuis ce temps-là tu aurais pu appeler.


À ce moment-là, je ne sais pas pourquoi j’ai inventé.

- Je suis sortie de la station au terminus après avoir attendu si tu arrivais. Et comme je n’avais pas d’argent, je suis rentré à pieds. C’était loin.

- Tu dois être très fatigué mon cœur.

- Assez.

Elle finit par desserrer son étreinte qui m’étouffait et appela mon père qui avait commencé les démarches pour me retrouver. Une heure passa avant que mon père ne revienne. Le repas fut silencieux. Et aucune question ne fut posée. Mais une fois seul dans ma chambre, elles m’assaillirent. Que voulait bien dire cette date ? Et cette pierre tombale était-elle importante ?


Depuis ce jour, je me suis senti en danger à chaque fois que je me suis retrouvé seul. C’est aussi à ce moment-là, que j’aie débuté mon « enquête » en regroupant tous les éléments qui m’apparaissaient lors de mes absences ou mes rêves. Alors que je saisissais mon calepin pour commencer je découvris que celui-ci s’avérait un trésor d’information, car sans savoir comment, il était déjà à moitié rempli de dessin et de note écrite dans une langue étrange que je semblais parfaitement maîtriser. La question était quand avais-je pu noter toutes ces informations. Soudain, je sentis venir la réponse. Je secouais la tête comme pour dégager les idées parasitant mon esprit et me repassait mon étape à la bibliothèque. Voilà ! C’était ce le jour de ma première amnésie. Et maintenant, je réalisais qu’inconsciemment je menais déjà cette « quête ».

Chapitre 6 : Réalité

La vie avait repris son cours. J’allais à l’école depuis maintenant cinq ans, avais rattrapé mon retard et même pris de l’avance. Dans un sens, avec le parcours que j’avais eu, je faisais figure de surdoué. Mes connaissances en histoire digne d’une encyclopédie vivante et parlant plus de six langues à maintenant dix-sept ans faisaient de moi une curiosité. On m’avait même donné le surnom de l’homme à la langue “infuse”. Je suivais les cours en deuxième année d’histoire. Toutes les connaissances que j’avais accumulées entre mes recherches et mes études ne m’avaient rien fait découvrir de plus sur ce qui m’était arrivé, mais elles suscitaient une curiosité autant chez mes camarades que mes professeurs. Toutes mes mésaventures étaient désormais un lointain passé, pourtant ce qui m’était arrivé restait présent, car de petites pointes de douleurs à la poitrine n’hésitaient pas à me rappeler le jour où tout avait basculé. Les absences avaient depuis longtemps disparu et je ne m’en plaignais pas. Malgré tout, intérieurement, je savais que c’étaient elles qui me guidaient dans mes recherches et me mettaient sur la voie à suivre.

Le plus surprenant c’était que depuis mon “coma” ma mémoire était étonnamment efficace, il m’arrivait même d’apprendre des choses sans savoir d’où venaient les informations. Je prenais plaisir à vivre toute cette normalité. Pourtant, cela faisait alors trois mois que je sentais quelque chose ou quelqu’un qui m’appelait. Rien de vraiment concret. Comme une présence de plus en plus proche. Le plus surprenant c’est que ma petite soeur de sept ans, avec qui j’avais tissé des liens très forts, semblait elle aussi perturbée.

Ce soir-là, je regardais un documentaire sur les Mayas. Confortablement installé dans le salon je surveillais d’un oeil distrait ma petite soeur qui dessinait dans un silence relatif sur la table à deux mètres de moi. Ce baby-sitting improvisé ne me gênait pas, et cela permettait à nos parents de passer une petite soirée au restaurant en amoureux. C’est alors que quelqu’un sonna à la porte. Intrigué par cette visite tardive, je bondis hors du canapé et répondit à l’interphone. C’était le professeur Delaroi. Je le fis monter et lui ouvris la porte. Je l’invitais à entrer, je sentis une hésitation quant à la direction à prendre en franchissant la porte et réalisais que c’était la première fois qu’il venait. Il était maintenant bien plus petit que moi et je me penchais pour lui parler. Il était particulièrement agité et refusa sèchement d’un geste de la tête et d’un grommellement quand je lui proposai un rafraîchissement. Son comportement dénotait de celui qu’il avait toujours eu. Non seulement cette agitation notable qui contrastait avec son calme habituel, mais aussi une impatience évidente. Il finit rapidement par me demander :

- Tes parents sont absents ?

- Oui, ils ne reviendront pas avant deux heures, l’informais-je en regardant l’heure sur ma montre.

- Mince, je suis pressé et c’est urgent.

- Revenez plus tard, proposais-je.

- Ça ne peut pas attendre. Je vais plutôt te dire ce pour quoi je suis venu jusqu’ici sans qu’ils ne soient là.

Ma petite soeur n’avait pas bougé, mais je voyais que la présence du professeur avait éveillé sa curiosité.

- Qu’avez-vous à me dire ?

- Hé bien, nous avons accueilli, il y a quelque temps, un patient.

- Et ?

- Avec la même blessure que toi. Encore plus ancienne, mais toujours bien visible.

- Au coeur ? m’exclamais-je fort surpris. Il va bien.

- Oui, si on veut.

- Comment ça ? Si on veut.

- Sa blessure est cicatrisée depuis longtemps. Mais il est tombé dans le coma juste avant d’arriver. Et il a près de quatre-vingt-dix ans à ce qu’on a peu déterminé, car il est sans papier.

- Qu’est-ce qui vous fait dire que sa blessure est la même que moi ?

- Hormi sa forme, sa taille et sa cicatrisation, en plus du coma. Son analyse de sang révèle la présence de la même substance que tu avais et que tu as toujours.

- Il est comme cela depuis combien de temps ?

- Trois bons mois.

- Et vous ne m’en parlez qu’aujourd’hui !

- Je ne l’ai en charge que depuis trois jours et les résultats d’analyse sont arrivés en début de soirée.

Trois mois, répétais-je intérieurement. Je fis alors le lien avec ce que je ressentais depuis quelque temps. La présence de cet homme était-elle liée à mes troubles ou juste le fruit du hasard ?

- Et pour cette cicatrice, vous êtes certain que c’est la même que la mienne ?

- Oui sans le moindre doute. De plus un étrange tatouage la recouvre et la camoufle. C’est pour cela que personne ne m’a parlé plus tôt de cet individu.

- Un tatouage ?

- Oui. Il représente une pierre tombale avec une date unique dessus. Il sortit un calepin de sa poche et me dit. Celle du 21 juin 1312.

À ces mots je suis resté interdit. Voyant mon désarroi, le professeur me dit, non sans arrière-pensé :

- Veux-tu le voir ?

- Bien sûr, m’exclamais-je presque indigné qu’il pense le contraire.

- Quand veux-tu venir ?

- Demain après les cours. L’hôpital est sur mon chemin.

- Très bien,à demain alors.

Sur ces mots, Delaroi prit congé et s’en alla aussi vite qu’il était venu. Je réalisais alors qu’il était plus calme. Comme soulagé d’un fardeau qu’il avait trop porté. Une fois seul, je restais face à la porte en silence touchant ma cicatrice du doigt au travers de mon pull. Je sentis alors une légère brûlure comme il m’était déjà arrivé de ressentir, mais pas aussi violente que celle-ci. J’en retirais vivement la main et c’est alors que ma petite soeur me dit.

- Tu as mal.

- Non, juste surpris par un picotement.

- Tu veux que vienne avec toi voir le vieux monsieur demain ?

Je m’accroupis devant elle, et lui pris ses mains dans les miennes et lui murmura :

- C’est quelque chose que je dois faire seul et en secret.

- Je vois, dit-elle avec une étincelle d’espièglerie dans les yeux. Je crois que demain après-midi tu restes à la bibliothèque. En tout cas c’est ce que je dois dire aux parents.

- Exact, dis-je en me relevant et l’embrassant sur le front, toujours surpris par sa vivacité d’esprit caché derrière son apparente innocence.

J’abandonnais le documentaire pour le reste de la soirée et me plongeait dans mes notes, assisté par ma petite soeur qui depuis quelque temps semblait développer un don pour le dessin. Elle prenait mes notes et mes descriptions et en faisait des dessins d’un surprenant réalisme. Surtout pour son âge.