Alta Spéra

Alta Spéra, cité de la solitude.


Au cœur de l’impitoyable désert de Méduz, lieu on ne peu plus inhospitalier se dresse la cité de la solitude. Piégé dans une tourmente climatique Alta Spéra reste un endroit que tout habitant de Fley’ra se trouve un jour poussé à voir au moins une fois. Des tempêtes de sable incessantes balayent avec force le désert dont l’hostilité est accrue le jour par une chaleur qui déshydrate un homme sans protection en quelques minutes, et qui gèle le bois la nuit.

Alta Spéra est bien loin d’être la destination la plus accueillante de Fley’ra, car hormis l’auberge et l’étable, on y trouve que le temple du repentir et celui du partage. Elle se trouve, au mieux, à deux mois de voyage de la première zone habitée Alta Spéra reste la seule escale de tout le désert permettant de relié le nord au sud de la contrée des trois lunes en moins de six mois. C’est un périple aussi dangereux qu’éprouvant, mais un moyen pour certains d’apprécier le peu qu’ils possèdent.

Au commencement, Alta Spéra n’était qu’une minuscule oasis à peine visible en plein cœur du désert. Elle n’offrait à l’origine que de l’eau, car les tempêtes de sable interdisaient toutes haltes excédant dix minutes sous peine de ne plus avoir la force de repartir. Et les températures extrêmes achevaient ceux que les intempéries avaient épargnés.

Pourtant, un jour un tailleur de pierre se retrouva piégé avec sa caravane suite à une halte trop longue la majeure partie de ses bêtes de somme périrent étouffées par le sable qui s’accumulait autour d’elles. Tentant de sauver sa précieuse cargaison le marchand se blessa à la jambe, rendant alors impossible la poursuite de son voyage qu’il avait entrepris seul faute de compagnon assez courageux pour se lancer dans un tel périple. Pourtant sa blessure n’entama pas sa détermination à survivre, car malgré la douleur et les conditions, il parvint à ériger un mur de pierre avec une partie de ses ressources, lui permettant ainsi de se protéger d’un bon nombre des agressions climatiques. Conscient de sa situation à l’aide des trois dernières bêtes de trait qui avaient atteint l’oasis et des cinq chariots, il installa un camp de fortune et regroupa les dix-sept malheureuses créatures qui avaient péri afin des les conserver pour se nourrir. Il lui restait aussi ses deux vaches, trois chèvres et quelques poules. C’est dans ces terribles conditions que le voyageur se résigna à demeurer dans son camp de fortune en attendant que sa guérison lui permette de repartir.

Le lendemain, après une nuit particulièrement froide, la chance lui sourit pour la première fois. La tempête de sable lui offrit une salvatrice accalmie, et ce, deux jours durant. C’est grâce à cela qu’il entama ce qui devint le but de sa vie. Il repéra l’origine de la source d’eau dans la mare qui demeurait entre de frêles arbres. Elle ne faisait que quelques centimètres de profondeur à cause du sable qui s’accumulait, mais c’était aussi ce qui faisait sa pureté. Il bâtit alors tout autour, en utilisant le reste de son chargement, les fondations de ce qui devint jour après jour sa demeure. Mais tous ces efforts n’aidaient pas son rétablissement, tout en trainant la patte dans le sable qui le brulait et irritait sa blessure il progressait si lentement dans la construction de son abri qu’il voyait se profiler dans son avenir une obligation définitive de rester sur place. Mais bien qu’il a eu assez de nourriture pour le moment et qu’il s’était arrangé pour que la viande qu’il avait extraite, du mieux qu’il pouvait, des bêtes mortes se conserve, il était évident qu’il lui faudrait trouver, un jour ou l’autre, d’autres sources d’alimentation.

Heureusement, les efforts qu’il faisait pour améliorer chaque jour son habitat rendaient moins difficile le suivant. Après quelque temps, il avait bâti une petite maison, agrandi son mur protecteur, et avec les pierres restantes, il avait construit un puits autour de la source. Il était même parvenu à faire entrer l’eau dans son logis pour pouvoir boire sans être obligé de sortir lors des grosses tempêtes. Pendant ce temps, ses réserves s’amenuisaient et l’état de ses animaux empirait ceux-ci s’affaiblissant faute de nourriture. La végétation autour de l’oasis était présente, mais demeurait insuffisante pour satisfaire pleinement les besoins de tous.

Mais le vent d’est, qui balayait le désert, étant dévié en partie par le mur fraichement édifié, laissait désormais de-ci de-là apparaitre la terre sous le sable. Il entreprit finalement d’utiliser le bois de ses chariots, qui ne lui servirait plus, pour construire une étable pour préserver ses animaux. La zone ainsi de plus en plus à l’abri, offrit rapidement une végétation, plus dense et plus verte permettant aux bêtes de reprendre à leur tour des forces. Dès lors, il s’attela à améliorer tout cela.

Une fois son logis érigé, il agrandit le mur protecteur avec les pierres restantes et celle de l’oasis. Le séparant ainsi des violents vents d’est qui amenaient les tempêtes. Dès lors, il parvint à survivre plusieurs mois sur les réserves qu’il avait emportées pour son long voyage. Malgré tout, il demeurait trop exposé et sans la moindre ressource pour continuer d’améliorer la structure. Pourtant il se lança dans un projet fou. Celui de cultiver les quelques graines qu’il avait en sa possession. Après avoir retiré l’épaisse couche de sable, il atteignit enfin la terre pour y planter ce qui était son dernier espoir. Les jours passèrent, longs et éprouvants, et c’est sous le regard du cultivateur improvisé que pointèrent les premières pousses. Ses efforts pour maintenir le sable loin de ses plants avaient été récompensés. Il avait dépensé beaucoup d’énergie pour ce résultat qui le comblait de joie, mais il faut au bord de l’épuisement. Mais, bien loin de renoncer, il prit la terrible décision d’abattre un bœuf. Récupérant ainsi de la nourriture pour reprendre des forces, préservant de cette manière une partie du peu d’herbes disponible pour la chèvre et la vache qui avaient survécu. Le premier repas qu’il se prépara après avoir abattu la pauvre bête fut de loin le meilleur qu’il n’avait jamais eu, mais il avait aussi l’amertume du sacrifice de son précieux animal. Pourtant le lendemain, alors qu’il allumait son feu, pour faire cuire son diner, une surprise des plus inattendues survint. Un homme et son fils, tous deux, à bout de force, écroulés sur leur monture, apparurent venant du brûlant désert. Par leur simple présence, ils apportèrent au voyageur solitaire une bouffée d’espoir. Il leur porta secours en leur donnant à boire et de quoi manger. Quelques heures plus tard, les malheureuses victimes du désert se sentaient déjà mieux. Et purent conter leur histoire. Le feu les avait orientés comme un phare dans la nuit, alors que le vent et le sable les avaient fait quitter la piste depuis bien longtemps. Leur guide était mort suite à la piqûre d’un scorpion quelques jours auparavant si bien que rapidement ils s’étaient perdus et avaient erré dans le désert finissant par tarir leur réserve d’eau et de nourriture. Mais l’espoir était revenu grâce à lui et son oasis.

Ce fut une révélation pour cet homme qui vivait seul depuis si longtemps. Son destin était dans ce lieu si inhospitalier, au fin fond désert. Il se devait d’aider les âmes perdues. Mais comment ? Ses réserves n’étaient pas bien grande et tout comme son habitat et tout cela ne suffiraient pas sans avoir plus surface protégée pour stocker et produire. Mais il profita de ce moment privilégié durant lequel sa solitude avait disparu. Ils discutèrent longtemps, réchauffés par le feu qui contrastait avec le froid de la nuit qui avait fini par tomber. La présence d’autrui était un réconfort non négligeable. Ce qu’appréciait chacun des trois convives. C’est bien à l’abri de la minuscule maison de pierres que les trois hommes passèrent la nuit.

Le lendemain, le père proposa un marché à son hôte, proposition qu’il écouta avec la plus grande attention. N’ayant qu’une seule monture pour rentrer il devait laisser sa progéniture puis revenir le chercher, il offrit en échange de son hospitalité pour son fils durant cette période, son chariot et la totalité de toute la cargaison qu’il renfermait. Ce dernier qui se trouvait à quelques minutes de l’oasis devait contenir une foule de denrées qui allaient des matériaux aux semis. L’affaire fut conclue en un clin d’œil. Le matin même, après de rapides préparatifs, l’homme partit avec toutes les provisions nécessaires pour son voyage, laissant son fils en plein cœur du désert.

Plus de trois mois s’écoulèrent, et la vie dans cet univers sec et aride mettait la volonté de ses habitants à rude épreuve. Malgré tous leurs efforts, les deux hommes parvenaient tout juste à avoir assez de victuailles pour survivre, et la moindre catastrophe risquait de briser le fragile équilibre qu’ils étaient arrivés à instaurer. Mais un beau matin, une imposante caravane fit une halte, repérant l’habitation grâce à un feu sans cesse entretenu par ses occupants. Ce fut une grande surprise quand, sortant d’un nuage de sable, apparut le père s’approchant des deux hommes qui étaient venus voir d’où arrivaient tous ces voyageurs. Mais le fils resta sans voix dès qu’il aperçut dans son sillage ses quatre sœurs, ses deux frères puis sa mère et ses grands-parents. En retrait, deux guides s’occupaient de rapprocher la douzaine de chariots qu’ils avaient escortés. Pierre, bois, semis, victuailles, et bien d’autres. Des animaux, rendus faméliques par l’éprouvant voyage, suivaient, en cages ou en cordée, le convoi. Le père dit alors à leur hôte : « Je ne pouvais pas laisser seul mon sauveur dans une si noble entreprise. Voici la contribution de ma famille pour ce grand projet. »

Après le départ des guides, et fort de leurs nombreuses ressources la troupe commença s’installer et étendre la structure naissante de leur habitat. Le mur de protection fut agrandi par les chariots, et le logis par les pierres. Un mois plus tard, un voyageur s’arrêta. On lui offrit le gîte et le couvert, dont il s’acquitta en contrepartie d’un seau de terre et de la pierre. Il dit alors au père « Comme convenu, un seau de terre ou de la pierre, en échange de la nuit et d’un repas. J’ai pris les deux. Car c’est pour la bonne cause. » Depuis ce jour, c’est la coutume pour ceux qui passent la nuit. Ces dons permirent rapidement à bâtir une vaste halte, largement fréquentée. Qui s’agrandit vite d’un marché, où depuis, les rares marchandises telles que l’eau, la nourriture et les vêtements circulent pour ceux qui voudraient s’enfoncer plus loin dans le désert. En l’espace de dix ans, la totalité de Fley’ra avait connaissance de la Alta Spéra et elle s’imposa comme l’escale indispensable de tout voyageur ou commerçant désirant traverser la contrée aride. Vers la fin de leur vie, deux fondateurs décidèrent d’élever un phare pour guider les âmes perdues, mais ce fut leurs descendants qui achevèrent le projet. Plus tard, quelques routes furent aménagées à proximité pour simplifier la circulation autour de l’enceinte grandissante.

Voici maintenant plus de deux mille ans que cela la dure. La règle d’entrée demeure la même. Si bien que désormais, les murs d’enceinte sont en pierre et si haut que les tempêtes ont du mal à passer au-dessus. Et ils sont si épais que l’on entend plus le souffle du vent. Deux temples, où de nombreux voyageurs se recueillent pour trouver la paix, ont été érigés à la mort de chacun des deux fondateurs de la halte. Leurs descendants s’occupent toujours de recevoir, les pèlerins, les marchands, ou les âmes perdues dans le même esprit de solidarité et d’humilité que le voulaient leurs aïeux. Chaque année, des milliers de voyageurs s’arrêtent pour profiter du logis et du marché et aucun individu n’a jamais osé s’attaquer à la halte, car il est dangereux d’y vivre, et surtout elle est pauvre et isolée de tout. Seule la petite vingtaine de descendants y résident en toute quiétude et humilité. Leurs uniques richesses, une terre fertile savamment cultivée et une source d’eau au milieu d’un havre de paix.