Souffle funeste

Souffle funeste

Souffle funeste


Aujourd’hui, une femme est morte, dans des circonstances autant tragique qu’affligeante. Je l’ai rencontrée, il y a quelques jours, dans le cadre d’un reportage sur les femmes qui réussissent dans un monde d’homme. Elle s’appelle Diane et s’est suicidée. Ce n’est pas la première ni la dernière, allez-vous peut-être penser comme beaucoup. Sans doute résultat de l'indifférence et de l’égoïsme des membres de notre société. Une telle chose ne se serait certainement pas passée comme cela il y a un peu plus d’un siècle. À cette époque, le suicide n’était pas une des premières causes de mortalité.


Mais qu’est-ce qui a poussé Diane à en arriver là ? Hé bien ! Sans doute la mort de sa fille Clarisse, une adorable fillette de 11 ans qui aimait plus que tout sa maman. La pauvre est décédée sur la table d’opération, victime des blessures qui lui ont été infligées lors de son accident de voiture. Un « bête » accident. Son père envoyait un texto à sa mère lors du drame. Un petit mot qui disait : «D’accord ! Nous arrivons après avoir fait ta course, mon amour. Nous viendrons te soutenir ».


C’était un samedi après-midi. De nombreux enfants jouaient dehors. Il y a eu une balle perdue. Puis un garçon qui traverse sans regarder. Maxime, le mari de Diane, l’évite en faisant une embardée et fait un face-à-face avec une autre voiture. Le couple dans l’autre véhicule est mort sur le coup. Mais Maxime a eu les deux jambes coupées. Par chance, Toni, leur fils de quatre ans, était ce jour-là avec sa tante. Mais sa sœur dans la voiture est morte parce que son groupe sanguin est rare.


Diane est une battante, elle travaille beaucoup. La pression est énorme, mais elle a évincé tous ceux qui se sont mis sur son chemin. Pour se détendre, elle joue au poker et elle y excelle. Malheureusement, elle a été atteinte il y a quelque temps par un cancer. Elle a subi une opération qui lui laisse actuellement un trou dans la gorge. Elle doit donc parler temporairement avec un appareil. Le tabac est la cause de cette première opération et une seconde est prévue pour son cancer du poumon, vendredi après-midi.


J’ai vu Diane jeudi après-midi. Elle fumait, par ce petit trou, une cigarette. Et bien que cela soit la cause de son malheur, cela ne la gêne pas de fumer. Perturbé de la voir s’intoxiquer, je lui ai dit :

- Vous ne devriez pas fumer dans votre état, ni plus jamais.

Sa réponse fut immédiatement malgré le petit appareil qui lui donne une voix d’outre-tombe.

- J’ai le droit. Je fais ce que je veux. J’assume.

Elle a toussé et m’a laissée seule en bas des marches près des admissions.

Le lendemain, son opération a été repoussée au jour suivant, simplement parce qu’elle avait fumé et qu’elle n’était pas en état pour l’intervention.


Clarisse n’avait pas école le samedi et pouvait donc venir voir sa maman à l’hôpital, ce qu’elle n’aurait pas pu faire la veille. Elle était heureuse. Une maman qu’elle adore et qui allait la voir au réveil. Cette même maman, qui a envoyé un texto à son papa, juste avant d’entrer dans la salle d’opération. Il disait :

- Prends-moi un paquet de clopes au passage.

Mais il y eut une réponse.

- Je vais devoir faire un détour et nous ne pourrons pas te voir avant ton entrée en salle d’opération.

- Prends-en, c’est important.

- D’accord ! Nous arrivons après avoir fait ta course, mon amour. Nous viendrons te soutenir.


Le matin même, Diane a fumé sa dernière cigarette et a été prise d’une quinte de toux, si violente qu’elle a craché du sang. Mais elle ne l’a pas signalé. Lors de l’opération, tout est allé de travers et elle a perdu beaucoup de sang. Et l’opération s’est éternisée. Par chance, elle a été sauvée et l’opération fut une réussite. Les médecins venaient de réaliser un miracle compte tenu des conditions.


À son réveil, elle était seule. Elle a fulminé, car personne n’était là. Avant même qu’elle eût fini de biper, une infirmière était avec elle. Elle lui ordonna de trouver son mari, sur-le-champ. Mais elle lui annonça :

- Il ne pourra pas venir, lui répondit-elle.

- Et il a une bonne raison ? maugréa-t-elle dans le petit appareil.

- Il a eu un accident en venant ici et ses deux jambes ont été arrachées et broyées. Il est actuellement au bloc et lutte pour sa survie. D’après ce que j’ai compris, il envoyait un texto au moment de la collision. Il a percuté une autre voiture en se déportant.

- Et ma fille ?

- Elle a eu de multiples perforations qui ont engendré une perte de sang massive. Et nous n’avons pas eu de sang pour la sauver.

- Pourquoi n’aviez-vous pas assez de sang ? rugit-elle tellement la douleur lui faisait mal.

- C’est un sang rare que celui de votre fille. Une autre opération en nécessitait. Le patient avait enfreint le protocole préopératoire, ce qui a provoqué un besoin si important de sang que nous avons tout consommé pour le sauver. Et quand votre fille est arrivée, il n’y en avait plus.

- C’est un scandale, hurla Diane, il faut le poursuivre. Qui est-ce ?

- C’est vous ! dit brutalement son interlocutrice.

Diane se figea et ne prononça plus un mot.

Le lendemain sans même avoir revu son mari et son fils, Diane est sortie de l’hôpital et s’est jetée devant un bus. Sa tête a traversé le pare-brise. Le chauffeur qui n’a rien pu faire, est traumatisé et se reproche son manque de réflexe. Tandis que les passagers, principalement des enfants sont choqués.



Chaque acte a ses conséquences.

Ce n’est pas parce que l’on a le droit de faire quelque chose qu’il faut forcément le faire.

Ce n’est pas parce qu’on est libre que l’on peut tout faire.

Assumer ce n’est pas qu’une question d’argent. C’est aussi une question de moralité.

Le civisme, c’est aussi s’autogérer. Et il a presque disparu.