Comment contrôler toutes les diagonales ?
Appuyons sur la touche Fast Forward (16. c4 Cbd7 17. Tb1 b6 18. Dd2 Ch5 19. Tg4 Cdf6 20. Tg2 Tad8 21. Fe3 g6 22. a4 Cg7 23. Td1 Ce6) pour nous retrouver à l'issue du 23ème coup.
Siegbert TARRASCH - Richard TEICHMANN
Tournoi de Monte Carlo (1), 10.02.1903
3rr1k1/p4p1p/1ppqnnp1/8/P1PP4/3BBP2/3Q1PRP/3R3K w - - 3 24
Diagramme 4
Les forces noires regroupées avec soin par les Noirs commencent à darder avec insistance vers les cases les plus faibles du camp adverse :
Un beau cas que ce Fe3, en vérité !
Auparavant, il clouait depuis g5 un Cavalier. À présent, il ne peut même plus y retourner alors qu'une Tour s'est installée en d8.
Et aller en h6 ne comporte aucune menace tangible, faute de perspective de levier
contre les pions f7-g6-h7 ; faute également de cases utilisables par la Dame ou par les Tours à proximité du roque.
On l'a vu, ce Fou est immobilisé à la garde du pion d4 ; pourtant, s'il s'était replié en g3, il aurait pu couper tous les angles d'attaque du roque.
Et le Fd3 ?
- Well... d'une part, son champ d'action a été rogné par g6 ; d'autre part, rien ne semble susceptible de se passer à l'Aile Dame
où les pions noirs sont en train de vivre une partie tout ce qu'il y a de plus tranquille.
Du point de vue des Noirs, il est incontestable que la coordination des Cavaliers est excellente : tous les deux sont à présent situés dans la zone de leur carré magique où les événements pourraient bientôt se précipiter. En outre, leur symbiose avec la paire de Tours est exemplaire.
Au lieu de suivre cette suggestion, Tarrasch s'entêta au contraire par 24. Ff5, cherchant à tirer profit du clouage du pion g6 ; en réponse, Teichmann put choisir entre la chasse au pion (via 24… Da3) et la poursuite de sa progression de Cavaliers en serpentin à destination du roque.
Cette stratégie, davantage dans le style des Noirs, ne pouvait que se traduire par 24… Ch5 puis, après le piteux 25. Tgg1, par 25… Ceg7.
Dans cette position, Stockfish 6.0 (5 minutes)
accorde pour la première fois un léger avantage aux Noirs (+0.28
) en considérant comme meilleure suite à venir pour les Blancs 24. Fe4.
Une telle continuation impliquerait toutefois que le Praeceptor Germaniae consente à mettre de son plein gré l'un de ses sacro-saints Fous en prise
. Ceci impliquerait un changement d'état d'esprit de sa part : qu'il consente par exemple enfin à se séparer pour toujours de l'un de "ses" Fous, en échange d'un, dynamique certes, mais ô combien misérable Cavalier.
“Tarrasch hätte den Springer im vorigen Zug abtauschen sollen, denn nun werden die beiden Springer sehr stark”
(Tarrasch aurait dû échanger le Cavalier au coup précédent, car à présent la paire de Cavaliers devient très forte)
Helmut WIETECK, “Caro-Kann. Die Verteidigung der Weltmeister”, Erich Münster-Verlag, Nuremberg, 1991, p. 12.
Puis, Siegbert Tarrasch persista dans sa stratégie de préservation de ses Fous pour commettre l'ultime erreur de stratégie dans son traitement de la partie avec le retrait 26. Fb1.
Comment contrôler à la fois les pions et les cases faibles ?
3rr1k1/p4pnp/1ppq2p1/7n/P1PP4/4BP2/3Q1P1P/1B1R2RK b - - 8 26
Diagramme 5
À la fin de la leçon 3 figurait le mode de recherche du tableau des pièces en l'air. Appliquons cette méthode à la position du Diagramme 5.
Marquons d'un macaron rouge (voir le tableau de gauche, ci-dessous) les pièces des deux camps qui ne sont pas du tout protégées.
Il est frappant de constater que quatre pions blancs, dont deux dévolus à la sécurité rapprochée du Roi, figurent parmi les suspects.
Comme c'est aux Noirs de jouer, identifions en outre toutes les cases qui ne sont contrôlées par aucune pièce blanche.
Dans la figure ci-dessous à droite, ces cases sont marquées en jaune.
On le voit : les Noirs ont un choix très large, autant en ce qui concerne le nombre de pions à attaquer que de cases à partir desquelles les viser.
Laissons la parole à l'ordinateur pour déterminer le 26ème coup noir le plus efficace :
(*) = ce coup profite du clouage du pion d4, mais il est moins bon car il permet aux Blancs de désserrer aussitôt l'étreinte par 27. d5
Les archives du Tournoi de Monte Carlo ne permettent pas de connaître le temps de réflexion exact que s'est accordé Richard Teichmann.
Toujours est-il qu'il choisit le coup considéré comme le meilleur par Stockfish 6.0
… après mûre réflexion, à savoir 26… Df6 .
Fast Forward : la Dame gagna la case qui l'attendait depuis si longtemps au 33ème coup (Diagramme 6) ;
Tarrasch consentit à troquer l'un de ses Fous au 36ème coup, ne pouvant plus supporter la vue des Cavaliers surpuissants (Diagramme 7)
Diag. 6 Diag. 7
Quant au coup de grâce, il fut donné par l'élégant 37… f6 libérant le passage de la Te7 vers la colonne g.
Tarrasch buvait ainsi le calice jusqu'à la lie, expiant sur les lieux même de son péché originel du 11ème coup, celui d'avoir préféré reprendre en f3 d'un pion afin de ne pas se priver du pion d4.
Diagramme 8 (après 37… f6)
Notons dans ce très esthétique tableau de mat
la fermeture hermétique des secours au roque à cause de l'empilement anarchique des pièces sur la colonne f.
La partie se conclut par 38. Te1 Dh3 et Tarrasch abandonna, puisque même le sacrifice de la Dame mène à un mat en 4 coups
:
39. Dxe7 Txe7 40. Rh1 Tg7 41. Tg1 Df3+ 42. Tg2 Dxg2#
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