1. c4 c5 2. Cf3 Cc6 3. d4 cxd4 4. Cxd4 Cf6 5. Cc3 e6 6. a3 (variante mise en vogue par le Britannique Speelman) Fc5
Deux ans auparavant, une partie de haut niveau ayant opposé Jonathan SPEELMAN au Néerlandais Jan TIMMAN avait continué par 6... d5 7. cxd5 exd5 8. Fg5 Fe7 9. e3 O-O 10. Fb5 et s'était terminée par la nulle (Coupe du Monde, Reykjavik, 1988, 1/2, 48.)
7. Cb3 Fe7 8. e4 O-O 9. Fe2 b6 10. O-O Fb7 11. Fe3 Tc8 12. Tc1 Ce5
2rq1rk1/pb1pbppp/1p2pn2/4n3/2P1P3/PNN1B3/1P2BPPP/2RQ1RK1 w - - 6 13
(après 12... Ce5)
Ce coup est classique. Il incite les Blancs à jouer 13. f4, ce qui permet au Cavalier de se mettre en sécurité en g6. Ensuite, les Noirs continuent de préparer la poussée d7-d5 qui, en règle générale, leur fournit un jeu égal.
L'idée d'Andersson est tout autre : abandonner le pion e4 pour s'en aller pêcher le pion a7.
3 tempi
(Cc3-b5 ; Cb5xa7 ; Ca7-b5), maisisolani
adverse en b6.Andersson fait ainsi le pari que l'abandon du centre de sa part n'entraînera que gêne dans le camp opposé.
13. Cb5 Cxe4 14. Cxa7 Ta8 15. Cb5
15... d6 (+0.11 Stockfish 6 30"
) première concession positionnelle du champion soviétique : la présence à terme d'un pion noir en d5 devient improbable ; 15... Cg6 dans l'idée de son coup précédent lui assurait peut-être un développement un peu plus élastique.
16. C3d4 (un coup tel que 16. f3 gagnait certes un tempo
sur le Ce4, mais en perdait un dans la perspective de l'avènement d'un pion en f4)
16... Cf6
"Svarts ställning är föga angenäm men Polu har ju faktiskt en majoritet pä kungsflygeln. Ett försök att utnyttja denna vore 16... Dd7 och eventuell f7-f5 (17. f4 Sg6)" (Kjell KRANTZ in "Tidskrift för Schak" Nr 7-1990, page 288)
[traduction du suédois : "La position des Noirs n'est pas très agréable, mais "Polu" dispose effectivement d'une majorité à l'aile-roi. Une tentative de l'exploiter serait16... Dd7 suivi éventuellement de f7-f5 (si 17. f4 suit 17... Cg6)"]
17. f4 Ced7 18. Ff3
Diagramme 1 : Andersson-Polougaïevski, position après 18. Ff3
r2q1rk1/1b1nbppp/1p1ppn2/1N6/2PN1P2/P3BB2/1P4PP/2RQ1RK1 b - - 0 18
Les Blancs dominent la position à l'aide de l'excellent positionnement de leurs pièces légères.
De nombreuses cases du camp noir sont faibles.
À court terme, le Fb7 est en prise
=> faut-il l'échanger ou le protéger ?
Aucun des termes de cette alternative ne semble agréable :
+1.46
), et la Tour et la Dame sont placés en dépit du bon sens ;+1.28
) et idem, mais cette fois pour le Cavalier et la Dame ; ou 18... Cc5 19. b4 Cce4 20 g4 (+ 0.83
), et les Blancs dominent les débats.Reste donc le très passif 18... Dc8 qui permet aux Blancs de maintenir la tension, c'est-à-dire de ne rien lâcher de leur emprise sur les cases marquées en bleu : 19. De2.
19... Td8 20. Rh1
"Pourquoi se presser ?", se dit le patient Suédois. Ceci étant, 20. g4 lui aurait donné un avantage positionnel proche d'un pion (+0.86
), selon l'ordinateur.
Mais l'idée de cette retraite du Roi se révèle dès la coup suivant : 20... Ff8 21. Fg1
En effet, le Fou continue à pointer vers l'isolani b6, mais cette fois depuis sa tanière.
21... g6 (les Noirs, qui n'ont pas grand' chose à entreprendre, se construisent un fianchetto
) 22. b4
r1qr1bk1/1b1n1p1p/1p1ppnp1/1N6/1PPN1P2/P4B2/4Q1PP/2R2RBK b - b3 0 22
(après 22. b4)
C'est vraiment un summum de massage positionnel !
À présent, g2-g4 menace réellement, coup qui serait suivi, au choix, d'un redéploiement des forces blanches vers le roque noir, ou alors de manœuvres le long de la colonne d.
Les Noirs ne savent plus ou donner de la tête : ils se résignent à abandonner leur duo
pions centraux d6-e6.
Qui sait ? Peut-être des possibilités tactiques se présenteront-elles ? Tout n'est-il pas préférable à continuer de subir la lancinante torture du Grand Maître scandinave sans bénéficier de la moindre perspective de contre-jeu
?
22... e5 23. Fxb7 Dxb7 24. fxe5 dxe5 25. Cc2
La poussière s'étant dissipée, que reste-t-il de la domination blanche que les Noirs doivent encore combattre ?
Diagramme 2 : Andersson-Polougaïevski, position après 25. Cc2
r2r1bk1/1q1n1p1p/1p3np1/1N2p3/1PP5/P7/2N1Q1PP/2R2RBK b - - 0 25
Le pion b6 a vu ses trois adversaires s'avancer dangereusement, et le pion e5 a beau être un pion passé
, il doit d'urgence être protégé par une pièce autre que le Cd7, car ce dernier menace d'être surchargé
par sa double mission de veiller à tenir toute cette zone de l'échiquier.
L'ordinateur a la même évaluation que Lev Polougaïevski : 25... Ch5 semble une suite annulante.
26. Tcd1
Encore faut-il ne pas céder aux mirages ...
Comme les deux Tours se font face sur la colonne d, le Russe se dit qu'il pourrait les échanger. Pour lui, le sacrifice de son pion e n'est pas grave, car il se dit que les Blancs ne sont pas suffisamment coordonnés pour percer à l'Aile Dame, ou pour s'en prendre à son Roi.
26... Cdf6 27. Dxe5 Txd1 28. Txd1 Te8 29. Dd4 Te2
5bk1/1q3p1p/1p3np1/1N5n/1PPQ4/P7/2N1r1PP/3R2BK w - - 3 30
(après 29... Te2)
Voilà le mirage et la ressource offensive qu'escomptait Polougaïevski : une attaque de mat sur g2.
Mais il a oublié que les Blancs peuvent se défendre, puis continuer à accroître leur pression sur b6, ce qui - il devrait le savoir - est leur idée fixe au vu l'absence initiale du pion c (A33 English Symmetrical Variation 1. c4 c5
) et de la disparition de son pion a7 au quatorzième coup.
30. Ce3 Ce4 31. Cc3 Cxc3 32. Dxc3 De7 33. Cd5 (cette fois, le pion b6 tombe)
33... De4 (toujours cette menace de mat qui n'en est pas vraiment une) 34. Df3 Dxc4 (sur 34... Dxf3 35. gxf3 et le pion b tombe)
35. Cxb6
(après 35. Cxb6)
La position noire est en ruines : les Blancs ont deux pions passés éloignés
, leur Roi est en totale sécurité et les pièces légères noires sont en périphérie. En outre, les Noirs ont un pion en moins depuis le désastreux 26... Cdf6, joué alors que la nulle était en vue.
La fin de la partie n'est plus qu'agonie : 35... De6 36. Cd5 Fd6 37. g4 Cf4 38. Cxf4 Fxf4 39. Tf1 g5 40. Ff2 Ta2 41. Fg3 Da6 42. Fxf3 Txa3 43. Fe3 1-0.
1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fb5 Cf6 4. O-O Cxe4 5. d4 Cd6 6. Fxc6 dxc6 7. dxe5 Cf5 8. Dxd8+ Rxd8 9. Cc3 Re8
Ces premiers coups ont été commentés dans la partie Karpov - Miles de la première ronde.
Dans le contexte de 10. b3, Miles n'avait jamais cru bon de placer son Fou de cases blanches en avant du pion e5. Ce Fou s'était ensuite retrouvé loin du lieu du combat au moment essentiel de celui-ci.
=> Quand le jeune Américain lui joue 10. h3 (coup destiné à chasser ensuite le Cavalier), il prend cette fois bien soin d'installer "correctement" (du moins, comme le préconise la tabiya
de l'Ouverture C67
) son Fou de cases claires.
10... Fe6 11. g4 Ce7 12. Cg5 (chatouille le Fou et point vers le point faible f7)
12... Fc4 (reste sur la diagonale du pion f7 et chatouille à son tour une pièce blanche)
13. Te1 (13. Td1 est également dans l'esprit de la Berlinoise)
13... Cd5
r3kb1r/ppp2ppp/2p5/3nP1N1/2b3P1/2N4P/PPP2P2/R1B1R1K1 w - - 5 14
(après 13... Cd5)
Les Blancs auraient une position plutôt avantageuse s'ils parvenaient à jouer f2-f4, ce qui leur donnerait par la suite le choix entre plusieurs types de duos
(e5-f5 ou g4-h4) avant d'entrer en contact avec les pions noirs de l'Aile Roi.
Cependant, les pions blancs ne peuvent pas s'avancer en rase campagne, sans être soutenu "de l'arrière" par un nombre suffisant de pièces légères.
Si les Blancs n'ont pas de souci avec le Fc1, il est par contre évident que le Cg5 sera bientôt chassé, soit par Ff8-e7, soit plus vraisemblablement par h7-h6.
Quant au Cc3, au moment d'envisager un périple en direction des pions orientaux, qu'il prenne bien soin d'éviter les cases blanches, car (autre thème de la partie Karpov-Miles), dans la Berlinoise les Noirs sont les maîtres absolus des cases blanches.
Le cheminement choisi par De Firmian commence donc par 14. Cd1 et le déroulement de la partie est conforme à ce qui vient d'être énoncé.
14... h6 15. Ce4 Cb4 (menace de prendre en c2) 16. Ce3 Fd5 17. Cg3 Fe6 18. a3 Cd5 19. Cg2 a6 20. f4.
Mission accomplie à l'Aile Roi pour les Blancs !
20... Fc5+ 21. Rh2
Diagramme 3 : De Firmian-Miles, position après 21. Rh2
r3k2r/1pp2pp1/p1p1b2p/2bnP3/5PP1/P5NP/1PP3NK/R1B1R3 b kq - 0 21
Les Blancs ont tiré tout ce qu'ils pouvaient de la position. Au sortir de l'ouverture, ils disposent d'une majorité à l'Aile Roi parfaitement en ordre de bataille, soutenue par des pièces en nombre suffisant, et leur Roi est en sécurité.
Les Noirs disposent de la paire de Fous
, mais l'efficacité de celle-ci serait fortement réduite si les Blancs jouaient b2-b4 et achevaient de placer leurs pions sur des cases blanches via f4-f5 ; le Cavalier est venu (13° coup), puis revenu (au 18°) sur la case d5, mais c2-c4 menace de le déloger ; enfin, le Roi devra encore gaspiller un tempo
afin de faire de la place et mettre en jeu au moins l'une de ses Tours.
Pour ces raisons, l'évaluation immédiate (30") de la position est +0.53
; elle est portée à +0.58
après 10 minutes. La meilleure suite envisagée par Stockfish 6
consiste à éliminer le Cg3 à l'aide du Fou de cases noires via 21... Ff2 22. Tf1 Fxg3+ 23. Rxg3, puis à chercher, soit à dynamiter la structure blanche par 23... f5, soit, plus prudemment, à contenir les avancées adverses en jouant 23... g6 (voir ce diagramme d'analyse ci-dessus à droite).
On peut se douter qu'en féru de la Berlinoise, Anthony Miles était de longue date un familier de cette position et qu'il avait (à l'époque sans l'assistance d'un ordinateur) dû travailler à domicile à rendre la position plus agréable du point de vue des Noirs. Comment entraver la progression de la chaîne de pions blancs ? Comment la désolidariser ? Ou même comment la paralyser ?
Il donne à voir le résultat de ses cogitations face à un adversaire sans doute moins affûté que Karpov ne l'était à la ronde précédente.
Miles a concocté un dispositif à deux branches :
clouage
de la Tour blanche : 22... Rf8Analysons le résultat de ces mesures radicales.
Le fait est que la fluidité de la structure de pions est à présent inéluctablement compromise.
tempo
en revenant en g3, il suit Fxg4, puisque le pion h3 est cloué.De Firmian reste songeur - on le serait à moins.
Il estime que le plus important, c'est, pour lui également, de soustraire son Roi au clouage adverse, ce qui l'incite à jouer 23. Rg3.
L'un des grands apports de l'ordinateur est qu'il ne craint pas les complications : il estime donc qu'il faut, pour maintenir du dynamisme à la position, désorganiser le camp adverse par 24. c4 et ainsi conserver l'initiative. Mais après 24... Cb6, il faut tout de même soutenir le pion c4 par 25. b3, ce qui permet aux Noirs de contre-attaquer 25... g6 26. Cf6 Td8 avec une plongée possible de la Tour sur la case (à nouveau "blanche") d3.
Toujours est-il que le coup qu'a choisi le jeune Américain a évaporé l'initiative blanche :
23... g6 24. Cf6 Cxf6 25. exf6 Fd4 26. f5 (si 26. g5 => 26... Txh3#)
26... gxf5 27. g5 Tg8 28. Rh2 Fd5 29. h4 Fxf6 30. c4 (si 30. gxf6 => 30... Txg2+ gagne le pion c2)
30... Ff3 31. Te3 Fxg2 32. Rxg2 Fd4 33. Td3 c5
r4kr1/1pp2p2/p7/2p2pP1/2Pb3P/P2R4/1P4K1/R1B5 w - - 0 34
(après 33... c5)
Le milieu de partie touche à son terme.
Ce sont les Noirs qui ont un pion de plus, mais, privé du soutien du Fou de cases blanches, f5 n'a aucun avenir.
Miles est néanmoins arrivé à ses fins : annihiler la force de frappe adverse qui écrasait l'Aile Roi.
Les pions g et h sont encore liés, mais ils ont à peine franchi l'équateur
.
La partie s'achève sur quelques dernières escarmouches : 34. Fe3 Fxe3 35. Txe3 Td8 36. Tf1 Td4
37. Txf5 Txc4 (nettement moins aigu était 37... Txh4)
38. h5 Tg4+ 39. Tg3 Txg3+ (à nouveau, 39... Th4 clôt les débats)
40. Rxg3 b6 41. g6 (41. h6 aurait pu quelque peu les prolonger)
41... Tg7 42. Rf4 Rg8 43. Rg5 fxg6 44. hxg6 Td7 45. Rh6 Td2 46. Tf7 Th2+ 47. Rg5 Tg2+ échec perpétuel
=> 1/2-1/2
1. d4 Cf6 2. Cf3 e6 3. Fg5 h6 4. Fh4 b6 5. e3 Fb7 6. Cbd2 Fe7 7. c3 c5 8. h3 O-O 9. Fd3 cxd4 10. cxd4 Cc6 11. a3 Ch5 12. Fxe7 Dxe7 13. O-O Tfc8 14. Tc1 Ca5 15. De2 d6 16. b4 Cc6 17. Tc2
(+0.25 Stockfish 6 5'
) 1/2-1/2
Diagramme 4 : Hort-Karpov, position finale
r1r3k1/pb2qpp1/1pnpp2p/7n/1P1P4/P2BPN1P/2RNQPP1/5RK1 b - - 2 17
1. d4 Cf6 2. c4 g6 3. Cc3 Fg7 4. e4 d6 5. Fe2 O-O 6. Cf3 e5 7. O-O Cc6 8. d5 Ce7 9. Ce1 Cd7 10. Cd3 f5 11. Fd2 Cf6 12. f3 Rh8 13. Tc1 c6
Le Diagramme 5 (ci-dessous, à gauche) montre qu'il s'agit jusqu'à présent d'une Est-Indienne (E99. King's Indian
) traditionnelle pour ce qui est du déploiement des pions : les Blancs ont franchi l'équateur
au centre de l'échiquier, mais les Noirs disposent en contrepartie d'un jeu solide à l'Aile Roi à l'aide du duo
e5-f5.
Tout aussi traditionnellement, comme l'essentiel de leur développement initial s'est déroulé sans encombre, les Noirs songent les premiers à rompre l'équilibre en questionnant le pion d5 au moyen du coup c7-c6. Les Blancs ont alors l'embarras du choix :
Ce qui nous préfigure cinq aires géographiques distinctes, et autant de manières différentes d'aborder le milieu de partie
dans l'Est-Indienne.
Question de goût, donc, pour Lautier qui emprunte l'embranchement (b) et pour le jeune Allemand, lequel opte pour (b2).
14.dxc6 Cxc6 15.Fe3 Fe6 (voir le Diagramme 6, ci-dessous à droite)
Diagrammes 5 et 6 : Lautier-Wahls, structures de pions après 13 et 15 coups.
En limitant toujours l'examen de la position à la topographie offerte par les pions, on constate que le pion d6 devra sans doute demeurer un objet particulier d'attention pour les Noirs, car il risque de rester longtemps arriéré
, tant l'accès à la case d5 est verrouillé par les Blancs. En contrepartie, la case d4 constitue un trou
dans la position blanche, et les Noirs gagneraient avantage à y loger un Cavalier (dans l'Est-Indienne, l'horizon du Fou de cases noires déployé en g7 est bouché par son propre pion e5), toute la question étant de savoir si les Blancs toléreront longtemps un tel maraudeur convoitant ostensiblement leur arrière-garde depuis la vue panoramique qui s'offre en d4.
16. Da4
Surprise : alors que 16. b3 reconstituait une chaîne de pions à peu de frais, c'est la Dame qui prend l'air à l'ouest, alors qu'on ne saisit pas très bien qu'elle pourrait être son objectif d'attaque. Tout juste les Blancs peuvent-ils espérer faire en sorte que la Tour noire de l'Aile Dame reste à demeure dans son coin plutôt que de faire pression, comme attendu, le long de la colonne c.
16... Cd4 Quo usque tandem? ce Cavalier abusera-t-il de sa position avantageuse, en effet...
17. Tfe1 En tout cas, rien ne presse, selon le Français.
17... a6 Délivrons donc la Tour de la garde du pion a, et montrons à l'adversaire que Dd1-a4 était superfétatoire, semble se dire Matthias Wahls.
On pourrait encore continuer longtemps à ne pas représenter la position par diagrammes et à décrire de loin et de façon sommaire les arabesques de ces quelque trente pièces encore à l'œuvre sur l'échiquier.
Comme l'indique Simon WILLIAMS (Angleterre) dans ses brèves vidéos sur Youtube qui vulgarisent les défenses praticables sans grand effort de mémorisation pour les Noirs, telles que la Pirc (1. e4 d6
) ou que l'Est-Indienne, le fait est que le développement des deux camps s'y avère en général tellement lent, harmonieux et sans surprise que ne s'y esquissent que très rarement des combinaisons tactiques, échanges de pions ou de pièces susceptibles de marquer une inflexion dans les intentions stratégiques des protagonistes. Comme les pions se frottent mais ne viennent pas vraiment au contact, "même une mazette peut tenir aisément pendant 20 coups contre un Grand Maître dans une ouverture telle que la Pirc ou l'Indienne du Roi" : voilà une phrase à peine imaginaire tant elle saisit pour l'essentiel cette opinion de Simon Williams sur ce genre d'ouverture.
Le chroniqueur de www.chess24.com Jan GUSTAFSSON (Allemagne) renchérit : "More often the struggle is sort of positional, and slow, and there... To my mind you need a lot of experience or you need to gain a lot of experience and not so much studying to become a good King's Indian player. [...] You're not gonna get crushed out of the opening in some theoretical lines but you are giving up a lot of space and you have to be comfortable with that. [...] I think you can play the King's Indian if you have a good feel for the positions without knowing all that much theory. [...] [Concerning your being ready for all possible move orders and move order trickery:] you don't have that worry with the King's Indian."
Leçon "Jan's Opening Clinic 7. 1.d4 edition" tournée en juillet 2015 (à réécouter à partir de 34')
Cessons cependant ici le jeu de pistes, pour en revenir à un commentaire de partie plus conventionnel.
Les trois graphiques ci-dessous montrent donc la position telle qu'elle se présente au regard des Blancs avant leur dix-huitième coup.
r2q1r1k/1p4bp/p2pbnp1/4pp2/Q1PnP3/2NNBP2/PP2B1PP/2R1R1K1 w - - 0 18
Un coup tel que 18... b5 constitue une réelle menace pour tout le set-up des Blancs sur l'Aile Dame : sur b7-b5, le pion c4 subira en effet 2 attaques
(pion b5 et Fe6) alors qu'il n'est défendu que par la Dame, et après 19. cxb5 axb5, la Dame sera contrainte de se replier sur d1, le pion a2 subira l'attaque conjointe du Fe6 et de la Ta8, et la percée ultérieure b5-b4 pourrait être préparée par un (des) coup(s) tel(s) que Ta8-b8 et/ou Dd8-a5.
Le coup 18. b3 qu'il aurait importé de jouer au seizième coup ne préviendrait pas 18... b5, mais après 19. cxb5 axb5, la Dame n'aurait alors eu que la case b4 pour se replier. L'ordinateur voit ensuite 20... fxe4 21. fxe4 Tb8 (-0.81 Stockfish_14053109_32bit 10 minutes
) comme continuation virtuelle.
Protéger le pion c4 à l'aide du Fou e2 est sans doute la meilleure parade contre la menace 18... b5, mais la suite de la partie ne paraît poser aucun problème pratique aux Noirs : 18. Cf2 b5 19. cxb5 et les Noirs ont le choix entre plusieurs continuations aisément gérables : 19... fxe4 (-0.35
), 19... axb5, (-0.26
), 19... Cxe2+ (-0.09
) et même la poussée centrale idéale pour aboutir à une égalisation dans l'Est-Indienne : 19... d5 (-0.01
)
Les Noirs brandissent cette menace b7-b5, certes, mais, d'une part, l'exécution de celle-ci dépend de la capacité de leur Cavalier à se maintenir en d4 pour donner la main à ce pion b, et, d'autre part, les Blancs peuvent se rassurer en se disant que c'est à eux de jouer et qu'ils ont dès lors leur mot à dire !
Par ailleurs, même si le commentaire ne l'a pas souligné, au cours des 17 premiers coups, les troupes blanches ont tout de même accompli de très bonnes choses. En particulier, Joël Lautier a pu concentrer toutes ses pièces (à l'exception notoire de la Dame) au centre de l'échiquier.
Les Tours sont à pied-d'œuvre et n'attendent plus que l'ouverture des colonnes. Ainsi, la colonne f est tout de même la voie à privilégier pour espérer accéder au Roi noir ; et si les pions f s'échangeaient sur la case e4, la case f3 pourrait même se transformer en point de transit vers la colonne h.
Mais cette idée de transfert massif des pièces lourdes blanches vers l'autre extrémité de l'échiquier que montrent les flèches du diagramme central ci-dessus, c'est peut-être un peu trop prendre ses rêves pour des réalités, car - tout de même! - rien ne pousse les Noirs à jouer les premiers f5xe4.
Par contre, l'ouverture des diagonales pour les Fous blancs (diagramme de droite, ci-dessus), tout en maintenant fermées celles dont disposent les Fous noirs, voilà qui semble tout à fait envisageable, du moins dès le moment où le Cd4 disparaîtrait de leur horizon.
Ainsi, si les Blancs jouaient ici 18. exf5 et si les Noirs reprenaient par 18... Cxf5, il suffirait de jouer 19. Ff2 pour que les Fous, sans plus être en prise
, dominent les diagonales a7-f1 et a6-e1 - dissuadant sans doute ainsi les Noirs d'effectuer la poussée b7-b5.
Dans ce cas de figure, le Fe6 continuerait à mordre sur le granit du pion c4 et le Fg7 ne se départirait pas de son rôle défensif "Est-Indien" usuel. De facto, les Noirs devraient alors se mouvoir dans un espace réduit, situé en arrière des pions d6-e5-f5-g6-h7, y attendre et défendre, tout en espérant que les Blancs n'abîment pas trop cette casemate.
Cette dernière vision des choses est bien entendu optimiste, en ce sens que rien n'oblige les Noirs à reprendre avec le Cavalier en cas de 18. exf5.
La réponse 18... Fxf5 est jugée -0.13
par l'ordinateur, c'est-à-dire incertaine, sans doute égale, peut-être légèrement en faveur des Noirs. Il existe une notation pour rendre compte de ce genre d'évaluation, c'est ∞, le sigle mathématique qui désigne l'infini, mais aussi quelquefois l'indétermination, l'incertitude, le champ de tous les possibles, etc. C'est que, à partir d'ici, les Blancs peuvent en effet se lancer dans des plans aussi polymorphes que 19. Cb4 (-0.06
), 19. Dd1 (-0.08
), 19. Cf2 (-0.12
) ou 19. Ff1 (-0.17
)
Le lecteur comprendra sans doute mieux pourquoi il s'avère si difficile de commenter une partie qui résulte d'une ouverture telle que l'Est-Indienne en fournissant des variantes concrètes.
Le regard plus ou moins optimiste que pose joueur ayant le trait est susceptible d'y métamorphoser à tout instant les contours du combat.
Si cette ouverture est simple à apprendre et si les défaites rapides n'y sont pas à redouter, elle génère un environnement où la subjectivité de chaque joueur se révèle et fait loi.
En l'occurrence, en ce beau jour de juillet 1990, Joël Lautier semble plutôt d'humeur pessimiste, car il se décide pour 18. c5 destiné à prendre en passant
le pion qui s'avancerait en b5. Ce faisant, il offre sutout à son adversaire l'opportunité de se débarrasser de son pion faible
d6 et de disposer pour ses pièces lourdes de la colonne d.
Et c'est ce qui arrive après 18... Tc8 19. Da3 (Et pourquoi pas 19. cxd6 ? Et pourquoi pas 19. exf5 ?)
19... Fc4 20. cxd6 Fxd3 21. Fxd3 Tc6 22. exf5
22... gxf5 (22... Txd6 était plus sûr, mais les Noirs ne veulent pas que les pions blancs démantèlent leur roque)
23. Ce2 (Quo usque tandem?) 23... Txd6 24. cxd4 exd4 25. Ff4 Td5 26. Fc7
Diagramme 7 : Lautier-Wahls, position après 26. Fc7
3q1r1k/1pB3bp/p4n2/3r1p2/3p4/Q2B1P2/PP4PP/2R1R1K1 b - - 0 26
Confiez cette position à l'ordinateur, et il se sentira très à l'aise du point de vue des Blancs (qui ont dû avoir raison d'avoir été plutôt pessimistes) : +2.00
après 12 minutes ; le fait est que défendre les trois pions isolés (d4 et f5) ou arriéré (b7) ne semble pas évident, mais de là à accorder deux pions "secs" d'avance aux Blancs, il y a un pas que la fin de partie va cruellement démentir.
26... Da8 (Ce coup, qui empêche Te1-e7 d'avoir des effets négatifs, est également le préféré de Stockfish)
27. Fc4 Td7 28. Fe6
Diagramme 8 : Lautier-Wahls, position après 28... Fe6
q4r1k/1pBr2bp/p3Bn2/5p2/3p4/Q4P2/PP4PP/2R1R1K1 b - - 0 28
Seulement deux coups séparent le Diagramme 7 du Diagramme 8. Pourtant, il semblerait bien que, devenu soudainement optimiste, Joël Lautier ne se soit soudainement complètement fourvoyé : s'il y avait bien un pion à tenir sous l'éteignoir parmi b7, d4 et f5, c'était évidemment le pion passé
sur lequel les Noirs s'étaient arc-boutés depuis le fameux c4-c5 joué par les Blancs à la croisée des chemins du dix-huitième coup. Or, le Fou d3 s'en est allé courser la Tour en croyant que gagner la qualité
(= échange d'un Fou contre la Td7) lui assure un gain facile.
Et donc, c'est avec 28... d3 que prend cours le contre-jeu noir. Pourtant, l'ordinateur continue à cet endroit à toujours le considérer comme insuffisant.
29. Ted1 (29. Fxd7 d2 30. Fxf5 Cd5 (où les Fc7, Ff5, Tc1 et Te1 sont en prise
est la suite préconisée par l'ordinateur, avec toujours une évaluation aux alentours de +2
)
29... d2 gagne à présent, car tout ce passe comme si l'aiguille de la boussole de Stockfish s'était retournée : 30. Tc2 (-2.10
) De8 (-2.17
) 31. Db3 (-2.22
) Te7 (-2.05
) 32. Tcxd2 (-2.15
) et 32... Txc7 (-2.10
) ou 32... Txe6 (-2.09
)
30. Tc2 Te8 31. Db3 Tde7 32. Tcxd2 Txe6 33. Td8 Da7+ 34. Rf1 De3 35. Dxb7 Txd8 36. Txd8+ Ce8 37. Fa6 Dc1+ 38. Rf2 Dc5+ 0-1
Une bien étrange partie en vérité, où la nature du combat a comme semblé suivre avec un léger décalage temporel l'évolution des états d'âme du champion français.