La Féil Brigde
… l'iconographie représente sainte Brigid accompagnée d'une vache, on dit qu'elle fait gonfler le pis des vaches, préside à la fécondité et au retour de l'abondance; sainte Agathe elle, qui dans son martyr eut les seins coupés, protège le lait des femmes. La fête de Sainte-Brigid s'accompagne d'interdits de filage et tissage, or sainte Agathe a succédé à une divinité filandière et tisseuse en occurrence Perséphone, déesse chtonienne et, comme Holda, déesse lunaire.
Les rites agraires de La Féil Brigde disent leur origine lunaire. L'élément aquatique, la médecine populaire, les interdits de tissage et filage, les coquillages, le retour des morts sont autant de manifestations de l'aspect sélénique de la fête. Le même symbolisme lie entre elles les eaux, la pluie, la fécondité des femmes et des animaux, la végétation : c'est la lune qui unifie ces forces et les relie en un ensemble bio-cosmique. Parce qu'elles sont soumises à des rythmes et germinatives, les eaux sont commandées par la lune; la végétation, la fertilité des plantes obéissent également à son cycle ainsi que la périodicité des femmes. Bien des civilisations ont mis en relation la fécondité des femmes et le serpent comme fondement de la régénération et porteur d'immortalité L'ensemble symbolique serpent-femme-fécondité qui a entraîné en Europe la croyance populaire que les sources sont habitées par un serpent, se retrouve en Irlande dans la légende selon laquelle un poisson vit dans la source (il fallait que ce soit un poisson puisqu'il n'y a pas de serpent en Irlande !). Si la lune est responsable de la relation érotico-aquatique et engendre la vie, elle renvoie aussi au symbolisme funéraire. Parce qu'elle disparaît trois nuits de suite la lune a été perçue et considérée comme le premier mort. Mais de même que la lune réapparaît au terme de cette mort, la mort n'est pas une disparition définitive et entraîne une renaissance, un retour. C'est pourquoi la lune est devenue le pays des morts, le réceptacle des âmes et que les trépassés reviennent hanter leurs demeures avant d'accomplir leur voyage... II ressort de cela que le BrIdeóg mettant en scène les masques, personnification des morts est aussi une cérémonie qui exprime la mort rituelle suivie de la « renaissance » et peut être assimilée à une initiation. A la fois rite de purification et cérémonie d'initiation, elle est destinée à régénérer les individus en faisant d'eux des « hommes nouveaux». Le devenir est la norme lunaire. Qu'il soit observé dans ses moments dramatiques — naissance, plénitude et disparition de l'astre — ou mis en valeur comme un « fractionnement », une numération ou perçu par intuition comme le « chanvre » dont sont ourdis les fils du destin, cela dépend sans doute des capacités mythiques et raisonnantes des diverses peuplades, ainsi que de leur niveau culturel. Mais l'hétérogénéité des formules qui expriment le « devenir » n'est qu'apparente. La lune « répartit», « file », « mesure »; ou bien elle alimente, féconde, bénit ou elle reçoit les âmes des morts, initie et purifie, puisqu'elle est vivante, et par suite en éternel devenir rythmique.
M. Eliade a parfaitement exprimé le rôle attribué à la lune de tisser le destin des hommes, cette conception fondamentale est à l'origine des interdits du 1er février. Dans ce temps de passage magiquement fort où le destin était en devenir les hommes devaient participer à l'accomplissement des « possibles » en marquant une trêve dans leur activité de filage et tissage, au risque de nouer les fils du destin. La lune révèle à l'homme sa propre condition humaine.., l'homme se « regarde » et se retrouve dans la vie de la lune. Voilà pourquoi Brigid est celle qui tissa le premier voile ou premier linceul, qui devint le manteau: brat bride, et dont elle couvrit à terre.
Elle est aussi Brigid Bricin, Brigid la rousse, autrement dit « aux taches de rousseur », ces taches ne seraient-elles pas celles que l'on a coutume de distinguer sur l'astre lunaire et d'interpréter ? Ne faut-il pas voir encore dans la présence de la vache au côté de la sainte un autre rappel de son origine? Très courante est l'idée que la déesse lunaire est une vache; cela explique le grand nombre de déesses cornues car c'est l'animal qui porte comme un berceau sur son front, le croissant lunaire. N'y a t il pas eu un lien zoomorphe entre la vache et l'ours perçu et interprété en Irlande sous le vocable de « veau d'ours »? L'ours que l'on retrouve dans les traditions du début février est lui aussi un animal éminemment lunaire… La relation de Brigid à la symbolique lunaire, à la végétation, aux animaux sauvages sont autant de traits qui la relient à une civilisation d'économie pastorale, civilisation de la chasse et renvoie à l'image d'une « déesse mère» ou plus précisément à une représentation de la Terre Mère.
Extrait de la LA DÉESSE BRIGID dans :
Les quatre fêtes d'ouverture de saison de l'Irlande ancienne - Véronique Guibert de la Vaissière - Éditions ARMELINE