Les Dépouilles

d’Announ

A la mémoire du poète

Yves Berthou, (Kaledvoulc’h).

Gloire au seul souverain, suprême ordonnateur

Des cieux éblouissants et de la mer profonde ;

Gloire au Maître suprême, universel Seigneur,

Dont le règne s’étend jusqu’aux confins du monde !

Close était la prison où la présomption

De Gwair, fils de Gercin, l’avait précipité :

Au centre du Château des Révolutions

Gisait l’homme vaincu par la fatalité.

De par la volonté de Pwyll et Pryderi,

Nul vivant, avant lui, n’en put franchir l’enceinte…

Et, tandis qu’une lourde chaîne le meurtrit,

Il chante (et chantera), sombrement, sa complainte.

Pour les trésors d’Announ, - funèbrement -, il chante

Et, jusqu’au dernier jour, continuera son lied,

A moins que l’un de nous, domptant son épouvante,

Ne pénètre à son tour dans Caer Wediwid.

Nous avons, par trois fois, tenté cette aventure :

Par trois fois, enfermés dans les flancs de Pridwen,

Nous partîmes joyeux, vers les terres obscures !…

Sauf sept, nul ne revint de Caer Pedriwen !

Faut-il plus que ce chant pour assurer ma gloire ?

Voici mon premier mot sur le Chaudron sacré ;

Voici mon premier mot : gardez dans vos mémoires

Ce que les Trois Rayons auront pu m’inspirer.

Avec son bord serti de perles, n’est-ce pas

Le mystique chaudron du Seigneur du Trépas ?

Neuf vierges, de leur souffle, échauffent un breuvage

Que ne saurait ravir un homme sans courage :

Llemynaoug, armé d’un glaive étincelant,

Surgira pour punir l’insolent fanfaron

Et, devant le portail du Château du Chaudron,

Le croissant argenté flambera, fulgurant !

Gwair, jusqu’au dernier jour, continuera son lied

Et, lorsque dans Pridwen nous suivîmes Arthur,

Quand notre nef cingla vers le pays obscur,

Sauf sept, nul ne revint de Caer Wediwid !

Faut-il plus que ce chant pour assurer ma gloire ?

Nous avons assailli l’Ile-à-la Forte-Enceinte,

Où crépuscule et nuit, dans leur sauvage étreinte,

Tourbillonnent sans fin, au-dessus des eaux noires.

Par trois fois, dans Pridwen, nous partîmes encor…

Sauf sept, nul n’échappa hors de Caer Rigor !

Je ne veux pas briguer l’hommage du vulgaire

En contant les exploits et la mort du héros :

Pourrait-il contempler, au seuil du Sombre Enclos,

Les prouesses d’Arthur, au glaive de lumière ?

Les guerriers se pressaient, muets, sur les courtines,

D’impassibles archers et de calmes veilleurs

Épiaient au sommet des tours adamantines…

Trois fois, avec Arthur, nous allâmes, sans peur…

Sauf sept, nul n’échappa hors de Caer Colur !

Je ne veux pas chanter les prouesses d’Arthur,

Afin de recevoir l’hommage du vulgaire…

La foule ne sait pas les raisons et les causes ;

La multitude vile, attachée à la terre,

Ignorera toujours le vrai pourquoi des choses !

Elle ignore le jour et l’heure où parut Cwy,

Et quel dieu l’empêcha d’accéder à Dewy.

Lorsqu’il nous enferma dans les flancs de Prydwen,

Sauf sept, nul ne put fuir hors de Caer Ochren !

Elle ignore le bœuf sacré du Roi des Nuits,

Porteur du bandeau d’or et du joug à sept nœuds…

Quand, pour le capturer, nous partîmes, joyeux,

Sauf sept, nul ne s’enfuit hors de Caer Wandwy !

Que cette multitude, au cœur lâche et volage,

Épargne à ma chanson son hommage affligeant ;

Elle ignore le jour et l’heure, et son courage

Tremble de rencontrer le monstre au chef d’argent !

De tous ceux que tenta le Cercle Inférieur,

Sauf sept, nul ne sortit du Château de la Peur !

Taliesin

extrait de :

“Le Bûcher du Phénix”

de André Savoret

Ed. Psyché 1933