Du grec « poiein » qui signifie « faire », « créer », la poésie est souvent associée à l'idée de nouveauté, elle serait, dés l'origine, une langue singulière qui se distingue de la prose et de l'utilisation usuelle du langage. La poésie revêt dés lors un certain pouvoir celui de « révéler » le sens des choses, de réveiller le regard assoupi du lecteur, de faire jaillir des images audacieuses. C'est ce que suggère Cocteau lorsqu'il écrit dans « Le secret professionnel » en 1922 : « l’espace d’un éclair nous voyons un chien, un fiacre, une maison pour la première fois. Voilà le rôle de la poésie. Elle dévoile dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement. Mettez un lieu commun en place, nettoyez le, frottez le, éclairez le de telle sorte qu’il frappe avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le même jet qu’il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète ». La citation insiste bien sur ce rôle de révélateur de la poésie, comme si « faire œuvre de poète » consistait à retrouver l'énergie et l'innocence du monde, à débarrasser les « lieux communs » de leur manteau de poussière pour en faire éclater tout la force et la vigueur. Mais la poésie a-t-elle pour seule fonction de « révéler » ? Nous verrons dans un premier temps que la thèse défendue par Jean Cocteau est certes fondatrice en poésie, puis nous nous attacherons à démontrer que la poésie a d'autres fonctions. Dans un second temps nous aborderons donc la fonction lyrique de la poésie et comment la langue poétique « vivifie » l'expression du sentiment, puis nous envisagerons la poésie dans sa dimension didactique et argumentative sous la forme de la poésie engagée, enfin nous en viendrons à déterminer comment par le jeu et l'invention sur la langue, la poésie consiste à créer un nouveau langage à « inventer une langue » comme l'écrit Rimbaud dans sa « lettre à P. Demeny » connue sous le nom de « lettre du voyant ».
Cocteau écrit que la poésie « dévoile dans toute la force du terme », ainsi, la poésie consiste, selon lui à « montrer » l'existant, le poète « n'invente rien » mais il pose un regard neuf sur un monde ancien et alors réveille celui du lecteur.
1) Tout d'abord cette idée semble s'opposer à l'esthétique de la modernité telle que la définissent Apollinaire ou encore Cendrars. Pour l'un comme pour l'autre la modernité marque le passage d'un monde ancien à un monde neuf. Dans « Zone », poème qui ouvre le recueil Alcools, Apollinaire écrit « A la fin tu es las de ce monde ancien, Bergère, ô tour Eiffel, le troupeau des ponts bêle ce matin ». Ce « monde ancien », les poète veulent le laisser derrière eux pour encenser le monde nouveau, moderne. Ainsi dans la « Prose du transsibérien », Cendrars fait l'éloge du train, des avions, de la révolution russe, des révolutions picturales. Il s'exprime dans une langue image qui se veut novatrice et recourt au vers libre : « Pardonnez-moi mon ignorance, pardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu des vers comme dit Guillaume Apollinaire », Cendrars cite l'auteur d'Alcools :
« Pardonnez-moi mon ignorance
Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers
Je ne sais plus rien et j’aime uniquement
Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes
Je médite divinement
Et je souris des êtres que je n’ai pas créés
Mais si le temps venait où l’ombre enfin solide
Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour
J’admirerais mon ouvrage »
Le vers libre chasse « l'ancien jeu des vers », la langue évolue et le regard du poète re découvre le monde, les fleurs qui « redeviennent des flammes ». Cette citation va dans le sens de Cocteau : « la poésie (…) montre les choses surprenantes qui nous environnent », ainsi le lieu commun de la fleur est revisité et associé à la flamme. Pour chacun de ces deux poètes il s'agit de faire place nette et de se lancer à corps perdu dans ce monde qui s'ouvre à la modernité, au début du XXème siècle.
2) Si, comme on l'a vu, les poètes peuvent avoir à cœur de « montrer » ce qui est nouveau, il n'en demeure pas moins que le poète se donne effectivement pour mission de « secouer la torpeur » et de montrer sous une lumière nouvelle ce que l'on ne voyait pas ou ce que l'on regardait mal. Ainsi dans son poème tiré des Contemplation, « J'aime l'araignée », Victor Hugo s'emploie à défendre l'ortie et l'araignée précisément parce que le commun les regarde mal : « il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ; tout veut un baiser ». Le regard du poète fait surgir ce qui restait tapi et obscur. De même dans son poème « une charogne » dans la section « Spleen et idéal » du recueil Les fleurs du mal, le poète évoque avec sa bien aimée le cliché du temps qui passe en comparant son amoureuse à une charogne en devenir :
« Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
(…)
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
(...) »
Si la forme a choqué les mœurs, le thème lui est ancien, c'est bien un cliché que renouvelle Baudelaire, celui de la perte de la beauté que Ronsard déjà évoquait dans son sonnet « Mignonne allons voir si la rose » où il met en garde la belle et jeune Cassandre contre les ravages du temps et l’exhorte à profiter de sa jeunesse :
« Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté. »
La poésie évolue, comme l'écrit Gérard de Nerval : « Le premier qui compara la femme à une rose était un poète, le second un imbécile » et l’hommage de la fleur a la vie dure, qu'elle soit flamme, carcasse superbe ou rose.
3) Enfin, le poète peut poser un regard neuf, non seulement sur la laideur ou les lieux communs mais également sur des objets qui longtemps n'ont pas eu leur place en poésie. Des objets non pas repoussants mais banals, sans connotation poétique. En effet, il est des « objets » poétiques : les objets naturels comme les fleurs, les arbres, la glace, le feu ou le miroir, le peigne qui retient les cheveux de la dame… et d'autres encore. D'autres objets en revanche semblent dépourvus de tout potentiel poétique. C'est pourtant à eux que Francis Ponge dédie Le parti-pris des choses , recueil qui fait la part belle à des objets tels que bougie, cigare, cageot, huître, pain, cigarette, galet… et en révèle le caractère déroutant, surprenant et parfois même la beauté. Ainsi l'huître évoquée d'abord de manière très concrète et prosaïque devient peu à peu un monde mystérieux, métaphore de la forme poétique dont il faut parvenir à forcer la résistance pour accéder à tout un univers de nacre et de perle.
Transition : Ainsi nous avons pu voir que, certes, comme l'affirme Cocteau, la poésie « secoue la torpeur » en dévoilant ce que le lecteur ne perçoit pas. Toutefois nous allons développer à présent une autre fonction de la poésie, celle qui consiste à exprimer des sentiments, le lyrisme.
II) En effet, quand on dit poésie, on pense souvent à l'expression des sentiments.
1) Orphée, prince des poètes était représenté par la lyre, instrument qui a donné le mot « lyrisme ». En ce sens on pourrait penser que l'expression des sentiments est la première fonction de la poésie.
2) Les émotions sont universelles même si l'expérience est individuelle, ainsi chacun se retrouve dans la lecture des poètes qui évoquent des expériences communes à tous. La perte de l'être aimé est développée dans « Le lac » de Lamartine extrait des Méditations poétiques, le poète exprime sa douleur d'avoir perdu son amour « Et près des flots chéris qu 'elle devait revoir/Regarde ! Je viens seul m'asseoir sur cette pierre/Où tu la vis s'asseoir ». Lamartine, poète romantique n'est pas le seul à se lamenter du deuil, Eluard dans « Notre vie », extrait du recueil Le temps déborde revient sur la mort de sa compagne Nusch et sur « la mort (qui) entre en (lui) comme dans un moulin ». Ainsi le rôle de la poésie est aussi bel et bien de relayer des sentiments fondamentaux de l'humain. Comme l'écrivait Victor Hugo dans sa préface des Contemplations : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous ». La mort de sa fille fait l'objet d'un poème « Demain dés l'aube » qui touche le lecteur. Le poème « Le pont Mirabeau » d'Apollinaire se fonde sur la mélancolie, la nostalgie d'un temps heureux mais révolu :
« L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure »
Cette expression de la nostalgie du temps de l'amour peut revêtir des formes plus radicales chez Baudelaire, dans Spleen : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle/Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis/Et que de l'horizon embrassant tout le cercle/ il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ».
3) Toutefois tous les sentiments ne sont pas tristes, l'amour est largement chanté par les poètes, ainsi, dans L'union libre, André Breton, poète surréaliste fait-il l'éloge de la femme dont il est épris :
« Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d'éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur
Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d'ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d'hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable »
On voit bien ici l'hommage rendu à la femme aimée : le poème s'attarde sur l'ensemble des éléments physiques qui la composent et en fait le lieu de comparaisons nouvelles et surprenantes. Ce type d'éloge est ancien, déjà à la Renaissance les poètes composaient des « Blasons » qui procédaient de même : blason du « beau tétin », de Marot qui fait l'éloge du sein, blason de l’œil, du front, les exemples ne manquent pas. L'amour, le désir, au même titre que la souffrance et la crainte de la mort font partie du panel des sentiments humains et, à ce titre occupent une large place en poésie.
Transition :La poésie lyrique donc, reprend l'éternelle rengaine des sentiments humains tout en contribuant toujours à une expression nouvelle dans sa forme. Pourtant, la poésie n'a pas pour seules fonctions de faire re-découvrir le monde où d'exprimer, à travers le lyrisme, l'âme, les sentiments du poète. En effet, la poésie est aussi une arme, elle s'engage dans les combats de son époque.
III) Même si cette dimension n'est pas développée dans la citation de Cocteau, on sait que la poésie engagée s'inscrit dans les grands combats sociaux et politiques de son époque.
1) Ainsi le poète peut vouloir faire changer, évoluer le monde dans lequel il vit. Victor Hugo s'engage dans un combat social lorsqu'il écrit « Mélancholia », long poème en alexandrins qui dénonce le travail des enfants et procède à un réquisitoire féroce. Il s'emporte contre cette « servitude infâme imposée à l'enfant », ce travail «(...) qui tue, œuvre insensée/ La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée/ Et qui ferait, c'est là son fruit le plus certain/ D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin ». Ce poème prend clairement parti pour les enfants privés d'enfance, soumis à des machines sans âmes qui les broient dans l'obscurité des usines où ils s'éreintent 15 heures par jour. De même, dans un registre très différent Prévert défend le pauvre affamé dans son poème « La grasse matinée » extrait du recueil Paroles:
« Il est terrible
le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l'homme
la tête de l'homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin
une tête couleur de poussière
ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde
dans la vitrine de chez Potin
il s'en fout de sa tête l'homme
il n'y pense pas
il songe
il imagine une autre tête
une tête de veau par exemple
avec une sauce de vinaigre
ou une tête de n'importe quoi qui se mange
et il remue doucement la mâchoire
doucement
et il grince des dents doucement
car le monde se paye sa tête
et il ne peut rien contre ce monde
et il compte sur ses doigts un deux trois
un deux trois
cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé
et il a beau se répéter depuis trois jours
Ça ne peut pas durer
ça dure
trois jours
trois nuits
sans manger
et derrière ces vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
poissons morts protégés par des boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades pour six malheureuses sardines...
Un peu plus loin le bistrot
café-crème et croissants chauds
l'homme titube
et dans l'intérieur de sa tête
un brouillard de mots
un brouillard de mots
sardines à manger
œuf dur café-crème
café arrosé rhum
café-crème
café-crème
café-crime arrosé sang !...
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
l’assassin le vagabond lui a volé
deux francs
soit un café arrosé
zéro francs soixante-dix
deux tartines beurrées
et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Il est terrible
le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim. »
Le poème, presqu'enfantin dans sa forme, donne à lire comment la société peut pousser au crime les plus misérables, ceux qui subissent la faim quand les marchandises sont exposées dans les vitrines, quand l'abondance règne.
Du reste beaucoup de poètes de l'époque romantique ont été également engagés en politique, c'est le cas de Victor Hugo mais aussi de Chateaubriand ou encore de Lamartine.
2) Cet engagement se ressent aussi dans des combats politiques, ainsi Victor Hugo dénonce les agissements de Napoléon III dans son poème « Souvenir de la nuit du 4 », de même, Rimbaud, dans son célèbre sonnet « Le dormeur du val » montre le corps sans vie d'un soldat tombé pendant la guerre de 1870. Les poètes de la négritude, Aimé Césaire ou Leopold Sedar Sengor, hommes de lettres, poètes et politiques, fondent un mouvement littéraire : la négritude qui revendique la culture noire et africaine suite à la décolonisation. Sedar Sengor écrit « Hosties noires », « Ethiopiques », Césaire publie « Cahier d'un retour au pays natal », « Soleil cou coupé », textes résolument anticolonialistes et manifestant avec fierté l'appartenance à une culture africaine. La poésie engagée du Xxème siècle a vu proliférer des textes d'Aragon, « L'Affiche rouge », de Desnos « Ce cœur qui haïssait la guerre » , d'Eluard, « Liberté » ou de Prévert, « Barbara » qui , tous, entreprennent de dénoncer la guerre mais prônent la liberté, l'amour et la fraternité.
Transition : Comme nous l'avons démontré la poésie a de multiples fonctions qui, à leur manière, permettent toutes de renouveler les lieux communs, qu'ils touchent au lyrisme (puisque les mêmes sentiments traversent les hommes depuis la nuit des temps), qu'ils touchent à l'engagement ,contre la guerre, la pauvreté, l'exploitation, qui sont autant de lieux communs. Comment la poésie autorise-t-elle ce « renouvellement » des clichés ? Comment, par quels moyens permet-elle ce que Cocteau appelle « le dévoilement » ? C'est la question à laquelle nous tenterons de répondre dans cette dernière partie.
IV) « Vous ferez œuvre de poète » nous dit Cocteau. Faire œuvre de poète consiste, nous l'avons vu, à opérer le réveil du regard. Ainsi, le poète a un rôle particulier : il est celui qui dépoussière le réel, le monde, les « lieux communs ».
1) Tout d'abord, notons qu'à bien des égards le poète semble disposer d'un satut à part, voire marginal. En effet, le poète, pour Baudelaire dans son sonnet « Correspondances » est celui qui peut assurer la transition entre le monde matériel et le monde spirituel, il saisit les « correspondances » cachées que d'autres ne voient pas :
« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »
Dans son poème « Fonction du poète », Victor Hugo définit son rôle comme celui d'un guide, tourné vers l'avenir, il conduit les hommes qui, eux, ne sont pas « éclairés » :
« Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
ll est l'homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C'est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
(...)
Peuples ! écoutez le poète !
Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n'est pas éclos.
(...) »
De même, pour Rimbaud le poète doit « se faire voyant », il se doit « d'inventer une langue ».
2) La poésie est en effet un jeu, une recherche sur la langue. « L'art pour l'art » était déjà la démarche du Parnasse, mouvement de la fin du XIXème siècle. L'art n'aurait pas à être utile ou vertueux et son but en serait uniquement la beauté : le slogan « L'art pour l'art » de Théophile Gautier, considéré comme précurseur, est adopté. Ce mouvement réhabilite aussi le travail acharné et minutieux de l'artiste en utilisant souvent la métaphore de la sculpture pour symboliser la résistance de la « matière poétique ». Le poète doit donc « forcer la langue », la plier à sa recherche et s'en inventer une propre. Dés Clément Marot dans sa « Petite épître au roi », on observe le goût pour les jeux de langage:ici, tous les vers s'achèvent sur le mot « rime » : « rimart/rime art/ rimassé/ Henri Macé/rimante/rime ente ». Ces créations verbales mettent en œuvre la virtuosité du poète qui travaille le matériau de la langue. Le mouvement du XX ème siècle OULIPO préconise également un recours à la langue poétique par le biais de contraintes arbitraires : écrire un texte qui ne contienne pas telle lettre, écrire un texte composé de 4 quatrains de quatre mots contenant 4 lettres : c'est le cas du poème « Rails » de Georges Perec en 1972. Peu à peu, la création poétique, par l'écriture automatique ou le jeu des contraintes formelles donne lieu à des poèmes qui posent la question du sens et ou l'inconscient ou l'aléatoire ont la part belle : Queneau imagine un objet livre composé sur chaque page d'un sonnet dont chaque vers est prédécoupé, chaque page comporte ainsi 12 languettes sur lesquelles est écrits un des vers du sonnet. Le lecteur peut, dés lors, manipuler l'objet et recréer à chaque lecture un sonnet différent, le titre du projet « 100000 milliards de poèmes » nous instruit sur le nombre de possibilités !
3) De plus, la langue peut même se faire image. Les calligrammes d'Apollinaire vont dans un sens. Ainsi des poèmes comme « Il pleut », « La colombe et le jet d'eau » dessinent par la disposition des lettres sur la page le thème du poème. « Salut, monde dont je suis la langue éloquente », ainsi commence le bref calligramme qu'Apollinaire compose entre 2013 et 2016 et qui esquisse la pointe d'une silhouette de tour Eiffel, la poésie associe forme et fond pour créer un nouveau rapport au monde.
Comme nous l'avons vu, Cocteau a grandement raison de définir la poésie comme une capacité au « dévoilement », elle rénove le regard comme la langue et propose des associations qui permettent la création d'une langue unique et libre, favorise les écarts entre l'utilisation commune et l'utilisation poétique de la langue. Ainsi, elle est aussi en contact avec son époque, s'inscrivant dans les combats du temps, en même temps qu'elle réactive des clichés tant sur les choses que sur les êtres et leur donne une nouvelle expression qui « secoue la torpeur » surprend et stimule l'imaginaire du lecteur : cent mille milliards de façons de voir, de lire et de parler du monde, des autres et de soi.