Séance 7 : Une vérité impossible à entendre, la scène du bus
Combien de temps était-ce après cette étrange halte ? Il sentit d'un coup une mainlui secouer l'épaule. Il ouvrit les yeux. Un de ses
voisins, un homme assis, le regardait en souriant et lui demandait dans un assez bon anglais :
- D'où venez-vous ?
Il trouva d 'abord étrange qu'on l'extirpe de sa torpeur pour cela. Si cet homme était curieux, il aurait pu attendre qu'il se réveille pour
lui poser ses questions. Mais il ne dit rien. Il regarda l'homme. Celui-ci avait l'air sympathique, le regard sincère de qui cherche à passer
le temps en discutant.
-Europe, dit-il.
L'homme le regarda avec un sourire admiratif. Plusieurs visages s'étaient tournés vers lui.Il sentit que la conversation allait se répandre
comme une maladie, tout autour de lui, et qu'il ne pouvait plus rien y faire.
Le voisin de celui qui avait posé la première question lui demanda alors si c'était vrai qu'il faisait froid là-bas. Et Salvatore Piracci se
rendit compte que tous ceux qui avaient entendu la question attendaient la réponse avec impatience .
- Trop froid, répondit-il.
Et les hommes se mirent à rire, comme si le commandant avait fait une plaisanterie, exagérant à l'extrême un minuscule défaut de son
continent. Salvatore Piracci comprit ce qui allait se passer. Ils ne le laisseraient pas. Ils allaient le bombarder de questions et toutes
auraient le même but : se faire raconter comme la vie est belle là-bas et comme il doit être doux d'y être né. Tous ces hommes n'étaient
pas candidats au voyage mais tous, en rentrant chez eux, allaient rapporterleurs amis, leurs proches, leurs cousins ce que ce drôle de
blanc du car avait raconté. Et la fièvre se répandrait, levant partout une armée de jeunes gens prêts à tout pour passer. Cette idée lui
répugna. Il repensa à la femme du Vittoria et à son fils mort jeté à l'eau au milieu de nulle part.
Alors, lorsqu'un jeune homme à lunettes lui demanda s'il y avait du travail chez lui, il répondit en articulant chaque mot et en répétant :
- Non. Pas de travail. Pas de travail du tout.
Cette réponse provoqua une bronca de désappointement. Le chauffeur qui n'était pas si loin et n'avait rien perdu de la conversation posa
à son tour des questions. Salvatore Piracci entreprit de répondre à tous comme cela lui semblait juste. Il décida d'être dur. Il parla de la
misère des riches. De la vie d'esclave qui attendait la plupart de ceux qui tentaient le voyage. Il parla de l'écoeurement devant ces
magasins immenses où tout peut s'acheter mais où rien n'est vraiment nécessaire. Il parla de l'argent. De sa violence et de son règne.
Les hommes l'écoutèrent d'abord avec surprise, puis avec mauvaise humeur. Il entendit autour de lui des injonctions lancées dans des
langues qu'il ne comprenait pas. Etaient-ce des insultes ? Ou des exhortations à se taire ? Petit à petit, les questions se tarirent. Les
visages redevinrent durs. Personne ne voulait plus l'entendre parler. Ceux qui s'étaient retournés sur leur siège pour ne rien perdre de ses
réponses lui tournèrent à nouveau le dos. Certains parlèrent entre eux, échangeant certainement leur avis sur lui. « Je sais ce qu'ils
pensent, se dit Salvatore Piracci. Ils m'en veulent de parler ainsi. » Il voyait dans leur regard qu'ils ne le croyaient pas et que rien de ce
qu'il avait dit ne les empêcherait de continuer à caresser leur rêve d'Europe avec délices.
I- Un personnage en retrait
- la difficulté à parler : phrases lapidaires et discours indirect et indirect libre
- un personnage isolé : un statut à part, singulier et pluriels ; l'évolution des comportements de la cordialité à l'hostilité
II- La critique de l'Europe
- Une critique progressive : minuscule défaut
- L'écoeurement de Piracci, rappel femme Vittoria, lexique dévalorisant
IIIUne vérité impossible à entendre
- un faux échange : la maladie/ propagation et dessinée à l'avance : les futurs proches « ils allaient » conditionnels+ idéalisation de l'Europe
- la prise de conscience de Piracci
- le refus d'entendre : la question de la langue : de l'anglais à des langues étrangères qui excluent Piracci, les négations, le comportement physique (écoute/surprise/mauvaise humeur/ dureté des visages/ dos tournés)+ impuissance de Piracci