VOUS TROUVEREZ LA SEQUENCE MISE EN PAGE DANS LE DOSSIER PDF JOINT EN BAS DE PAGE!!!!
Séquence I : La recherche du bonheur
Séance 1 : Proposer une définition personnelle du bonheur
Préparation séance 2 : travail sur l'humanisme
Séance 2 : Entrer dans l'humanisme
Montaigne, « Vivre à propos », Les Essais, III, 13
Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors. Rien de plus simple. Et quand je me promène
seul dans un beau verger, il peut arriver que, pendant un certain temps, mes pensées soient
accaparées par des sujets étrangers à ce qui m'entoure, mais le reste du temps, je fais en sorte de
las ramener à la promenade, au verger, au plaisir d'y goûter la solitude, à moi-même. La nature,
comme une mère, a respecté pour nous ce principe fondamental de nous rendre agréables toutes
les actions qu'elle nous a ordonné d'accomplir par nécessité et pour vivre. Et elle nous y incite non
seulement par la raison, mais encore par le désir. Il serait injuste de corrompre les règles qu'elle a
édictées.
Quand je vois César et Alexandre, au plus fort de leurs exploits, goûter si pleinement aux plaisirs
naturels, donc nécessaires et justes, je ne pense pas qu'il y ait là relâchement de l'âme : non, il
s'agit bien plutôt de la tremper, de la rendre plus forte en soumettant à tout prix des travaux
intenses et violents, des pensées épuisantes et harassantes, aux règles de la vie quotidienne. On
aurait pu les nommer sages, s'ils avaient considéré le quotidien comme leur mission ordinaire, et
le reste, les actions d'éclat, les grands desseins, comme leur mission extraordinaire. Nous sommes
stupides quand nous disons : « Il a vécu dans l'oisiveté », ou bien : « Je n'ai rien fait aujourd'hui. -
Quoi, n'avez-vous donc pas vécu ? C'est non seulement la plus fondamentale de vos occupations,
mais aussi celle qui a le plus d'éclat. »
« Si seulement on m'avait confié quelque tâche importante, j'aurais montré ce dont je suis capable.
- Avez-vous su penser et conduire votre vie ? Oui ? Alors, vous vous êtes acquitté de la plus
grande des tâches. »
La nature n'a que faire d'un grand destin pour se montrer et déployer sa force. Partout,
dissimulée ou au grand jour, elle se manifeste avec la même intensité. Notre tâche consiste à
construire chaque jour notre conduite et notre vie, et non pas à écrire des livres ; à conquérir non
pas des provinces en gagnant des batailles, mais la tranquillité et l'ordre pour notre vie et nos
actes. Notre grand et glorieux chef d’oeuvre est de vivre à propos. »
L'épicurisme de Montaigne
Annexes : Epicure, lettre à Ménécée/Socrate « la vie heureuse »
Préparation séance 3 sur le site BNF Utopie
Séance 3 : L'utopie
Rabelais « Thélème »,
Toute leur vie était ordonnée non selon des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur bon
vouloir et leur libre arbitre. Ils se levaient quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient,
travaillaient, et dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les réveillait, nul ne les contraignait
à boire, à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Pour toute règle, il
n'y avait que cette clause, Fais ce que la voudras ; parce que les gens libres, bien nés et bien
éduqués, vivant en bonne compagnie, ont par nature un instinct, un aiguillon qui les pousse
toujours à la vertu et les éloigne du vice, qu'ils appelaient honneur. Ces gens-là, quand ils sont
opprimés et asservis par une honteuse sujétion et par la contrainte, détournent cette noble
inclination par laquelle ils tendaient librement à la vertu, vers le rejet et la violation du joug de
servitude ; car nous entreprenons toujours ce qui nous est interdit et nous convoitons ce qui nous
est refusé.
C'est cette liberté même qui les poussa à une louable émulation : faire tous ce qu'ils voyaient faire
plaisir à un seul. Si l'un ou l'une d'entre eux disait : “ Buvons ”, ils buvaient tous ; s'il disait : “
Jouons ”, tous jouaient ; s'il disait : “ Allons nous ébattre aux champs ”, tous y allaient. S'il
s'agissait de chasser à courre ou au vol, les dames, montées sur de belles haquenées suivies du
palefroi de guerre, portaient sur leur poing joliment gantelé un épervier, un laneret ou un
émerillon. Les hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient si bien éduqués qu'il n'y avait parmi eux homme ni femme qui ne sût lire, écrire, chanter,
jouer d'instruments de musique, parler cinq ou six langues et y composer, tant en vers qu'en prose.
Jamais on ne vit de chevaliers si vaillants, si hardis, si adroits au combat à pied ou à cheval, plus
vigoureux, plus agiles, maniant mieux les armes que ceux-là ; jamais on ne vit de dames si
fraîches, si jolies, moins acariâtres, plus doctes aux travaux d'aiguille et à toute activité de femme
honnête et bien née que celles-là.
C'est pourquoi, quand arrivait le temps où l'un d'entre eux, soit à la requête de ses parents, soit
pour d'autres raisons, voulait quitter l'abbaye, il emmenait avec lui une des dames, celle qui l'aurait
choisi pour chevalier servant, et ils se mariaient ; et s'ils avaient bien vécu à Thélème en amitié de
coeur, ils continuaient encore mieux dans le mariage, et ils s'aimaient autant à la fin de leurs jours
qu'au premier jour de leurs noces.
Rabelais, Gargantua (1532) CHAPITRE LV
HDA : Les vanités
Titre : Les ambassadeurs
Artiste : Hans Holbein le Jeune
Date : 1533
Type : Peinture
Technique : Huile sur panneaux de chêne
Dimensions (H × L) :207 × 209 cm
Localisation : National Gallery, Londres
(Royaume-Uni)
Préparation séance 4 : recherches sur le classicisme
Séance 4 : la fable comme outil argumentatif
La Fontaine : « le philosophe Scythe »/ « le savetier et le financier »
Le Philosophe Scythe
Un philosophe austère, et né dans la Scythie (1),
Se proposant de suivre une plus douce vie,
Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux
Un Sage assez semblable au vieillard de Virgile
(2),
Homme égalant les Rois, homme approchant des
Dieux,
Et comme ces derniers, satisfait et tranquille.
Son bonheur consistait aux beautés d'un jardin.
Le Scythe l'y trouva, qui la serpe à la main,
De ses arbres à fruit retranchait l'inutile,
Ebranchait, émondait (3), ôtait ceci, cela,
Corrigeant partout la nature,
Excessive à payer ses soins avec usure (4).
Le Scythe alors lui demanda
Pourquoi cette ruine ? Etait-il d'homme sage
De mutiler ainsi ces pauvres habitants ?
Quittez-moi votre serpe, instrument de
dommage.
Laissez agir la faux du temps :
Ils iront assez tôt border le noir rivage (5).
J'ôte le superflu, dit l'autre, et l'abattant,
Le reste en profite d'autant.
Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,
Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute
heure,
Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis
Un universel abattis (6).
Il ôte de chez lui les branches les plus belles,
Il tronque son verger contre toute raison,
Sans observer temps ni saison,
Lunes ni vieilles ni nouvelles.
Tout languit et tout meurt. Ce Scythe exprime
bien
Un indiscret (7) stoïcien ;
Celui-ci retranche de l'âme
Désirs et passions, le bon et le mauvais,
Jusqu'aux plus innocents souhaits.
Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.
LE SAVETIER (1) ET LE FINANCIER
Un Savetier chantait du matin jusqu'au soir :
C'était merveilles de le voir,
Merveilles de l'ouïr; il faisait des passages (2),
Plus content qu'aucun des Sept Sages (3) .
Son voisin au contraire, étant tout cousu d'or(4),
Chantait peu, dormait moins encor.
C'était un homme de finance.
Si sur le point du jour, parfois il sommeillait,
Le Savetier alors en chantant l'éveillait,
Et le Financier se plaignait
Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le Chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an ? Par an ? Ma foi,
monsieur,
Dit avec un ton de rieur
Le gaillard Savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte ; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année :
Chaque jour amène son pain.
Et bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée
?
Tantôt plus, tantôt moins, le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chommer (5) ; on nous ruine en fêtes .
L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le Curé
De quelque nouveau saint charge toujours son
prône (6).
Le Financier, riant de sa naïveté,
Lui dit : Je vous veux mettre aujourd'hui sur le
trône.
Prenez ces cent écus : gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.
Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre
Ils ôtent à nos coeurs le principal ressort :
Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.
(1) Nord de l'Europe et de l'Asie. Il s'agit d'Anacharsis,
"philosophe austère", et voyageur, comme le personnage
de L.F.
(2) allusion au vieillard du Galèse qui cultivait un
modeste et charmant jardin (Virgile, Géorgiques, IV,
v.125-133)
(3) taillait, nettoyait les arbres, coupait les branches
mortes
(4) payer avec usure signifie rendre un service plus grand
que celui qu'on a reçu.
(5) les Enfers
(6) ce qui a été abattu
(7) dépourvu de discernement
Avait, depuis plus de cent ans
Produit pour l'usage des gens.
Il retourne chez lui ; dans sa cave il enserre
L'argent et sa joie à la fois.
Plus de chant ; il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis,
Il eut pour hôte les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l'oeil au guet; et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l'argent : à la fin le pauvre
homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus.
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon
somme,
Et reprenez vos cent écus.
(1) (1213, çavetier), dérivé de "savate" signifie
raccomodeur de souliers. Ce mot, sorti d'usage a été
remplacé par cordonnier.
(2) "se dit aussi en musique d'un certain roulement de la
voix qui se fait en passant d'une note à l'autre" (dic. Acad.
1694), donc trilles ou vocalises.
(3) Nom de sept personnages, philosophiques ou tyrans
(VIème av. J.C.) qui contribuèrent au rayonnement de la
civilisation grecque. Les plus célèbres sont Thalès de
Milet et Solon d'Athènes.
(4) Allusion aux pièces d'or cachées dans les coutures des
vêtements.
(5) Allusion à l'actualité de l'époque : Louis XIV et
Colbert en avaient diminué le nombre, 17 avaient été
supprimées vers 1664, il en restait 38
(6) Les fêtes sont annoncées dans le prône (l'homélie) de
la messe du dimanche
Séance 5 : Entrer dans le classicisme
annexes
Pascal , « Pensées »
Divertissement.
Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et
les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de
passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des
hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un
homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas
pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achète une charge à l’armée si cher, que parce
qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville. Et on ne recherche les conversations et les
divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Etc.
Mais quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai
voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le
malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler
lorsque nous y pensons de près.
Quelque condition qu’on se figure, où l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la
royauté est le plus beau poste du monde. Et cependant, qu’on s’en imagine accompagné de toutes
les satisfactions qui peuvent le toucher. S’il est sans divertissement et qu’on le laisse considérer et
faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point. Il tombera par
nécessité dans les vues qui le menacent des révoltes qui peuvent arriver et enfin de la mort et des
maladies, qui sont inévitables. De sorte que s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà
malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit.
De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si
recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude
soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu ou dans le lièvre qu’on court, on n’en voudrait pas
s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse
condition qu’on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c’est le tracas
qui nous détourne d’y penser et nous divertit.
.........................
Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise.
........................
De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement. De là vient que la prison est un
supplice si horrible. De là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et
c’est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois de ce qu’on essaie sans cesse à les
divertir et à leur procurer toutes sortes de plaisirs.
.........................
Le roi est environné de gens qui ne pensent qu’à divertir le roi et à l’empêcher de penser à lui. Car
il est malheureux, tout roi qu’il est, s’il y pense.
Mme du Châtelet « discours sur le bonheur »
Il faut, pour être heureux, s'être défait des préjugés, être vertueux, se bien porter, avoir des goûts &
des passions, être susceptible d'illusions, car nous devons la plupart de nos plaisirs à l'illusion, &
malheureux est celui qui la perd. Loin donc de chercher à la faire disparaître par le flambeau de la
raison, tâchons d'épaissir le vernis qu'elle met sur la plupart des objets; il leur est encore plus
nécessaire que ne le sont à nos corps les soins & la parure.
Il faut commencer par se bien dire à soi-même & par se bien convaincre que nous n'avons rien à
faire dans ce monde qu'à nous y procurer des sensations & des sentiments agréables. Les
moralistes qui disent aux hommes: réprimez vos passions, & maîtrisez vos désirs, si vous voulez
être heureux, ne connoissent pas le chemin du bonheur. On n'est heureux que par des goûts & des
passions satisfaites; [je dis des goûts], parce qu'on n'est pas toujours assez heureux pour avoir des
passions, & qu'au défaut des passions, il faut bien se contenter des goûts. Ce seroit donc des
passions qu'il faudroit demander à! Dieu, si on osoit lui demander quelque chose; & Le Nôtre avoit
grande raison de demander au pape des tentations au lieu d'indulgences.
Mais, me dira-t-on, les passions ne font-elles pas plus de malheureux que d'heureux? Je n'ai! pas la
balance nécessaire pour peser en général le bien & le mal qu'elles ont faits aux hommes; mais il
faut remarquer que les malheureux sont connus parce qu'ils ont besoin des autres, qu'ils aiment à
raconter leurs malheurs, qu'ils y cherchent des remèdes & du soulagement. Les gens heureux ne
cherchent rien, & ne vont point avertir les autres de leur bonheur; les malheureux sont intéressants,
les gens heureux sont inconnus.
Voilà pourquoi lorsque deux amants sont raccommodes, lorsque leur jalousie est finie, lorsque les
obstacles qui les séparoient sont surmontés, ils ne sont plus propres au théâtre; la pièce est finie
pour les spectateurs, & la scène de Renaud à d'Armide n'intéresseroit pas autant qu'elle fait, si le
spectateur ne s'attendoit pas que l'amour de Renaud est l'effet d'un enchantement qui doit se
dissiper, & que la passion qu'Armide fait voir dans cette scène rendra son malheur plus intéressant.
Ce sont les mêmes ressorts qui agissent sur notre ame pour l'émouvoir aux représentations
théâtrales & dans les événements de la vie. On connoît donc bien plus l'amour par les malheurs
qu'il cause, que par le bonheur souvent obscur qu'il répand sur la vie des hommes. Mais supposons
pour un moment, que les passions fassent plus de malheureux que d'heureux, je dis qu'elles
seraient encore à désirer, parce que c'est la condition sans laquelle on ne peut avoir de grands
plaisirs; or, ce n'est la peine de vivre que pour avoir des sensations & des sentiments agréables; &
plus les sentiments agréables sont vifs, plus on est heureux. Il est donc à désirer d'être susceptible
de passions, à je le répète encore: n'en a pas qui veut.
C'est à nous à les faire servir à notre bonheur, & cela dépend souvent de nous.
Préparation séance 6 : expo BNF sur le siècle des lumières
Séance 6 : Entrer dans le siècle des Lumières
Diderot « le neveu de Rameau », le dialogue argumentatif
LUI. -- . Voilà où vous en êtes, vous autres. Vous croyez que le même bonheur est fait pour tous.
Quelle étrange vision ! Le vôtre suppose un certain tour d'esprit romanesque que nous n'avons
pas ; une âme singulière, un goût particulier. Vous décorez cette bizarrerie du nom de vertu ; vous
l'appelez philosophie. Mais la vertu, la philosophie sont-elles faites pour tout le monde. En a qui
peut. En conserve qui peut. Imaginez l'univers sage et philosophe ; convenez qu'il serait
diablement triste. Tenez, vive la philosophie ; vive la sagesse de Salomon : Boire de bon vin, se
gorger de mets délicats, se rouler sur de jolies femmes ; se reposer dans des lits bien mollets.
Excepté cela, le reste n'est que vanité.
MOI. -- Quoi, défendre sa patrie ?
LUI. -- Vanité. Il n'y a plus de patrie. Je ne vois d'un pôle à l'autre que des tyrans et des esclaves.
MOI. -- Servir ses amis ?
LUI. -- Vanité. Est-ce qu'on a des amis ? Quand on en aurait, faudrait-il en faire des ingrats ?
Regardez-y bien, et vous verrez que c'est presque toujours là ce qu'on recueille des services
rendus. La reconnaissance est un fardeau ; et tout fardeau est fait pour être secoué.
MOI. -- Avoir un état dans la société et en remplir les devoirs ?
LUI. -- Vanité. Qu'importe qu'on ait un état, ou non ; pourvu qu'on soit riche ; puisqu'on ne prend
un état que pour le devenir. Remplir ses devoirs, à quoi cela mène-t- il ? A la jalousie, au trouble, à
la persécution. Est-ce ainsi qu'on s'avance ? Faire sa cour, morbleu ; faire sa cour ; voir les
grands ; étudier leurs goûts ; se prêter à leurs fantaisies ; servir leurs vices ; approuver leurs
injustices. Voilà le secret.
Voltaire « Candide », dernier chapitre et « le Mondain »
Candide, en retournant dans sa métairie, fit de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à
Pangloss et à Martin : « Ce bon vieillard me paraît s'être fait un sort bien préférable à celui des six
rois avec qui nous avons eu l'honneur de souper. -- Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort
dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes : car enfin Églon, roi des Moabites, fut
assassiné par Aod ; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards ; le roi Nadab, fils de
Jéroboam, fut tué par Baaza ; le roi Éla, par Zambri ; Ochosias, par Jéhu ; Athalia, par Joïada ; les
rois Joachim, Jéchonias, Sédécias, furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage,
Darius, Denys de Syracuse, Pyrrhus, Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron,
Othon, Vitellius, Domitien, Richard II d'Angleterre, Édouard II, Henri VI, Richard III, Marie
Stuart, Charles Ier, les trois Henri de France, l'empereur Henri IV ? Vous savez... -- Je sais aussi,
dit Candide, qu'il faut cultiver notre jardin. -- Vous avez raison, dit Pangloss : car, quand l'homme
fut mis dans le jardin d'Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu'il travaillât, ce qui prouve que
l'homme n'est pas né pour le repos. -- Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c'est le seul moyen de
rendre la vie supportable. »
Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La
petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide ; mais elle devint une
excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n'y eut pas jusqu'à frère
Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ; et
Pangloss disait quelquefois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des
mondes possibles ; car enfin, si vous n'aviez pas été chassé d'un beau château à grands coups de
pied dans le derrière pour l'amour de Mlle Cunégonde, si vous n'aviez pas été mis à l'Inquisition, si
vous n'aviez pas couru l'Amérique à pied, si vous n'aviez pas donné un bon coup d'épée au baron,
si vous n'aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des
cédrats confits et des pistaches. -- Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre
jardin. »
Le Mondain
Regrettera qui veut le bon vieux temps,
Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
Et le jardin de nos premiers parents ;
Moi, je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs :
Ce temps profane est tout fait pour mes moeurs.
J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon coeur très immonde
De voir ici l’abondance à la ronde,
Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
L’or de la terre et les trésors de l’onde,
Leurs habitants et les peuples de l’air,
Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
O le bon temps que ce siècle de fer !
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S’en vont chercher, par un heureux échange,
De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans ?
Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien,
Ils étaient nus ; et c’est chose très claire
Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.
Sobres étaient. Ah ! je le crois encor :
Martialo n’est point du siècle d’or.
D’un bon vin frais ou la mousse ou la sève
Ne gratta point le triste gosier d’Ève ;
La soie et l’or ne brillaient point chez eux,
Admirez-vous pour cela nos aïeux ?
Il leur manquait l’industrie et l’aisance :
Est-ce vertu ? c’était pure ignorance.
Voltaire, extrait de Le Mondain
Rousseau et l'état de nature
Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre
leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se
peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs flèches, à
tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments
de musique, en un mot tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et
qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains,
bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des
douceurs d'un commerce indépendant: mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un
autre; dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité
disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en
des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt
l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.
Extrait de : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes - Rousseau
LE MYTHE DE L'AGE D'OR
..... Quand on étudie les différentes descriptions de l'âge d'or, on constate très vite qu'elles se
ressemblent toutes. Cela n'a rien d'étonnant. L'âge d'or correspond à ce que l'homme aurait dû être
ou à ce qu'il sera un jour, c'est un âge hors du temps et l'on peut dire, sans craindre les lapalissades
(1), que les hommes se ressemblent tous, dès l'instant où ils s'imaginent hors du temps, de la
matière, du monde présent et contingent (2). La chute de l'homme (3), sa dispersion sur toute la
surface de la terre (4), et les milliers de solutions inventées pour survivre traduisent justement, à
travers les mythes, des différences et des conflits qui n'existaient pas - et ne pouvaient exister - à
l'origine. Distincts, différents, voire opposés dans leur vie concrète et quotidienne, les hommes
deviennent identiques dans leurs désirs, leur vision d'une existence idyllique et imaginaire
puisqu'une telle existence implique, en général, la suppression de toutes les contraintes de la vie
terrestre et mortelle.
Là encore, dans l'état actuel de nos connaissances, les Sumériens (5) furent les premiers à
imaginer un âge d'or à l'aurore des temps. Cet âge n'a pas encore toutes les perfections que lui
prêteront les textes ultérieurs, mais, dans sa simplicité, il nous apparaît aujourd'hui comme l'une
des expressions les plus émouvantes de la sensibilité humaine. Ce paradis, en effet, tel qu'il est
décrit dans un poème intitulé Unmerkar et le seigneur d'Aratta, se réduit à des voeux fort modestes,
dont voici l'essentiel:
Autrefois, il fut un temps où
Il n'y avait pas de serpent,
Il n'y avait pas de scorpion,
Il n'y avait pas d'hyène,
Il n'y avait pas de lion,
Il n'y avait pas de chien sauvage ni de loup,
Il n'y avait pas de peur ni de terreur :
L'homme n'avait pas de rival.
(S. N. Kramer, L'Histoire commence à Sumer)
Je crois ces quelques lignes fort instructives car elles nous plongent au coeur
deproblèmes et des terreurs qui hantaient l'homme sumérien : son rêve, son âge d'or,
c'est la sécurité.
.... A mesure que la civilisation s'étendra, que l'homme augmentera ses chances de survie, sa
protection contre les fauves, la domestication des animaux et la préservation de ses récoltes,
ses désirs changeront eux aussi de nature, deviendront moins élémentaires. Mais il faudra
longtemps pour que les rêves humains aient le loisir - ou le luxe - de n'être qu'immatériels.
Pendant longtemps, pendant les longs siècles de l'histoire de Sumer et d'Akkad (6), l'âge d'or
restera surtout un rêve matériel, celui d'un temps où l'homme vivait sans peur, sans faim,
dans la sécurité, l'abondance, le repos et la paix. Ce sont les quatre états primordiaux
revendiqués par l'homme pour son bonheur, les autres ne venant qu'après.
..... Si l'on se donne la peine d'analyser ces quatre états, on voit d'emblée à quels désirs - et à
quelles réalités quotidiennes, à quels stades de la civilisation - ils correspondent. Ne pas être
tué par les fauves, c'est la fraternité avec les animaux, autrement dit la suppression des mille
efforts exigés par l'élevage et la domestication des bêtes. Ne pas avoir faim et soif, c'est
pouvoir subsister en cueillant simplement les fruits et les produits du sol, autrement dit la
suppression du labeur éreintant des labours, des semailles et des moissons. Ne pas avoir trop
chaud ni trop froid, c'est vivre dans un climat tempéré, autrement dit ne pas avoir à édifier de
maisons ni à confectionner de vêtements. Ne pas se battre les uns contre les autres (ce que le
texte sumérien exprime par : l'homme n'avait pas de rival) c'est vivre dans une harmonie et
une paix naturelles, autrement dit, ne pas avoir à forger, à contrôler, à maintenir le lourd
édifice des lois, des tabous, des interdits et des obligations qui sont le lot de toutes les
communautés. Ainsi, chaque désir, chaque rêve formulé et concrétisé dans l'âge d'or est
l'envers de chaque acquis, de chaque effort exigé par la conquête de la civilisation, une
civilisation qui, au temps de Sumer et d'Akkad, ne signifiait pas encore le bien?être mais
simplement la possibilité de survivre.
... L'âge d'or est donc avant tout un âge d'abondance, voire de réplétion (7), de douceur et de
paix.
Jacques Lacarrière, En suivant les dieux, Philippe Lebaud Éditeur, 1984.
1. De La Palice, maréchal de France (1470 - 1525), tué à Pavie.
2. Qui peut arriver ou ne pas arriver ; fortuit, occasionnel.
3. Allusion à Adam (et Eve) chassés du Paradis terrestre pour avoir désobéi à Dieu et condamnés dès lors à
connaître la peine, la souffrance et la mort.
4. Lorsque Dieu eut "confondu " les langues des constructeurs de la tour de Babel, il dispersa les hommes sur
toute la surface de la terre.
5. Peuple apparu au quatrième millénaire av. J.C. dans la basse Mésopotamie, inventeur de diverses techniques
fondamentales (terre cuite, écriture, irrigation/ et dont l'histoire se dégage mal de la légende.
6 . Région de la Mésopotamie Centrale, par opposition à Sumer qui bordait le Golfe Persique.
7. Etat d'un organe qui est plein.
HDA : Watteau, le libertinage