Cocteau :
Comptant parmi les artistes qui ont marqué le xxe siècle, il a côtoyé la plupart de ceux qui ont animé la vie artistique de son époque. Il a été l'imprésario de son temps, le lanceur de modes, le bon génie d'innombrables artistes. En dépit de ses œuvres littéraires et de ses talents artistiques, Jean Cocteau insista toujours sur le fait qu'il était avant tout un poète Il est également fasciné par le maître des ballets russes, Serge de Diaghilev et ses artistes principaux, le peintre Léon Bakst et le danseur Vaslav Nijinsky. La rencontre avec Diaghilev qu'il veut étonner marque la première crise dans la création coctalienne : il renie ses recueils de poèmes, pastiches assez ampoulés, et se rapproche de l'avant-garde cubiste et futuriste.
De sa collaboration avec les artistes russes naissent Le Dieu bleu en 1912, avec des costumes et décors de Léon Bakst sur une musique composée par Reynaldo Hahn, puis Parade, ballet produiten 1917 avec des costumes et décors de Pablo Picasso et une musique composée par Erik Satie. Cette œuvre inspire à Guillaume Apollinaire le néologisme de surréalisme, repris ensuite par André Breton et Philippe Soupault pour la création du mouvement culturel que l'on connaît. Cocteau collabore au mouvement dada et a une grande influence sur le travail des autres, dans le groupe même composé par ses amis, « Les Six » dont il devient le porte-parole.
Vers 1933, Cocteau fait la connaissance de Marcel Khill qui devient son compagnon et joue, à sa création, le rôle du messager de Corinthe dans La Machine Infernale. Ils feront ensemble, en 1936, un tour du monde en 80 jours relaté par Jean Cocteau dans Mon Premier Voyage (Éditions Gallimard).
Cocteau entretient ensuite une relation de longue durée avec deux acteurs français, Jean Marais et Édouard Dermit, ce dernier officiellement adopté par Cocteau.
En 1940, Le Bel Indifférent, une pièce de Cocteau écrite pour Édith Piaf, est un énorme succès. Il travaille également avec Picasso et Coco Chanel sur plusieurs projets, est l'ami de la majeure partie de la communauté européenne des artistes, et lutte contre son penchant pour l'opium durant la plus grande partie de sa vie d'adulte.
Jean Cocteau joue un rôle ambigu durant la Seconde Guerre mondiale, les résistants l'accusent de collaboration avec les Allemands, une partie de son passé (1939-1944) reste mystérieuse. Jean Cocteau écrira dès le début de l’Occupation dans l’hebdomadaire collaborationniste « La Gerbe » créé par le célèbre écrivain breton Alphonse de Châteaubriant. En décembre 1940 il y lance une « adresse aux jeunes écrivains », sorte de message pour les jeunes Français les appelant à prendre part au « Nouvel Ordre européen »
en octobre 1963, apprenant le décès de son amie Édith Piaf, il est pris d'une crise d'étouffement et succombe quelques heures plus tard d’une crise cardiaque dans sa demeure de Milly-la-Forêt, le 11 octobre 1963 à l'âge de 74 ans19. Cependant, Jean Marais déclare dans un entretien télévisé le 12 octobre 1963 : « Il est mort d'un œdème du poumon, son cœur a flanché. Il aimait beaucoup Édith mais je ne pense pas que ce soit la mort d'Édith qui ait provoqué la mort de Jean. »
La Machine infernale
résumé
L'acte s'ouvre sur l'intervention de la Voix qui raconte l'intégralité du mythe.
Il se passe dans une attente marquée d'inquiétude. Sur les remparts de Thèbes, deux soldats veillent. Ils sont chargés de protéger la ville contre le Sphinx. Depuis des mois, ce monstre, posté non loin des portes de la ville, tue les jeunes gens qui s'aventurent dans ses parages, mais personne ne sait ce qu'il est véritablement.
Pour Cocteau, le Sphinx, « tueuse d'hommes », incarne donc tout simplement la Femme (c'est sans doute le vrai sens du mythe).
En fait, nos deux gardes n'attendent pas le Sphinx, ils attendent le « fantôme ». Justement, leur chef vient leur demander des comptes et les interroger sur cet étrange personnage qui leur rendrait visite depuis plusieurs nuits (Le Soldat et le jeune soldat racontent au chef ce que le « fantôme » veut vraiment). Celui-ci se présente, disent-ils, comme étant le roi Laïus : il s'agirait d'un fantôme très gentil, très poli, mais bien pitoyable, car il semble terrorisé par une chose horrible qu'on veut l'empêcher de dire. Ils n'ont pas compris de quoi il s'agissait ; ils savent seulement que le roi doit absolument avertir sa femme et que le danger est imminent.
La reine arrive, ayant elle aussi entendu parler de ce fantôme. Au grand émoi du chef, qui cherche à se faire bien voir d'elle, celle-ci n'a d'yeux que pour le jeune soldat. Elle espère obtenir par lui des renseignements sur celui qui serait son défunt mari, peut-être même l'apercevoir ou l'entendre. Hélas, lorsqu'il essaie de se manifester, occupée qu'elle est par la beauté du garçon, elle ne perçoit pas ses appels pathétiques. Quand elle s'éloigne, le fantôme désespéré, lance aux soldats, qui eux le voient, ce message pressant : « Rapportez à la reine qu'un jeune homme approche de Thèbes et qu'il ne faut sous aucun prétexte… »
Puis disparaît pour toujours le seul qui aurait encore pu sauver Œdipe.
Il se déroule dans le même temps que le précédent. En bas, devant les portes de la ville, il met en marche le processus que là-haut, sur le rempart, le fantôme essaie d'arrêter, et il nous dévoile le « mystère » de la victoire d'Œdipe. Le Sphinx est fatigué de tuer et nous découvrons que ce monstre est une jeune fille en robe blanche, lasse de tuer, et disposée à tomber amoureuse du prochain joli garçon qui passera, et peut-être à se sacrifier pour le sauver. Mais le chien Anubis, dieu égyptien de la mort, veille au respect des consignes données par les dieux : il n'est pas question de s'attendrir sur les humains.
Lorsque apparaît Œdipe, elle s'éprend de lui d'emblée et s'efforce de l'éloigner pour lui éviter une mort certaine, mais la froide détermination du jeune homme et sa présomptueuse conviction qu'il vaincra le Sphinx l'amènent à se révéler sous sa forme animale et à montrer son pouvoir. Terrassé par le monstre qui lui inflige le supplice de ses précédentes victimes, il oublie toute dignité et crie grâce. Quand il se croit perdu, il apprend, de la bouche même du Sphinx, le secret de l'énigme. Les liens qui le paralysaient se dénouent et il se sauve. Mais Anubis ne se satisfait pas de ce simulacre, il exige que la question soit posée. Œdipe, interrogé, donne alors la réponse que le Sphinx vient de lui apprendre. Il a remporté la victoire, mais sans montrer aucun mérite. Il accroît son ridicule, aux yeux du spectateur, en recherchant la pose la plus avantageuse pour porter la dépouille du Sphinx jusqu'à Thèbes, afin de prouver son succès.
Fou de joie, il court vers la ville, vers la reine qui lui est promise et vers la royauté, oubliant celle dont il n'a pas compris l'amour ni le dévouement.
Pour calmer sa terrible crise de dépit, Anubis annonce alors au Sphinx redevenu femme après sa défaite, l'avenir monstrueux qui attend Œdipe. La vision en est si atroce qu'elle éveille la pitié dans le cœur de la Vengeresse, avatar final du Sphinx, qui apparaît en apothéose sous l'aspect de la déesse Némésis.
Mais rien ne peut plus sauver Œdipe, pas même la compassion d'un dieu.
Œdipe et Jocaste, cédant à leurs penchants, refusent tous les avertissements, mais leur amour, qui semble sincère, s'exprime maladroitement. Trop de souvenirs les préoccupent, trop de non-dits les séparent, trop d'obstacles les gênent.
Après une journée de cérémonies et de festivités épuisantes, les deux époux se retrouvent seuls face à face dans la chambre de Jocaste, pour la première fois. Ils souhaitent ardemment réussir ce moment, attendu par l'une comme une renaissance, par l'autre comme un couronnement et une initiation à l'amour. Œdipe est obligé – coutume locale – de recevoir Tirésias pendant que Jocaste se prépare. « Je suis vierge », dit Œdipe à Tirésias. Le devin, en effet, tente une ultime mise en garde pour stopper le mécanisme effrayant et fait état de « présages funestes ». Mais le nouveau roi se méfie des conseils d'un prêtre ligué, pense-t-il, avec Créon pour l'évincer, et il reste sur ses positions sans se soucier des avis divins : « Les oracles… mon audace les déjoue… » Œdipe finit par agresser Tirésias, l’étrangle presque et, tentant de lire son avenir dans ses yeux, ne peut aller au-delà de la naissance de ses quatre enfants. Au moment de découvrir la vérité, il tombe, aveuglé lui-même – symbole de son actuelle cécité sur sa condition, et annonce du dénouement réel. Retrouvant après un instant la vue, il lui présente ses excuses et lui révèle son identité de fils de Polybe et Mérope, les souverains de Corinthe. Tirésias, qui est moins omniscient que dans la tradition, est alors rassuré.
Les époux vont-ils enfin profiter de leur bonheur ? Hélas, malgré leur bonne volonté, la fatigue les fait sombrer dans de brefs assoupissements où leur passé ressurgit et s'exprime par bribes confuses. C'est alors une lutte épuisante contre le sommeil qui révélerait à l'autre des secrets inavouables.
Jocaste reconnaît sa faute, l'infanticide qu'elle raconte à Oedipe en prétendant qu'il s'agit d'« une femme, ma sœur de lait, ma lingère ». Elle reste aussi marquée par ce mur sur lequel (premier signe d'infidélité ?) elle n'a pas su voir son époux. Œdipe, malgré l'admiration éperdue de sa femme, sait qu'il n'est pas un héros, car il n'a gagné qu'avec l'aide du Sphinx, et se souvient qu'il a été à sa merci, qu'il s'est montré faible et ridicule.
La différence d'âge, dont Œdipe se soucie peu, tourmente la reine vieillissante. Et dans cette nuit de cauchemar, c'est un homme de la rue, un ivrogne attardé sous les fenêtres royales, qui a le dernier mot : « Votre époux est trop jeune, bien trop jeune pour vous… hou ! »
L'acte suit de près la fin de l'Oedipe Roi de Sophocle (et de la propre adaptation de Cocteau, mise en musique par Stravinsky sept ans plus tôt : Oedipus Rex. « Dix-sept ans après », une à une vont se dissiper les illusions et les fictions qui ont protégé le couple royal. De révélation en révélation, Œdipe et Jocaste seront amenés devant la réalité.
L'annonce de la mort du roi de Corinthe provoque chez son fils le soulagement et même la joie. Cette attitude scandalise son entourage et l'amène à énoncer la prédiction devenue caduque : « Mon père est mort… L'oracle m'avait dit que je serais son assassin et l'époux de ma mère ». Jocaste, qui avait reçu un avertissement similaire et n'en avait soufflé mot, peut ici s'apercevoir que son époux lui avait soigneusement caché la fâcheuse prophétie. Ce silence entre eux trahit une gêne face à des étrangetés qu'ils n'ont pas voulu examiner de trop près, pour sauvegarder leur bonheur.
Mais « vous n'étiez que son fils adoptif », le rassure le messager, sans comprendre qu'il remet en cause par cette déclaration toute la stratégie de fuite élaborée par Œdipe : qui est son père ?
La précision : « Mon père vous délia presque mort, pendu par vos pieds blessés », si elle explique simplement au roi l'origine de ses cicatrices, amène Jocaste à une découverte bien pire, qu'elle reçoit sans mot dire : Œdipe est l'enfant qu'elle a voulu supprimer.
Un souvenir qui revient soudain au roi : « Pendant une rixe avec des serviteurs, j'ai tué un vieillard qui voyageait au carrefour de Daulie et de Delphes », la met devant une nouvelle évidence : Œdipe est le meurtrier de Laïus, c'est-à-dire de son père.
Pour Jocaste, maintenant, tout est clair. Tandis que son mari se débat dans des suppositions qui l'irritent et l'affligent, la malheureuse se pend avec sa grande écharpe rouge… Œdipe, monté la retrouver dans sa chambre, découvre son corps. Il apparaît, « déraciné, décomposé ». Il accuse son beau-frère : « vous me l'avez tuée » ; il croit à un complot.
Tirésias lui affirme alors : « Vous avez assassiné l'époux de Jocaste, Œdipe, le roi Laïus. Je le savais de longue date… ni à vous, ni à elle, ni à Créon, ni à personne je ne l'ai dit ».
En fait, il lui reste le pire à comprendre, car il s'égare encore sur de fausses pistes concernant sa naissance. Paraît alors un vieux berger, c'est « l'homme qui [t'] a porté blessé et lié sur la montagne ».
Pressé de répondre, le vieillard avoue ce qu'on lui avait interdit de dévoiler sous peine de mort : « Tu es le fils de Jocaste, ta femme, et de Laïus tué par toi au carrefour des trois routes. Inceste et parricide. »
Œdipe comprend alors qu'on n'échappe pas à un oracle : « J'ai tué celui qu'il ne fallait pas. J'ai épousé celle qu'il ne fallait pas. Lumière est faite. »
Il lui reste à se punir lui-même. « Il se donne des coups dans les yeux avec la grosse broche en or », crie sa fille, la petite Antigone.
Devenu aveugle, il voit s'avancer vers lui Jocaste, mystérieusement redevenue sa jeune mère pour l'accompagner dans son exil, car il doit quitter la ville.
Il s'éloigne, accompagné de sa fille et de sa mère-épouse, confondues dans une même sollicitude : « Attention… compte les marches… un, deux, trois, quatre, cinq… » À Créon qui veut intervenir, Tirésias déclare : « Ils ne t'appartiennent plus ».