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L.Gaudé, Eldorado, comment le roman à travers la construction des personnages exprime-t-il une vision du monde ?
Problématique : comment le roman Eldorado se fait-il le reflet d'une réalité actuelle tout en développant une fable intemporelle ?
Séance 1 : entrer dans le roman
LE TITRE
Prérequis : travail sur l'utopie (site de la BNF) et lecture des chapitres 18 et 19 de Candide consacrés à Eldorado (Séquence I : A la recherche du bonheur)
L’Eldorado est découvert par Candide et son valet Cacambo au hasard d’un périple en Amérique du Sud. Les expériences douloureuses du Nouveau Monde ont convaincu Cacambo de retourner en Europe, mais les deux protagonistes se heurtent à des contraintes géographiques : ils n’ont d’autre choix que de se recommander à la Providence. Le canot finit par se fracasser contre des écueils qui ouvrent la porte de l’Eldorado, nom donné par les Espagnols qui avaient "une connaissance confuse de ce pays". Le lieu, bordé de montagnes inaccessibles, est atteint après une progression difficile parmi les rochers. Un vieillard de 172 ans révèle que le royaume est "l’ancienne patrie des Incas qui en sortirent très imprudemment pour aller subjuguer une partie du monde, et qui furent enfin détruits par les Espagnols". La sortie en est périlleuse selon le roi : "Il est impossible de remonter la rivière rapide sur laquelle vous êtes arrivés par miracle, et qui court sous des voûtes de rochers. Les montagnes qui entourent tout mon royaume ont dix mille pieds de hauteur, et sont droites comme des murailles : elles occupent chacune en largeur un espace de plus de dix lieues ; on ne peut en descendre que par des précipices." L’unique solution consiste à construire sur mesure une machine, conduite par deux grands moutons rouges.
La langue de l’Eldorado est le péruvien, langue maternelle de Cacambo qui gagne un rôle central en devenant l’interprète de Candide. L’or, les rubis, les pierreries sont sans valeur dans ce pays et les pièces d’or, des cailloux de grands chemins. Le pouvoir et l’argent n’ont pas de place dans ce royaume qui ne comporte ni cour de justice, ni parlement, ni prison. Les sciences en revanche méritent un palais : Candide y découvre "une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathématique et de physique". Le superlatif ponctue chaque découverte qu’il s’agisse de la beauté des habitants, de la vitesse des moutons, de l’excellence de la cuisine, de l’agrément de la musique, de la politesse des habitants, du confort des maisons et du palais. "Le pays était cultivé pour le plaisir comme pour le besoin. Partout l’utile était l’agréable" : est-ce là le meilleur des mondes ? L’Eldorado est un royaume administré par un roi qui considère que "tous les hommes sont libres" et qui prône une forme de libéralisme politique puisqu’il est question du "consentement de la nation". Le pouvoir religieux est inexistant : "nous adorons Dieu du soir jusqu’au matin". (…) "nous n’avons rien à lui demander ; il nous a donné tout ce qu’il nous faut, nous le remercions sans cesse".
Ce Dieu Providence rapproche cette religion du théisme.Candide s’interroge et interroge, s’étonne, admire, se félicite de ces bienfaits mais sur le fond, il reste fidèle aux valeurs de l’ancien monde : il reconnaît la supériorité de ce pays sur le château de Thunder-ten-tronckh mais souhaite le quitter : "Si nous restons ici, nous n’y serons que comme les autres ; au lieu que si nous retournons dans notre monde, seulement avec douze moutons chargés de cailloux d’Eldorado, nous serons plus riches que tous les rois ensemble, nous n’aurons plus d’inquisiteurs à craindre, et nous pourrons aisément reprendre mademoiselle Cunégonde." Cacambo approuve, à l’inverse du roi qui les met en garde – "Vous faites une sottise (…) ; je sais bien que mon pays est peu de chose ; mais quand on est passablement quelque part, il faut y rester". Le narrateur le déplore également : "on aime tant à courir, à se faire valoir chez les siens, à faire parade de ce qu’on a vu dans ses voyages, que les deux heureux résolurent de ne plus l’être, et de demander leur congé à Sa Majesté."
L’Eldorado tient une place essentielle dans le conte puisqu’il en marque le milieu, au chapitre XVII, à la fois point d’aboutissement d’un parcours et point de départ du voyage de retour : Candide découvre un autre modèle du bonheur qui se substitue au château initial, cependant le lieu, aussi doré soit-il, n’a pas répondu à toutes les quêtes. Symbole de l’utopie, qui n’est pas sans rappeler l’île d’Utopie de Thomas More (1516) tout aussi difficile d’accès, ou la Bétique dans les Aventures de Télémaque de Fénelon (1699) où les habitants ne se soucient guère de l’or, ce royaume s’appuie sur des concepts que Voltaire développera notamment le Dictionnaire philosophique. Dans l’économie du conte, il constitue une étape déterminante qui souligne le pouvoir d’étonnement de Candide et la mise à distance d’un paradis perdu, mais aussi le chemin qui lui reste à parcourir pour construire son propre jardin.
Inventé en 1516 par Thomas More dans son ouvrage Utopia, littéralement "en aucun lieu", le concept trouve ses racines chez Aristote, Platon, Saint-Augustin. Son sens politique lié à un gouvernement imaginaire apparaît au XVIIIe siècle, évoluant au siècle suivant vers la notion de conception politique ou sociale ne tenant pas compte de la réalité : l'utopie devient un projet irréalisable, parfois irréaliste. Les définitions des dictionnaires soulignent cette tonalité puisque les termes de chimère, illusion, mirage, rêve, rêverie se trouvent bien souvent associés au concept.
Dans Candide, l’utopie apparaît avec l’Eldorado : pays d’abondance et d’équilibre où l’argent est sans valeur, où les habitants vivent heureux dans le respect de lois qu’ils ont tous acceptées. Le héros pense avoir enfin découvert "le meilleur des mondes possibles" mais il quitte le pays doré car cette utopie n’est pas la sienne : la cité n’est idéale que pour ceux qui y sont nés et qui l’ont choisie, Candide repart pour ne pas s’abandonner à l’idéal d’autrui, tant le bonheur imposé peut devenir cauchemar. Il est au milieu de son voyage et c’est par le jardin qu’il mettra en œuvre sa conception de l’existence, appuyée sur le travail. L’utopie présentée par Voltaire, comme Thomas More ou Rabelais l’ont fait avant lui, n’est pas portée par une providence divine qui apporte l’abondance : elle se distingue en cela de l’Âge d’or, du paradis terrestre ou des prédictions millénaristes. Elle prône au contraire une démarche humaniste appuyée sur des moyens humains. Elle rejoint la notion de "perfectibilité humaine" qui se développe au siècle des Lumières : "l’autre monde est dans le monde", c’est tout le sens du voyage de Candide vers le jardin final.
LES PREMIERES DE COUVERTURE
Exercice :
Dans les premières de couverture suivantes identifie quels sont les aspects du roman abordés.
Laquelle te semble la plus pertinente ? Pourquoi ?
Quelle image choisirais-tu si tu devais réaliser la première de couverture du roman ?
LES THEMES
Diagnostique préliminaire : quels sont les principaux thèmes abordés selon vous dans le roman ?
Exercice 1: Réaliser une carte heuristique autour du roman Eldorado
Exercice 2 : A partir du site du journal « le monde », rubrique « Les décodeurs » et glossaire du site wwwunesco.org
Relier chaque mot à sa définition en indiquant dans la seconde colonne le numéro de la définition qui correspond au mot.
Séance 2 : Repérer les parcours croisés des deux protagonistes
LA COMPOSITION
L'originalité de la structure du roman de Gaudé est de faire alterner les chapitres consacrés aux deux personnages principaux du récit Piracci et Soleiman et dont les chemins se croiseront à la fin du roman
Extraits pour une lecture cursive
Le parcours de Piracci
Extrait 1
A Catane, en ce jour, le pavé des ruelles du quartier de Duomo sentait la poiscaille. Sur les étals serrés du marché, des centaines de poissons morts faisaient briller le soleil de midi. Des seaux, à terre, recevaient les entrailles de la mer que les hommes vidaient d'un geste sec. Les thons et les espadons étaient exposés comme des trophées précieux.
Le commandant Salvatore Piracci déambulait dans ces ruelles, lentement, en se laissant porter par le mouvement de la foule il observait les rangées de poissons disposés sur la glace, yeux morts et ventre ouvert. Son esprit était comme happé par ce spectacle il ne pouvait plus les quitter des yeux et ce qui, pour toute autre personne était une profusion joyeuse de nourriture lui semblait à lui, une macabre exposition
C’est là que le commandant sentit pour la première fois sa présence Quelqu’un le regardait, il en était certain il avait la conviction qu’on l’épiait, que quelqu’un dans son dos, le fixait avec insistance. Il se retourna d’un coup mais ne vit rien d’autre, dans la foule, que les badauds qui avançaient à petits pas. Il déambulait dans les rues du marché, ressassant ces idées, lorsque, tout à coup, il eut à nouveau le sentiment qu’on l’observait. Il sentait le poids d’un regard sur son dos. ll tourna alors la tête, le plus calmement possible, pour défier la violence si elle se présentait. Il fut saisi d’étonnement. À quelques mètres de lui, une femme le regardait. Elle était immobile. Le visage sans expression. Ni demande. Ni sourire. Toute entière dans l’attention qu’elle lui portait. Il fut frappé par la volonté qui émanait de cette immobilité et de ce calme. Elle le regardait comme on fixe un point lointain que l’on veut atteindre. Il essaya de sourire mais n’y parvint pas tout à fait.
1/ En vous appuyant sur les verbes de perception, montrez que la scène est décrite à partir du point de vue du personnage.
2/ Quel sentiment éprouve-t-il devant les étals de poissons 3/ « Il avait la conviction qu’on l’épiait » Quel effet produit sur le lecteur le pronom « on »
4/ Qu’éprouve alors le commandant Salvatore Piracci ?
Extrait 2
Vous ne me reconnaissez pas ? Demanda-t-elle. Elle avait parlé avec un accent prononcé – turc peut-être – mais sans aucune faute. Salvatore Piracci ne savait que répondre. Il était incapable de dire qui était cette femme mais il sentait Qu’effectivement il ne la voyait pas pour la première fois. Il savait qu’il ne la reconnaîtrait pas sans un peu d’aide et il pressentait que lorsqu' elle lui serait révélée, son identité allait lui causer un choc. « Où l’ai-je vue ? » pensa-t-il en tentant, dans la panique, de faire défiler toute sa vie en son esprit. Mais elle ne lui laissa pas le temps de chercher davantage. Elle sortit de sa poche un vieux portefeuille de cuir noir et en extirpa une coupure de journal qu’elle lui tendit. Il la regarda avec une sorte d’appréhension. Il sentait que le moment de la surprise était proche. Lorsque ses yeux tombèrent sur la photo de l’ article découpé, il entendit la voix de la femme qui ajoutait – comme pour l’accompagner dans l’émergence de ce souvenir « Le Vittoria . 2004 »
Le commandant Piracci n’eut pas besoin de lire l’article. Tout lui revint en tête. Le Vittoria . Lui, il se souvenait. C’était le nom d’un navire qu’il avait intercepté au large des côtes italiennes. Un bateau rempli d’émigrants. Des centaines d’hommes et de femmes qui dérivaient depuis trois jours. Lorsque les marins italiens montèrent à bord, munis de puissantes lampes torches dont ils balayaient le pont, ils furent face à un amas d’hommes en péril, déshydratés, épuisés par le froid, la faim et les embruns. Il se souvenait encore de cette forêt de têtes immobiles. … – Vous vous souvenez de moi ?
Il fit oui de la tête et ce n’était pas mentir. Cela lui semblait étrange à lui-même parce que deux ans avaient passé, mais il n’avait rien oublié. Ou plutôt, ces visages qu’il pensait avoir effacés de sa mémoire se représentaient à son esprit avec précision. Comme s’ils avaient été enregistrés une fois pour toutes. Lui, il se souvenait. Lorsqu’ils eurent effectué le transfert de ces hommes, lorsque le bateau clandestin leur sembla vide, lorsqu’ils eurent emportés à bord les corps de ceux qui étaient morts, ils firent une dernière ronde. C’est là qu’il la trouva. Prostrée dans un coin. Assise à même le pont. Sa main agrippée à la rambarde. … C’est alors que leurs regards se croisèrent. Jusque là, il n’avait vu qu’un corps emmitouflé, qu’une femme éreintée de fatigue, une pauvre âme déshydratée qui ne voulait pas quitter la nuit. Mais lorsqu’il croisa son regard, il fut frappé par cette tristesse noire qui lui faisait serrer la rambarde de toute sa force.
5/ Qui est la jeune femme que le commandant Salvatore Piracci rencontre
6/ Analysez la façon dont la scène lui revient en mémoire. que laisse penser la répétition des phrases : « Oui, il se souvenait » De quoi se souvient Salvatore Piracci ?
Extrait 3
Lorsque je vous ai vu sur le marché, j’ai tout de suite su que c’était vous. Vous faites toujours le même métier ? Elle s’était mise à parler d’ un coup et sa voix emplissait la pièce avec force. Salvatore Piracci acquiesça. Oui. Toujours. Cela faisait vingt ans. Il avait commencé comme enseigne sur la frégate Zeffiro , un bâtiment militaire chargé de la surveillance des côtes au large de Bari. Puis il avait quitté les Pouilles pour la Sicile. Il avait été promu, au fil des années jusqu’à diriger la frégate Zeffiro . Cela faisait trois ans qu’il occupait ce poste. Il patrouillait le plus clair de son temps au large de l’île de Lampedusa et partageait ainsi sa vie entre son navire, les escales à Lampedusa et son port d’attache Catane. Mais au fond, depuis cette époque où il était un jeune homme passionné de mer, fier de la rutilance de son uniforme et qui aurait avalé tous les océans avec un appétit féroce, rien n’avait changé. Les Albanais avaient fait place aux Kurdes, aux Africains, aux Afghans. Le nombre des clandestins n’avait cessé d’augmenter. Mais c’était toujours les mêmes nuits passées à l’écoute des vagues, traversées, parfois, par les cris d’un désespéré qui hurle vers le ciel du fond de sa barque.
7/ Récapitulez les informations dont vous disposez concernant Salvatore Piracci
8/ Comment sont caractérisés les émigrants du « Vittoria » ?
Extrait 4
Salvatore Piracci invite la femme chez lui. Elle lui raconte ce qu’elle a vécu sur le bateau Le Vittoria.
C’était donc cela. La vengeance. C’est cela qui l’avait fait tenir. …Il voulait se lever, faire quelques pas, lui parler de la vie qui lui restait à vivre, du passé qu’il fallait laisser derrière soi. Parler du malheur, lui dire qu’on ne se venge pas d’une tempête ou d’un cataclysme. Mais avant qu’il n’ait pu le faire, elle reprit la parole et sa voix le gifla :
– Ils m’ont fait payer le billet de mon fils. Mille cinq cents dollars, commandant. Mille cinq cents dollars pour mourir de soif dans mes bras. Comment voulez-vous que je pardonne ça ?
Extrait 5
La femme demande à Salvatore Piracci de lui donner son arme pour se venger du passeur.
Je suis contente que nous nous soyons revus. La boucle est bouclée. Vous avez été le premier visage de l’Europe, vous en serez le dernier. Je retourne là-bas. Je n’ai pas peur. Je veux quelque chose. De toutes mes forces. Je veux. Jour et nuit. Vous n’imaginez pas la force que cela procure. Je suis une petite femme têtue, commandant. Je me battrai contre la mer et le vent. Même les hommes ont cessé de me faire peur. …
Tenez, dit-il d’une voix sourde à la femme, en lui tendant l’arme.
– Merci, dit-elle simplement.
Extrait 6
Le commandant Salvatore Piracci intervient en mer afin de retrouver les cinq canots pleins de clandestins, qu’un cargo libyen a laissés en mer.
Le petit groupe d’émigrants se tenait serré les uns contre les autres, sur le pont, ne sachant plus que faire de leur corps, ignorant s’ils avaient le droit d’aller et venir ou s’il fallait qu’ils se tiennent immobiles et tête basse, comme des prisonniers. Les deux barques vides avaient été abandonnées à la mer qui s’amusait maintenant à les faire danser avant de se décider à les avaler. … Il contemplait ces hommes. Il n’y avait pas une seule femme, que des jeunes gens et il lisait dans leurs regards un mélange de reconnaissance et de peur. Ils devaient imaginer qu’on allait maintenant les mettre en fond de cale. En les observant, le commandant pensa : « Quel étrange métier… Nous sauvons des vies. Nous partons à la recherche d'hommes perdus qui se noieraient sans notre aide ou crèveraient de faim, des hommes qui nous espèrent de toute la force de leur vie et dès que nous les trouvons, chacun se regarde avec crainte. Ni embrassade, ni joie d’avoir été plus rapide que la mer… ».
Extrait 7
Le commandant revient à Lampedusa avec les clandestins des deux canots qu’il a retrouvés. L'un d’eux vient lui parler et lui demande de ne pas le livrer aux carabiniers.
Les carabiniers, en bas, étaient prêts à les réceptionner. C’est alors que le commandant sortit de la passerelle et cria : « Non ! Attendez ! ». Le silence se fit. Les hommes de l’équipage tournèrent la tête et l’observèrent, attendant un ordre ou une explication. Les clandestins s’immobilisèrent, à mi-chemin sur l’escalier, craignant d’avoir fait quelque chose de répréhensible. Les carabiniers levèrent les yeux pour essayer d’apercevoir le visage de celui qui venait de hurler. Tous les regards convergèrent sur lui. Il resta un temps interdit, comprenant qu’il était trop tard. Il ne pouvait plus rien. Il avait hésité trop longtemps. Alors, d’un geste sec de la main, sans pouvoir dire une parole, il fit signe aux clandestins de continuer leur descente
Extrait 8
Le commandant Salvatore Piracci se retrouve face au capitaine du bateau responsable de la mort des clandestins.
Le capitaine libyen eut à peine le temps de lever les yeux. Le commandant, sans dire un mot, le frappa au visage. Puis il l’empoigna. Il repensait aux trois barques qu’il n’avait pas trouvées et que personne ne retrouverait jamais. … Il voulait continuer, frapper jusqu’à ce que l’homme gise à terre, et au-delà encore, mais, d’un coup, une voix retentit, au-dessus du tumulte : – Commandant, je vous ordonne d’arrêter cela tout de suite. Il aurait pu passer outre et poursuivre mais son corps se raidit. Il reconnaissait cette voix. C’était celle de l’autorité. Cela faisait vingt ans qu’il lui obéissait, vingt ans qu’il avait été dressé pour s’exécuter sur le champ
9/ Analysez le processus qui a amené le commandant à se rebeller.
10/ Imaginez une suite. Le commandant explique son geste au colonel des carabiniers et dénonce la situation.
Votre récit de vingt à vingt-cinq lignes respectera les étapes suivantes :
- Le colonel lui demande de s’expliquer.
- Le commandant Piracci raconte comment le capitaine du bateau a abandonné en mer des clandestins et dénonce cette situation
Le parcours de Soleiman
Extrait 9
Soleiman et son grand frère Jamal quittent leur pays. Ils doivent partir ensemble pour l’Europe, mais Jamal annonce à son frère qu’il ne part pas avec lui.
Il m’explique qu’il a payé pour tout, que je n’ai plus à me soucier de rien, simplement me concentrer sur mes forces et aller jusqu’au bout. La voiture m’emmène à Al-Zuwarah, sur la côte libyenne. Elle me déposera dans un appartement où les passeurs viendront me chercher. Je payerai la deuxième moitié à ce moment-là, pour la traversée. Jamal parle lentement. Il a tout calculé. Tout prévu. … Je ne parviens pas à penser que je vois mon frère pour la dernière fois. La tête me tourne. J’ai besoin d’appui. C’est alors que Jamal enlève de son cou un collier et me le tend. Je ne bouge pas. Je suis sans force. Il me le met autour du cou. C’est un collier de perles vertes. J’ai toujours vu mon frère avec. Je sens le contact froid de perles sur ma peau. Il ne dit pas un mot. Il doit être comme moi, incapable de prononcer une parole. Il me serre à nouveau dans ses bras, avec force. Je me remplis de sa vigueur. … Je me remplis de lui pour ne jamais oublier le visage qu’il a à cet instant
11/ Quel changement intervient au niveau de la narration dans les chapitres qui racontent le voyage de Soleiman ? Quel est l’effet produit sur le lecteur ?
12/ Comment réagit Soleiman quand son frère lui annonce qu’il ne part pas avec lui ?
13/ Que représente le collier ?
Extrait 10
Soleiman fait une rencontre particulière.
C’est alors que je le vois. Au milieu de cette foule de couleurs et de cris. Là. Immobile. Je le reconnais tout de suite. Il ne fait rien. Il attend silencieusement que l’on vienne à lui. Je le regarde longuement, le temps d’être certain qu’il ne s’agit pas d’une vision. C’est lui. Lui. Nos regards se croisent. Alors, je m’approche et je fais ce que je dois. … Lorsque Boubakar m’aperçoit, il me sourit. …
– Ça va
– Oui.Tu es sûr de vouloir venir ? Demande-t-il.
– Oui. Jusqu’au bout.
Et puis il ajoute :
– Qu’as-tu fait de ton collier ?
– Je l’ai offert à quelqu’un. Là-bas. Sur le marché.
Boubakar me regarde un temps mais n’insiste pas. Il doit penser que quelque chose est changé en moi. Il a raison. Je n’ai plus peur de rien
14/ Dans la suite du roman que s’est-il passé au marché ? Qui Soleiman a-t-il rencontré ? Pourquoi cette rencontre l’a-t-elle transformé ?
15/ En quoi ce collier joue-t-il un rôle symbolique ?
Exercice : ECRITURE D'INVENTION : Le collier de perles raconte son histoire
Extrait 11
Soleiman et son ami Boubakar franchissent la frontière entre le Maroc et l’Espagne à Ceuta.
« À l’attaque ! » Nous nous sommes tous dressés d’un bond. Cinq cents hommes qui sortent de terre. Les silhouettes de gardes espagnols se sont figées. … En une seconde, j’étais sur pied. Et j’ ai laissé derrière moi Boubakar et les hautes herbes. … Je cours. Je dévale la colline en serrant mon échelle. Je n’en reviens pas que nous soyons si nombreux. je dépasse des hommes qui soufflent comme moi, avec la même rage. Je cours. Je vais vite. Je suis jeune. Il faut se frayer un chemin dans la foule. Je serre fort mon échelle. Je suis maintenant à quelques mètres de la barrière. Je la plaque contre les barbelés. Je n’ai pas le temps de regarder si elle atteint le sommet, je commence à monter. Des dizaines d’autres échelles jaillissent partout autour de moi. Les plus jeunes d’entre nous sont arrivés. L’assaut a commencé. Je monte à toute vitesse. Les barreaux ne cèdent pas mais l’échelle est trop courte. Il reste presque un mètre à franchir. Je m’agrippe au fil qui me fait saigner les mains. Cela n’a pas d’importance. Je veux passer. J’ai le souffle court. Des bras me tirent. Je dois tenir. La barrière est secouée de mouvements incessants. Elle se tord et grince de tous ces doigts qui l’agrippent. Je suis en haut. Il ne me reste plus qu’à passer la jambe pour descendre de l’autre côté.
16/ « À l’attaque » À quoi Soleiman compare-t-il le passage de la frontière ?
17/ Comment l’auteur montre-t-il l’euphorie du personnage ? Relevez le lexique.
18/ Quel est le temps utilisé à partir de la 4ème ligne ? Quel est l’effet produit
19/ En quoi cet événement transforme-t-il Soleiman en héros ?
BILAN du parcours de lecture
Une structure binaire
Les personnages au début du roman
Exercice : Vous ferez un bref portrait des personnages de Soleiman et de Salvatore Piracci au début du roman.
L’alternance de deux discours et de deux points de vue différents
Vous caractériserez le point de vue et le discours de chacun des deux personnages principaux.
La progression des personnages
Le parcours des personnages
Tableau des chapitres
L’évolution des personnages
Exercice
Quelle est la quête de chacun des personnages ?
Vous compléterez le tableau suivant.
Les personnages à la fin du roman : des personnages transformés par leurs épreuves ?
Exercice : Vous ferez le portrait des deux personnages principaux à la fin du roman.
Séance 3 : Les enjeux du roman comme « vision de l'homme » et « vision du monde »
En quoi le roman Eldorado s'inscrit-il dans une démarche qu'on pourrait qualifier de « réaliste » ?
Lecture du texte ci-dessous : Jules et Edmond de Goncourt, préface du roman Germinie Lacerteux
Il nous faut demander pardon au public de lui donner ce livre, et l’avertir de ce qu’il y trouvera.
Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai.
Il aime les livres qui font semblant d’aller dans le monde : ce livre vient de la rue.
Il aime les petites œuvres polissonnes, les mémoires de filles, les confessions d’alcôves, les saletés érotiques, le scandale qui se retrousse dans une image aux devantures des libraires : ce qu’il va lire est sévère et pur. Qu’il ne s’attende point à la photographie décolletée du Plaisir : l’étude qui suit est la clinique de l’Amour.
Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui finissent bien, les imaginations qui ne dérangent ni sa digestion ni sa sérénité : ce livre, avec sa triste et violente distraction, est fait pour contrarier ses habitudes et nuire à son hygiène.
Pourquoi donc l’avons-nous écrit ? Est-ce simplement pour choquer le public et scandaliser ses goûts ?
Non.
Vivant au dix-neuvième siècle, dans un temps de suffrage universel, de démocratie, de libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu’on appelle « les basses classes » n’avait pas droit au Roman ; si ce monde sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l’interdit littéraire et des dédains d’auteurs qui ont fait jusqu’ici le silence sur l’âme et le cœur qu’il peut avoir. Nous nous sommes demandé s’il y avait encore, pour l’écrivain et pour le lecteur, en ces années d’égalité où nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop mal embouchés, des catastrophes d’une terreur trop peu noble. Il nous est venu la curiosité de savoir si cette forme conventionnelle d’une littérature oubliée et d’une société disparue, la Tragédie, était définitivement morte ; si, dans un pays sans caste et sans aristocratie légale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l’intérêt, à l’émotion, à la pitié, aussi haut que les misères des grands et des riches ; si, en un mot, les larmes qu’on pleure en bas pourraient faire pleurer comme celles qu’on pleure en haut.
Ces pensées nous avaient fait oser l’humble roman de Sœur Philomène, en 1861 ; elles nous font publier aujourd’hui Germinie Lacerteux.
Maintenant, que ce livre soit calomnié : peu lui importe. Aujourd’hui que le Roman s’élargit et grandit, qu’il commence à être la grande forme sérieuse, passionnée, vivante, de l’étude littéraire et de l’enquête sociale, qu’il devient, par l’analyse et par la recherche psychologique, l’Histoire morale contemporaine, aujourd’hui que le Roman s’est imposé les études et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libertés et les franchises. Et qu’il cherche l’Art et la Vérité ; qu’il montre des misères bonnes à ne pas laisser oublier aux heureux de Paris ; qu’il fasse voir aux gens du monde ce que les dames de charité ont le courage de voir, ce que les reines autrefois faisaient toucher de l’œil à leurs enfants dans les hospices : la souffrance humaine, présente et toute vive, qui apprend la charité ; que le Roman ait cette religion que le siècle passé appelait de ce large et vaste nom : Humanité ; — il lui suffit de cette conscience : son droit est là
.Paris, octobre 1864.
Exercice : En quoi cette préface peut elle s'adapter à Eldorado de L.Gaudé ?
Séance 4: l'ouverture du récit ; un incipit traditionnel ?
A Catane, en ce jour, le pavé des ruelles du quartier de Duomo sentait la poiscaille. Sur les étals serrés du marché, des centaines de poissons morts faisaient briller le soleil de midi. Des seaux, à terre, recevaient les entrailles de la mer que les hommes vidaient d'un geste sec. Les thons et les espadons étaient exposés comme des trophées précieux. Les pêcheurs restaient derrière leurs tréteaux avec l’œil plissé du commerçant aux aguets. La foule se pressait, lentement, comme si elle avait décidé de passer en revue tous les poissons, regardant ce que chacun proposait, jugeant en silence du poids, du prix et de la fraîcheur de la marchandise. Les femmes du quartier remplissaient leur panier d'osier, les jeunes gens, eux, venaient trouver de quoi distraire leur ennui. On s'observait d'un trottoir à l'autre. On se saluait parfois. L'air du matin enveloppait les hommes d'un parfum de mer. C'était comme si les eaux avaient glissé de nuit dans les ruelles, laissant au petit matin les poissons en offrande. Qu'avaient fait les habitants de Catane pour mériter pareille récompense ? Nul ne le savait. Mais il ne fallait pas risquer de mécontenter la mer en méprisant ses cadeaux. Les hommes et les femmes passaient devant les étals avec le respect de celui qui reçoit. En ce jour, encore, la mer avait donné. Il serait peut-être un temps où elle refuserait d'ouvrir son ventre aux pêcheurs. Où les poissons seraient retrouvés morts dans les filets, ou maigres, ou avariés. Le cataclysme n'est jamais loin. L'homme a tant fauté qu'aucune punition n'est à exclure. La mer, un jour, les affamerait peut-être. Tant qu'elle offrait, il fallait honorer ses présents.
Le commandant Salvatore Piracci déambulait dans ces ruelles, lentement, en se laissant porter par le mouvement de la foule il observait les rangées de poissons disposés sur la glace, yeux morts et ventre ouvert. Son esprit était comme happé par ce spectacle il ne pouvait plus les quitter des yeux et ce qui, pour toute autre personne était une profusion joyeuse de nourriture lui semblait à lui, une macabre exposition
Séance 5 : le récit pathétique de la femme
Ils levèrent l'ancre au milieu de la nuit. La mer était calme. Les hommes, en sentant la carcasse du navire s'ébranler, reprirent courage. Ils partaient enfin. Le compte à rebours était enclenché. Dans quelques heures, vingt-quatre ou quarante-huit au pire, ils fouleraient le sol de l'Europe. La vie allait enfin commencer. On rigolait à bord. Certains chantèrent les chants de leur pays. Elle ne se souvenait plus avec précision de cette première nuit sur le navire- ni de la journée qui suivit. Il faisait chaud. Ils étaient trop serrés. Son bébé pleurait. Mais ce n'était pas ce qui comptait. Elle se serait sentie capable de tenir des jours entiers ainsi. Le nouveau continent était au bout. Et la promesse qu'elle avait faite à son enfant de l'élever là-bas était à portée de main. Elle aurait tenu, vaille que vaille, pourvu qu'elle ait pu se raccrocher à l'idée qu'ils se rapprochaient, qu'ils ne cessaient, minute après minute, de se rapprocher. Mais il y eut ces cris poussés à l'aube du deuxième jour, ces cris qui renversèrent tout et marquèrent le début du second voyage. De celui-là, elle se rappelait chaque instant. Depuis deux ans, elle le revivait sans cesse à chacune de ses nuits. De celui-là, elle n'était jamais revenue.
Les cris avaient été poussés par deux jeunes Somalis. Ils s'étaient réveillés avant les autres et donnèrent l'alarme. L'équipage avait disparu. Ils avaient profité de la nuit pour abandonner le navire, à l'aide de l'unique canot de sauvetage. La panique s'empara très vite du bateau. Personne ne savait piloter pareil navire. Personne ne savait, non plus, où l'on se trouvait. A quelle distance de quelle côte. Ils se rendirent compte avec désespoir qu'il n'y avait pas de réserve d'eau ni de nourriture. Que la radio ne marchait pas. Ils étaient pris au piège. Encerclés par l'immensité de la mer. Dérivant avec la lenteur de l'agonie. Un temps infini pouvait passer avant qu'un autre bateau ne les croise. Les visages, d'un coup, se fermèrent. On savait que si l'errance se prolongeait, la mort serait monstrueuse. Elle les assoifferait. Elle les éteindraient. Elle les rendrait fous à se ruer les uns contre les autres.
Tout était devenu lent et cruel. Certains se lamentaient. D'autres suppliaient leur Dieu. Les bébés ne cessaient de pleurer. Les mères n'avaient plus d'eau. Plus de force. Plus les heures passaient et plus les cris d'enfants faiblissaient d'intensité- par épuisement- jusqu'à cesser tout à fait. Les esprits sombrèrent dans une épaisse léthargie. Quelques bagarres éclatèrent, mais les corps étaient trop faibles pour s'affronter. Bientôt, ce ne fut plus que silence.
Séance 6 : Le cimetière de Lampedusa
//Mais au fil des mois, il en vint s'échouer toujours davantage. Le cimetière devint trop petit, et les villageois se lassèrent. Devant le nombre, ils demandèrent à l’État de prendre en charge les cadavres et plus aucune tombe anonyme ne fut creusée dans l'enceinte du cimetière. Où allaient maintenant les corps échoués sur la plage ? Le commandant n'en savait rien. Le centre de détention provisoire avait été construit à l'écart de la ville, pour ne pas troubler la vie des riverains et le séjour des touristes. On faisait place nette.
Salvatore Piracci regardait la silhouette étrange de ces croi
C'est alors qu'un voix le fit sortir de ses pensées.
- C'est le cimetière de l'Eldorado, entendit-il.
Un homme se tenait à quelques pas derrière lui. Il ne l'avait pas entendu s'approcher. Salvatore Piracci le contempla avec surprise.
- C'est ainsi que je l'appelle, reprit l'inconnu.
Le commandant ne répondit pas. Il observa l'intrus avec mauvaise humeur. C'était un homme maigre au dos voûté. Il avait quelque chose d'étrange dans sa façon de se tenir. On aurait dit un simplet ou une sorte de reclus vivant loin de la société des hommes. Mais sa voix contrastait avec son physique. Il parlait bien. Avec vivacité. Salvatore Piracci se demanda de qui il pouvait bien s'agir. Le gardien du cimetière ? Un homme venu se recueillir sur la tombe d'un proche ? Piracci n'avait pas envie de nourrir la moindre discussion. Il espérait que son regard le ferait sentir mais l'homme continua.
- L'herbe sera grasse, dit-il, et les arbres chargés de fruits. De l'or coulera au fond des ruisseaux, et des carrières de diamants à ciel ouvert réverb
Sans que Salvatore Piracci ait pu rien répondre, le petit homme s'éloigna. Il avait dit ce qu'il avait à dire et il partit sans saluer. Le commandant resta un temps immobile de surprise. Qui était cet homme ? Pourquoi lui avait-il dit tout cela ? Avait-il assisté à la scène de la bagarre ? Il repensa aux paroles que l'inconnu avait prononcées. Il les laissa résonner longtemps en son esprit. L'Eldorado. Oui. Il avait raison. Ces hommes-là avaient été assoiffés. Ils avaient connu la richesse de ceux qui ne renoncent pas. Qui rêvent toujours plus loin. Le commandant regarda autour de lui. La mer s'étendait à ses pieds avec son calme profond. L'Eldorado. Il sut, à cet instant, que ce nom lointain allait régner sur chacune de ses nuits.//
Séance 7 : Une vérité impossible à entendre, la scène du bus
Il sentit que la conversation allait se répandre comme une maladie, tout autour de lui, et qu'il ne pouvait plus rien y faire.
Le voisin de celui qui avait posé la première question lui demanda alors si c'était vrai qu'il faisait froid là-bas. Et Salvatore Piracci se rendit compte que tous ceux qui avaient entendu la question attendaient la réponse avec impatience .
- Trop froid, répondit-il.
Et les hommes se mirent à rire, comme si le commandant avait fait une plaisanterie, exagérant à l'extrême un minuscule défaut de son continent. Salvatore Piracci comprit ce qui allait se passer. Ils ne le laisseraient pas. Ils allaient le bombarder de questions et toutes auraient le même but : se faire raconter comme la vie est belle là-bas et comme il doit être doux d'y être né. Tous ces hommes n'étaient pas candidats au voyage mais tous, en rentrant chez eux, allaient rapporete à leurs amis, leurs proches, leurs cousins ce que ce drôle de blanc du car avait raconté. Et la fièvre se répandrait, levant partout une armée de jeunes gens prêts à tout pour passer. Cette idée lui répugna. Il repensa à la femme du Vittoria et à son fils mort jeté à l'eau au milieu de nulle part.
Alors, lorsqu'un jeune homme à lunettes lui demanda s'il y avait du travail chez lui, il répondit en articulant chaque mot et en répétant :
- Non. Pas de travail. Pas de travail du tout.
Cette réponse provoqua une bronca de désappointement. Le chauffeur qui n'était pas si loin et n'avait rien perdu de la conversation posa à son tour des questions. Salvatore Piracci entreprit de répondre à tous comme cela lui semblait juste. Il décida d'être dur. Il parla de la misère des riches. De la vie d'esclave qui attendait la plupart de ceux qui tentaient le voyage. Il parla de l'écoeurement devant ces magasins immenses où tout peut s'acheter mais où rien n'est vraiment nécessaire. Il parla de l'argent. De sa violence et de son règne.
Les hommes l'écoutèrent d'abord avec surprise, puis avec mauvaise humeur. Il entendit autour de lui des injonctions lancées dans des langues qu'il ne comprenait pas. Etaient-ce des insultes ? Ou des exhortations à se taire ? Petit à petit, les questions se tarirent. Les visages redevinrent durs. Personne ne voulait plus l'entendre parler. Ceux qui s'étaient retournés sur leur siège pour ne rien perdre de ses réponses lui tournèrent à nouveau le dos. Certains parlèrent entre eux, échangeant certainement leur avis sur lui. « Je sais ce qu'ils pensent, se dit Salvatore Piracci. Ils m'en veulent de parler ainsi. » Il voyait dans leur regard qu'ils ne le croyaient pas et que rien de ce qu'il avait dit ne les empêcherait de continuer à caresser leur rêve d'Europe avec délices.
Séance 8 : Massambalo, une fable ?