L.A n° 2 : Nasser Djemaï Une étoile pour Noël ou l'ignominie de la bonté, 2006
Eléments d'introduction :
Création 2005 / Re création 2015 : note de la dramaturge, N.Diet
« Faut pas ti ressembles à moi » : voilà le mot d’ordre lancé par un père à son fils parce qu’il le rêve déjà Premier ministre. Nabil va donc apprendre à devenir ce que veulent les autres. Dès le collège, il est happé par la grande machine à laver d’une petite société où chacun s’emploie à lui inculquer les recettes de la réussite : perdre tout accent, changer de prénom comme de manières, connaître l’équation type d’un cercle pour découper un gâteau.
Une étoile pour Noël ou l’Ignominie de la bonté est une épopée peuplée d’ogres à visage humain où tous se massacrent allègrement en voulant faire le bien. Une histoire où une simple tasse de thé peut avoir le tranchant d’une paire de ciseaux affûtés.
Nasser est arrivé un jour avec un désir démesuré autour de ce projet qui tenait en quelques lignes et en tout un vécu. Nous ne nous connaissions pas.
Texte, personnages, mise en scène : Tout était à créer. Dans ce monde inconnu il a fallu chercher les racines, les liens, les non-sens, les nœuds, les écorchures. Il a fallu aider à faire naître l’histoire de Nabil, et la faire mienne, tirer le monde de Nasser vers ma propre sensibilité artistique sans rien dénaturer, pour que cette histoire intime devienne une histoire publique et que chacun puisse se l’approprier. Chaque figure de cette histoire a eu, durant cette maturation, plusieurs visages, excessifs, burlesques, tragiques, et au cours des improvisations qui devaient nous mener à l’écriture finale le modelage s’est affiné pour arriver à la vérité des personnages actuels. Notre obsession première n’était pas politique, notre obsession était de donner raison à chaque personnage suivant sa logique interne. Leur folie ne devait provenir que de leur logique implacable, de leur fragilité, de leur humanité. Nous avions des choses à dire et rien à juger. Le jugement ou l’appréciation finale ne devait être laissé qu’au seul spectateur.
Aujourd’hui la famille des personnages apportés par l’histoire de Nasser est devenue la mienne et si, de par mon vécu, je ne suis pas Nabil, je suis très certainement sa sœur, sa mère ou quelque chose d’approchant. Il y a des chromosomes à moi dans cette famille-là. Et il est assez agréable d’entendre à leur tour des spectateurs parler de nos personnages comme s’ils étaient des personnes à part entière, les incriminer, les défendre, les aimer et les détester. Comme on le fait pour nos intimes. »
Une étoile pour Noël / ou l’Ignominie de la bonté, c'est l'histoire du petit Nabil, enfant issu de l’immigration qui décide un jour de devenir Premier Ministre !
Son père, mineur silicosé, maîtrisant mal le français mais suffisamment prévoyant, car au fait de la dureté de la société qui l’accueille, à programmé l’avenir de ses enfants : un boulanger et un boucher pour ne jamais manquer de rien, et le ministère (le plus grand, le Premier) pour le dernier parce qu’il est doué ! La volonté du père convaincra le fils, qui n’en est pourtant pas moins cancre. Mais un ami, premier de la classe, et sa grand-mère, leur professeur feront pencher la balance du bon côté. Chacun s'emploiera à lui inculquer les recettes de la réussite : ne pas ressembler à son père, avoir un bon prénom qui sonne bien français, apprendre les bonnes manières pour se tenir en société...
Pourtant, cette société, peuplée d'ogres à visage humain, est un rouleau compresseur pour Nabil qui devra renier ses origines pour se faire une place. Mais l’enfant est habile, tout à la fois naïf et manipulateur, il avance dangereusement sur le fil tendu de sa destinée, navigant entre deux cultures au gré de concessions parfois douloureuses.
« Une histoire où une simple tasse de thé peut avoir le tranchant d'une paire de ciseaux affûtés. »
Loin des clichés, Nasser Djemaï décrit le quotidien de bien des enfants d’immigrants, tiraillés entre deux cultures, entre désir d’intégration et d’assimilation, entre une nécessité de réussir pour sortir d’une condition miséreuse et un besoin de reconnaissance trouble car double et antagoniste : être reconnu dans la société accueillante, c’est aussi prendre le risque d’être renier par les siens. Mais les liens familiaux, l’amour filial perdurent quoiqu’il arrive et le principe de réalité rattrape tout le monde, surtout les rêveurs...
Note de l'auteur :
Pour mes parents, les clés du savoir, de la réussite et de la vérité, c'était l'école.
Et pour mon bien, j'avais un seul mot d'ordre :
« Eux savent tout, nous on ne sait rien… »
Le point de départ de mon travail est autobiographique. En sixième, un camarade de classe a eu un grave accident dans la cour du collège. Afin de lui éviter un retard trop important, je lui apportais régulièrement ses devoirs à la maison. Pour me remercier d'avoir pris soin de son petit-fils, la grand-mère de cet ami a décidé de prendre en main mon éducation. Elle m'a fait comprendre qu'avec un prénom comme le mien, je ne pourrai jamais prétendre à de grandes choses. Elle m'a donc baptisé «Noël», m'a fait des mèches blondes, m'a inscrit à l'aumônerie, mes notes à l'école en étaient bien meilleures et je trouvais tout cela extraordinaire.
Tous les personnages ont donc un ancrage dans mes souvenirs, mais ils ont été étirés, poussés dans leurs retranchements, pour devenir des figures théâtrales. Car nous sommes bien loin du genre de l'auto fiction, mais bien dans l'univers de l'épopée burlesque.
Chacun est persuadé d'agir pour le bien d'autrui, et c'est avec cet objectif qu'ils commettent des actes d'un égoïsme terrifiant. C'est «l'ignominie de la bonté» que je m'amuse à déceler, la «bonté» de la grand-mère, qui veut sauver Nabil en lui donnant un prénom chrétien, la «bonté» du père de Nabil qui demande à son fils de ne pas lui ressembler.
La violence part souvent d'un bon sentiment, c'est ainsi que dans « Une étoile pour Noël », tous les personnages se massacrent en voulant faire le bien.
Nasser Djemaï
Introduction
L'étude de cet extrait s'intègre à un groupement de textes qui nous interroge sur les visages de l'exil. Ici N.Djemaï s'inspire de sa propre expérience pour nous livrer une fable sur le déracinement et la construction de soi. Dans le premier tableau le père de Nabil lui enjoint de ne pas lui ressembler et d'être 1er ministre . Ainsi, le jeune garçon va peu à peu s'éloigner de s'éloigner de l'univers familial qui est le sien pour intégrer le monde familial et social d'un camarade de classe Jean Luc de Saint Cyr qu'il rencontre à l'école. Les tableaux deux et trois relatent les circonstances de cette rencontre singulière entre deux enfants qu'à priori tout oppose. Comment N.Djemaï met il en scène une galerie de personnages burlesques et terrifiant à la fois, justifiant ainsi le sous-titre de la pièce « l'ignominie de la bonté », car « la violence part souvent d'un bon sentiment » comme l'écrit l'auteur dans sa note d'intention. Comment ces ogres à visages humains nous font ils rire et frémir à la fois permettant par l'humour une dénonciation des travers de la société ? Nous nous attacherons dans un premier temps à étudier la dimension comique de l'extrait et, dans un second temps à voir comment la folie de chaque personnage permet au spectateur de porter un regard critique sur la société.
I Un texte comique
L'extrait qui est soumis à notre analyse présente clairement une dimension comique à travers le caractère des personnages, la situation qui est la leur.
I Des personnages caricaturaux
1) La prof :
Une gestuelle comique et révélatrice : un geste qui la caractérise aux yeux du public et qui devient un signe de reconnaissance. La didascalie nous le précise « elle arrange ses cheveux ». Le thème des cheveux est récurrent dans l'extrait et dans l'ensemble de la pièce. « Le problème, c'est que je commence à les perdre mes cheveux… ils sont gras...Est-ce que j'ai le choix moi, avec mes cheveux ? Je pourrai m'occuper tranquillement de mes cheveux », cela provoque un décalage incongru entre cette obsession et les propos qu'elle tient concernant son métier. Littéralement, cela renvoie au fait qu' « elle s'arrache les cheveux », elle est dépassée par la situation et ne sait comment réagir.
Elle l'avoue elle même : « le problème, avec le travail, c'est un métier éprouvant pour les nerfs, c'est un problème aussi ça, qu'est ce que vous voulez qu'on fasse nous en face de ça , on est complètement paumés,il faut vraiment qu'on trouve une solution, sinon je ne saurai plus quoi faire »
La reprise du terme « problème » associé à la tournure « il faut qu'on trouve une solution » précise d'emblée que le personnage est prisonnier de la situation. Le pronom impersonnel« on » renvoie à une forme de généralisation qui associe le personnage à son statut, son métier. On relève d'ailleurs la répétition des termes « travail, métier », elle n'a pas de prénom ou de nom, elle se définit par la place qu'elle occupe dans la société et dans la classe « la prof ». Sa dimension comique relève également du fait qu'elle est débordée par la situation alors que sa fonction nécessiterait qu'elle la maîtrise
Des propos contradictoires
Dans sa gestuelle le personnage est donc comique et caricatural, mais il l'est aussi dans ses propos. La conclusion à laquelle elle aboutit semble paradoxale « De toute façon dans quatre ans je suis à la retraite… J'adore mon métier, c'est un métier qui me rend vraiment heureuse ». Les hyperboles « j'adore », « me rend vraiment heureuse » semblent destinées à la convaincre elle même de la véracité de son propos. L'ambiguïté du personnage en fait quelqu'un à la fois d'irritant et de sympathique par cette forme de naïveté qui est la sienne. Elle peut dans le même mouvement prôner l'égalité « Alors maintenant, moi, je veux qu'on soit tous sur le même bateau, il faut être solidaires, N'oubliez pas qu'on est tous égaux. Liberté, Egalité, Fraternité... » et diviser la classe en deux catégories « les doués », « les nuls ». On relève d'ailleurs l'abondance des rythmes binaires qui, dans la forme même de son discours renforce l'idée de dualité voire d'opposition : Nabil/Jean Luc, PDG/balayeur, il y en a qui son sur un radeau et qui essaient de ramer avec leurs pauvres petites mains/ et d'autres qui sont en jet-ski, en yatch, qui avancent à toute allure, deux par deux, le plus doué/le plus nul/ Jean-Luc/Nabil, le plus fort/le plus faible » Cette accumulation d'oppositions est en contradiction totale avec le propos explicitement tenu qui est celui de l'unité à travers des termes et expressions comme « imaginons que nous soyons tous… et qu'on doive tous...moi je veux qu'on soit tous sur le même bateau, il faut être solidaires, n'oubliez pas que nous sommes tous égaux » On observe dans ce discours la répétition de l'adjectif indéfini « tous » qui marque bien la globalité, l'unité, il est accentué par des adjectifs qualificatifs tels que « solidaires », « égaux » qui témoignent de la volonté du personnage de conduire l'ensemble de ses élèves vers une même réussite. C'est donc un personnage clivé qui tient des discours contradictoires.
Le comique de mots. Le personnage se caractérise par la rupture entre son statut et son langage, comme s'il était perçu à travers le regard enfantin de Djemaï qui le fait parler de manière très imagée « on dirait une poule qui a trouvé un couteau », « imaginons que nous soyons tous au beau milieu de la mer et qu'on doive tous aller vers une terre promise... toute allure »/ « tous sur le même bateau », elle utilise des métaphores pour concrétiser cette situation mais dans le même temps elle la rend absurde en sur -dévellopant le lexique du voyage en mer « radeau/ramer/jet ski/yatch/bateau/mettent le charbon dans la chaudière/se font bronzer sur le pont en sirotant un coktail » le discours repose sur deux séries parallèles d'images contradictoires qui dans leur cohabitation génèrent le rire du spectateur.
2) Les deux élèves
Deux figures caricaturales et opposées. Tous d'abord les deux enfants semblent se définir et s'opposer par leurs prénoms qui renvoient à deux horizons différents : « Nabil » d'une part, « Jean-Luc » d'autre part, l'un d'origine arabe l'autre, un prénom composé, renvoyant à une forme d'aristocratie française.
Ils sont également opposés sur leurs résultats 2/20 et 19,5/20 et dans le rapport que la prof instaure avec chacun d'entre eux, « on dirait une poule », « tu lis comme un cochon », « tu parles quelle langue à la maison ? », « il faut que tu te réveilles maintenant », l'enfant est renvoyé à son milieu et à sa culture et associé, dans le discours à deux animaux la poule et le cochon.
Le projet de la prof les associe de manière mathématique « Au prochain contrôle, je prendrai les notes des deux, je les additionnerai et je les diviserai par deux. Donc Jean-Luc par exemple, tu te mets avec Nabil »
Le renversement des rôles. Peu à peu s'opère dans le texte un renversement des rôles : Nabil qui semblait un personnage stigmatisé par le personnage du professeur et dominé « tes grands yeux éberlués »/ « je te fais peur ou quoi ? » prend de l'assurance et se montre même manipulateur et rusé. En effet on observe chez Nabil une forme de naïveté dans son comportement comme dans sa manière de parler. La didascalie nous précise qu'il « court après Jean-Luc », ses paroles sont fondées sur l'expressivité qui marque l'enthousiasme comme en témoignent la ponctuation et les répétitions « Hé, Jean-Luc ! Hé Jean-Luc attends !… c'est bien hein ? C'est génial!C'est génial... » on note l'exclamation et l'interrogation qui sont très présentes dans son discours, les reprises et amplifications « bien/génial/génial » ou encore « t'es jaloux hein ! T'es jaloux hein Jean-Luc c'est ça… Hein t'es jaloux… T'es jaloux » qui montre le caractère enfantin de Nabil qui recourt aux interjections aux contractions « t'es »/ « si j'veux » dans une volonté d'entrer en contact avec son camarade qui au départ le rejette « ça me fait vraiment super chier de bosser avec toi » « t'es le dernier je m'en fous de toi » propos qui relèguent Nabil à son statut de mauvais élève.
On observe de plus que la prise de parole, équitablement répartie au début du tableau se déséquilibre au profit de Nabil qui s'en empare et prend les rênes de la conversation : les répliques de Jean-Luc se font plus courtes, celles de Nabil s'amplifient. Il utilise le vocabulaire rationnel de la démonstration qui contraste avec le caractère infantile de son discours (voir les onomatopées « Houhou », « ouaisouais ») « Parce que quand on additionnera nos notes, les miennes elles pourront que remonter, les tiennes que descendre »/ « Maintenant c'est moi qui décide. Parce que si j'veux ...si j'veux moi ! Alors y faut... », « j'peux décider de t'faire ministre de la santé ? Mais pour ça y faut qu'tu fasses tes preuves. On va commencer à travailler, travailler, travailler, travailler, travailler » On relève ici la lucidité de Nabil qui comprend vite quel parti avantageux il peut tirer de la décision du professeur.
Une complicité naissante. Les deux enfants pour autant ne vont pas vers l'affrontement mais davantage vers une nouvelle forme d'association où chacun trouve son compte. En effet, si Jean-Luc au début refuse clairement l'idée de travailler avec Nabil « bah non,moi je veux être premier tout seul, pas avec toi », s'il exclut Nabil « ça va pas non/ je m'en fous de toi » il va finalement trouver en lui un allié sitôt qu'ils échangent de manière plus personnelle sur ce qu'ils veulent faire « Mais d'abord pourquoi tu veux être premier ? »/ »Moi j'aimerai bien... »/ « Par contre moi il faut absolument que je sois premier »/ « Pourquoi tu veux faire quoi toi ? » Le jeu des pronoms souligne cette nouvelle alliance « Mais alors si t'es premier ministre, tu pourrais décider de me faire ministre de la Santé, peut-être ? »/ « C'est vrai ? J'peux décider de t'faire ministre d'la Santé »Le parallélisme de structure et le chiasme montrent bien ce nouvel équilibre et ce renversement des rôles entre les deux personnages. De la même manière on relève dans les répliques de Jean-Luc un vocabulaire qui ressemble à celui employé initialement par Nabil « je suis ton copain, on est tous les deux ensembles, on fait une équipe, on est obligés de travailler ensemble »
Enfin le partage du secret semble sceller cette nouvelle amitié : « J'ai pas l'droit d'le dire, c'est un secret, j'lai juré sur cette bague » Le spectateur reconnaît ici un objet rencontré dans le premier tableau, Nabil par son discours confère à cette bague une dimension sacrée et presque magique et surtout cet objet inscrit Nabil dans une lignée « mes ancêtres, mon père » qu'il reniera par la suite.
Les deux personnages se retrouvent unis dans une même ambition d'enfants qui donne au texte une dimension légère et parfois franchement comique .
On a pu démontrer que les deux tableaux mettent en place une tonalité comique lié aux gestes, aux mots et aux situations traversées par ces personnages, nous verrons maintenant que le rire est l'occasion de pour le spectateur de poser un regard critique sur la société telle qu'elle est dépeinte dans l'extrait.
1) L'école : une institution défaillante
Le personnage de la prof à la fois débordée et tyrannique. Nous avons abordé la question de l'impuissance du professeur qui ici prend le public à parti. En effet les adresses public sont nombreuses et insistent sur le fait que le spectateur est interrogé sur la situation, il en est le témoin et le confident. Le débordement du professeur passe également par une autorité qui s'oriente vers de l'autoritarisme, une détermination à prendre la situation en mains qui vire à une situation grotesque « moi, je veux qu'on soit tous sur le même bateau »/ « il faut »/ « Et pas question que »/ « N'oubliez pas que »/ « Alors on va se mettre deux par deux.. et vous allez... »/ « Et que le plus faible ECOUTE » On remarque dans ce relevé une grande variété de formulations impératives : expression de la nécessité « falloir », les verbes qui marquent l'exigence « je veux », les impératifs « N'oubliez pas », les subjonctifs à valeur impératives « et que le plus faible écoute », les présents de « aller » qui ont une valeur de futur proche « on va se mettre/vous allez », la prise en mains de la situation passe par l'autoritarisme « même si vous n'êtes pas d'accord, c'est moi qui décide », le « vous » des élèves s'oppose au « moi » du professeur et marque la rupture entre les deux.
De plusLa prof voit la situation comme un défi personnel « tu me fais chuter la moyenne de classe »/ « Je ne peux pas me permettre d'en laisser certains de côté. Je veux que les notes des faibles remontent ! » Cette autorité est d 'autant plus criticable qu'elle aboutit à une situation absurde qui intègre les inégalités et la soumission du « plus faible » au « plus fort »
Substituer des rapports de forces à des rapports solidaires. La solution mise en place soumet de façon violente le plus faible au plus fort et pervertit ce qui devrait relever de la solidarité : « Le plus fort explique sa méthode de travail. Et que le plus faible ECOUTE le plus fort et OBEISSE au plus fort, et qu'il se TAISE ! » Les individualités sont gommés au profit d'une hiérarchie comme le souligne le superlatif relatif « le plus faible », « le plus fort » qui institue non seulement une hiérarchie mais une opposition. Cette opposition se résout dans une forme d'anéantissement du « plus faible » qui est systématiquement inscrit dans une relation de soumission : répétition du superlatif « le plus fort », « écouter le plus fort », « obéir au plus fort », « le plus fort est le sujet de l'action « expliquer sa méthode de travail » le plus faible est sujet de verbes qui marquent l'attention et le respect : écouter, obéir, se taire ». Le fait que ces verbes soient en lettres capitales renforcent la violence du propos ainsi que l'exclamation finale qui atteste de la perte de contrôle du professeur . Dés lors, les élèves relaient ce discours « on va bosser ensemble »/ « Bosser avec toi »/ « t'es le dernier je m'en fous de toi »/ « si on est tous les deux premiers »/ »tu vas t'retrouver dans les derniers »/ « tous les deux premiers, ou quelque part, tous les deux derniers. »/ « Pourquoi tu veux être premier ? »/ « Y'a pas besoin d'être premier, tu peux être deuxième ou troisième. Par contre moi, y faut absolument que je sois premier » On ne peut que remarquer cette obsession du classement qui établit un premier et un dernier de manière absurde et semble-t-il sans intervalle. Cette obsession est manifeste du besoin de reconnaissance de Nabil qui doit devenir ministre pour agréer à son père, mais pas n'importe quel ministre… le Premier.
2) Une société en crise
Des valeurs. Les valeurs sont très présentes dans le texte, on relève évidemment la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » qui est présente dans le discours de la prof, et Djemaï relève aussi que la société, par le biais de l'école suggère une possible ascension sociale comme en témoigne l'ambition du père de Nabil pour son fils. Le vocabulaire relatif à l'organisation politique est représenté « Premier ministre, ministre de la Santé, chef du gouvernement ». La tirade du professeur donne au personnage une dimension à la fois odieuse « Il faut que tu te réveilles mon petit, parce que tu me fais chuter la moyenne de la classe, tu lis comme un cochon...Tu parles quelle langue à la maison ? », « on sait déjà qui sera PDG, qui sera balayeur » et malgré tout attachée à ces valeurs « Tout le monde a oublié ou quoi ? » . Il semble ainsi que le discours sur les valeurs soit flouté et que les déterminismes sociaux priment comme si « la différence de niveaux » augurait nécessairement de l'avenir des élèves : en ce sens le futur est significatif et trace le parcours de chacun des élèves comme une fatalité « qui sera/qui sera », il s'agit d'un future de certitude.
Une incapacité à dire clairement. On remarque que dans sa longue réplique le professeur recourt régulièrement à des corrections successives comme si elle ne parvenait pas à exprimer clairement son propos « on s'occupe de certains petits qui … Qui demandent beaucoup...Qui demandent énormément d'attention… Qui demandent de l'affection. »/ « J'ai rencontré plusieurs parents qui ne veulent plus inscrire leurs enfants chez nous parce qu'il y a trop de … trop de… de… de différences… Trop de gens de catégories différentes. » Ces autocorrections successives sont le symptôme d'une difficulté à assumer un discours comme si à l'intérieur du personnage deux voix contradictoires s'élevaient l'une qui défend les valeurs de solidarité et de tolérance, l'autre qui bute sur le « problème » de l'intégration qu'elle tente de résoudre de manière mathématique en termes de chiffres et de moyenne, d'addition et de division. Comme l'écrit l'auteur dans sa note, chacun est persuadé d'agir pour le bien d'autrui et peut se comporter de manière terriblement violente.
CCL : des personnages enfermés dans leur propre logique, pas de jugement, une volonté de montrer les choses en laissant le spectateur seul juge