La question a l'air absurde. S'il est vrai qu'on désire parfois la lune, que l'on désire quelque chose alors qu'on ne parviendra pas à obtenir satisfaction parce que par exemple ce n'est pas en notre pouvoir, alors, il n'est tout simplement pas vrai que l'on désire toujours l'impossible. La preuve : il m'arrive bien souvent de satisfaire certains de mes désirs. Je mange, je bois, je paresse, je m'amuse, j'aime et je suis aimé. Si l'on ne désire que ce dont on manque, alors il suffit de combler ce manque pour en faire la démonstration. Mieux : comment pourrait-on désirer l'impossible alors que désirer, c'est se représenter la possibilité de notre satisfaction ! En ce sens je ne désire jamais ce que je me représente comme rigoureusement impossible, car le fait de le désirer me le fait voir comme possible et parfois même me fait prendre conscience que ce que je prenais pour de l'impossible n'était que du difficile. C'est bien souvent parce que l'on désire ce que tout le monde croit impossible, que l'on rend possible ce que personne n'osait imaginer.
Mais précisément. Rien ne permet d'affirmer que ce manque en question soit si aisé à combler. La suggestion du sujet, c'est que derrière ces désirs en apparence fort raisonnables, on ne se satisfait jamais de la réalité. L'expérience de la gourmandise le montre bien. Comme Tantale, celui qui en est l'objet est pris d'une faim impossible à combler. Et n'est-ce pas le cas de tout désir ? Si le besoin est ce que je peux combler, le désir ne commence-t-il pas précisément quand cette satisfaction devient impossible ? N'est-ce pas même l'opération du désir que de rendre son objet impossible ? N'est-ce pas pour cette raison que nous en voulons toujours plus, que nous voulons ce qui n'existe pas, que nous voulons des choses incompossibles (manger et rester mince!), que nous voulons ce qui est interdit, que nous sommes déçus par ce que l'on a parce que le désir a dissimulé son véritable objet ? Et à bien y penser ne faut-il pas remarquer que l'impossibilité de satisfaire son désir est le plus grand des stimulants ? Ne désire-t-on pas bien plus ardemment ce qu'on ne peut avoir, ce qui nous a été retiré, ce qu'on nous a interdit ? Bref, ne faut-il pas envisager que lorsque l'on désire, nous désirons toujours une impossible satisfaction. Mieux que nous désirions toujours une certaine insatisfaction, que nous désirons toujours que ça laisse à désirer ou faut-il au contraire penser que le désir rend possible, ce qu'on croyait impossible ?
Dans le premier cas, nous risquons de nous condamner à la insatisfaction, dans le second, on risque de ne plus rien avoir à désirer !