L'analyse du sujet
Règle d'or : c'est la clé d'une bonne dissertation car elle aboutit à la problématisation, il ne faut donc pas hésiter à y passer du temps.
Règle d'or aussi, en fait : TOUT sujet de dissertation invite à remettre en cause au moins un préjugé, votre but est de trouver le(s)quel(s) !
Règle d'or enfin : il n'y a pas vraiment de méthode générale de l'analyse de la question, car chaque sujet appelle son analyse. Ici, on trouve seulement les moyens les plus courants d'y arriver.
1) Lire et relire le sujet !
Un étourderie est vite arrivée, et se tromper de question, c'est se condamner à avoir une très mauvaise note. Prenez donc le temps de lire calmement le sujet au moins trois fois, lentement, mot à mot, pour être sûr de ne pas prendre ses désirs ou ses angoisses pour des réalités !
2) Le brain-storming
Prenez cinq minutes pour noter un peu tout ce qui vous passe par la tête, en désordre, réponses, citations, références, proverbes, etc. Cela permet de s'approprier la question. De plus, aucune association d'idées n'est faite sans raison, et il y a fort à parier pour que vous puissiez utiliser ce matériau plus tard.
3) Relire méthodiquement le sujet
Une question a souvent plusieurs sens en fonction des mots sur lesquels on porte notre attention. Il se demander si c'est le cas !
Exemple :
Pour le sujet "Est-il dans la nature de l’État de mettre en péril la liberté ?", on peut lire cette question de trois façon.
"Est-il dans la nature de l’État de mettre en péril la liberté ?" : L’État protège-t-il ou détruit-il la liberté ?
"Est-il dans la nature de l’État de mettre en péril la liberté ?" Tout État, sans exception, est-il autoritaire ou cela dépend-il de son régime politique ?
"Est-il dans la nature de l’État de mettre en péril la liberté ?" Est-ce une destruction ou seulement une mise en péril de la liberté ?
4) Comprendre pourquoi la question a l'air si ennuyeuse à penser !
Vous devez vous servir de toute cette analyse pour la première partie de l'introduction ("Pourquoi la question a l'air idiote ?" voir L'introduction).
Vous avez en face de vous une question sortie de son contexte sur un bout de papier. Elle a en général l'air de sortir de la cervelle un peu malade et très sadique de quelqu'un qui se pose trop de questions !
Et bien, première tâche, demandez-vous pourquoi ! Comment se fait-il que la question a l'air si idiote, si absurde, si ennuyeuse ? Quelle est la réponse la plus évidente, et qu'est-ce qui la rend si évidente ?
5) Comprendre la raison pour laquelle la question se pose vraiment.
Vous devez vous servir de toute cette analyse pour la seconde partie de l'introduction ("Pourquoi diable peut-on se poser cette question ?" voir L'introduction).
On vient de réfléchir au fait qu'il n'y avait aucun intérêt à se poser la question du sujet, et bien maintenant, on va se forcer à la prendre au sérieux !
C'est vraiment la clé de la réussite. C'est ce qui fait que vous aurez ou non compris le sujet, surtout s'il est un peu bizarre ! Si on vous pose la question, c'est qu'on a une bonne raison de le faire, et il faut trouver laquelle ! Vous devez retrouver l'intention, l'étonnement, l'inquiétude, le désir que l'on peut entendre derrière cette question. Bref, même si ça ne se voit pas tout de suite, toute question suggère une idée un peu originale, et il faut examiner le bien fondé de cette piste.
Ce n'est pas toujours si évident à faire, alors voilà quelques outils.
Votre travail est ici de recontextualiser la question, de lui redonner du sens à partir de la situation dans laquelle elle pourrait se poser de façon pertinente. En général, on peut trouver une expérience décisive dans laquelle la question prend tout son sens.
Exemples :
"Le bonheur est-il une illusion ?" : C'est parce que j'ai imaginé le bonheur et que la réalité n'a pas été à la hauteur de mes attentes que je me pose cette question. L'expérience de la désillusion, de l'espoir déçu, etc. peut nous conduire à nous étonner de notre croyance en l'existence du bonheur. On peut alors formuler la question ainsi : "Mais, alors, en fait, le bonheur serait une illusion, et j'ai été assez bête pour y croire !"
"Est-il dans la nature de l’État de mettre en péril la liberté ?" : J'ai mis tous mes espoirs dans la démocratie, et là je m'aperçois qu'elle invoque aussi la raison d’État, la situation d'urgence etc. Quelque soit le régime choisi, au fond, tout État a quelque chose d'autoritaire. " Ce serait alors dans la nature même de l’État de mettre en péril la liberté ?"
Repérer dans le sujet s'il y a des mots plus importants que d'autres. Identifier la notion ou les notions qui relèvent explicitement du programme, et celles qui n'en relèvent pas.
Commencer par définir celles qui n'en relève justement pas ! Cela vous donne la perspective depuis laquelle le sujet doit être examiné ! On ne vous demande pas en effet de réciter tout votre cours sur le bonheur, le langage, etc. mais seulement la partie qui convient au sujet. Or pour la déterminer, et ne pas faire de hors-sujet, c'est justement ce qui ne concerne pas la notion principale qui doit être examiné d'abord !
Ensuite on examine les autres notions, on les définit, on cherche les contraires, les synonymes, les différences qu'il y a entre la notion et ses synonymes, pour voir dans quelle mesure leur définition colle ou au contraire s'opposent à ce qu'on a analysé de l'autre notion.
Exemple :
"La lucidité est-elle un obstacle au bonheur ?"
On commence par examiner ce concept de lucidité. On s'aperçoit que ce n'est pas seulement savoir, mais c'est vouloir savoir, et vouloir assumer ce qu'on va savoir. Là on se rend compte que le sujet ne demande pas tant si la vérité nuit au bonheur, que si c'est la volonté de la chercher qui lui fait obstacle ! Est-ce que ça vaut le coup d'essayer de la regarder en face ou peut-on en détourner les yeux ? La sujet insiste davantage sur la question de la bonne et de la mauvaise foi que sur celle du savoir et de l'ignorance.
Du coup on peut maintenant définir le bonheur en fonction du sujet. Non pas seulement comme le fait d'avoir comblé durablement tous ses désirs (cette définition vous la tenez du cours), mais soit comme ce qui pourrait résulter d'une attitudes opposée à la lucidité ( est-ce que tous nos désirs ne sont pas comblés par un pur déni de réalité) soit par la lucidité elle-même (le seul désir que l'on peut vraiment combler n'est-il pas au fond celui de ne jamais se mentir, et du coup de se posséder soi-même ?)
" En morale, ce qui compte, est-ce l'intention ou les conséquences ?"
Les deux solutions semblent pertinentes, et d'ailleurs pas vraiment opposées : si on a une bonne intention, c'est précisément pour que des conséquences favorables résultent de notre acte. Le but est donc ici de montrer qu'il s'agit bien là d'un dilemme et qu'en aucun cas on ne peut se contenter de répondre un peu des deux, car chacune des deux réponses empêche l'autre.
"Être libre est-ce faire ce qu'on veut ?"
A l'évidence oui, mais du coup tout le travail de problématisation consistera à comprendre pourquoi on peut avoir de bonnes raisons de penser que non ! Et même que c'est quand on fait ce qu'on veut qu'on est le moins libre !
"La lucidité est-elle un obstacle au bonheur ?"
C'est suggérer que le seul salaire de la vérité, ce serait le malheur ! Et que donc l'illusion n'est pas seulement un refuge mais un devoir ! Votre travail est d'examiner sérieusement cette idée !
"Faut-il en finir avec la morale ?"
Il est moralement scandaleux non seulement de répondre oui, mais presque même de se poser la question ! La stratégie consiste alors à affronter ce scandale ! Et après tout, pourquoi pas !
"La loi peut-elle être injuste ?"
La loi, c'est ce qui définit ce qui est juste et injuste, comment pourrait-elle être injuste ! Votre travail est alors de comprendre en quel sens on peut relever le paradoxe.
"La sensation est-elle le seul critère de la vérité ?"
La stratégie consiste ici à prendre au sérieux l'idée étonnante que seule la sensation, qui semble pourtant relative à chacun, trompeuse etc. pourrait non seulement donner accès au vrai, mais être la seule à révéler la vérité !
6) Formuler la problématique sous forme de dilemme
Vous devez vous servir de cet effort pour la troisième partie de l'introduction ("le dilemme" voir L'introduction).
Il faut donc résumer toute votre enquête sous forme d'une opposition. L'opposition n'est pas juste "oui ou non", mais il faut bien montrer qu'elles s'excluent mutuellement et radicalement. En effet, un dilemme, ce n'est pas seulement une opposition, c'est une opposition dans laquelle chacune des possibilités est la cause de l'impossibilité de l'autre. Ainsi, Le Cid ne fait pas que choisir entre l'amour et l'honneur, mais c'est à cause de l'honneur que l'amour est rendu impossible, et à cause de l'amour qu'il doit sacrifier l'honneur.
Exemple :
"la technique transforme-t-elle l'homme ?"
7) Chercher les enjeux
Il faut se demander ce qu'on risque et ce qu'on peut gagner à adopter une position du dilemme plutôt que l'autre. (Ceci sera à réutiliser dans la 4° partie de l'introduction : "Pourquoi est-il important de répondre ?" voir L'introduction).
Exemple :
La technique transforme-t-elle l'homme ?
Si on répond que la technique le déshumanise, cela signifie qu'on doit peut-être prendre au sérieux l'idée qu'il faut renoncer à la technique
Si on répond que la technique humanise l'homme, cela signifie qu'on doit prendre au sérieux l'idée que nous ne sommes pas encore vraiment des hommes, et que l'homme véritable sera un cyborg !
On peut donc utiliser une phrase du type : " La première possibilité pose problème parce que x . Mais la seconde n'est guère plus satisfaisante parce que y"