Déclaration commune de six associations (1er février 2012)

ALLE (Association le Latin dans les Littératures Européennes)

APFLA-CPL (Association des Professeurs de Français et de Langues Anciennes des classes préparatoires Littéraires)

APL (Association des Professeurs de Lettres)

CNARELA (Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes)

SEL (Sauvegarde des Enseignements Littéraires)

SLL (Sauver Les Lettres)

Les associations signataires saluent l’initiative du Ministère de l’Education Nationale qui consacre à l’enseignement des langues anciennes deux journées de colloque le 31 janvier et le 1° février 2012, signe de l’importance qu’il leur accorde.

Elles restent toutefois très réservées sur la création du prix Jacqueline de Romilly destiné à récompenser les pratiques pédagogiques innovantes dans l’enseignement des langues anciennes. Si l’innovation pédagogique est indispensable en effet - qu’il s’agisse des langues anciennes ou de toute autre discipline – elle ne saurait suffire à « refonder l’enseignement du latin et du grec ».

Il apparaît indispensable que soit engagée parallèlement et rapidement une réflexion globale sur la place que l’on entend donner aux langues anciennes dans notre pays et plus particulièrement au sein des filières littéraires.

Mais pour l’heure, il convient que soient prises des mesures immédiates et concrètes afin de trouver solution aux deux problèmes majeurs que sont la difficulté du choix d’une langue ancienne dans le second degré et la baisse importante du nombre de candidats inscrits au CAPES de Lettres Classiques.

Nos associations proposent conjointement cinq mesures qui pourraient être rapidement applicables.

- La première serait de faire respecter les horaires officiels des langues anciennes (2h en 5°, 3h en 4°, 3° et dans les trois niveaux du lycée). Les rectorats, sous prétexte que les langues anciennes sont optionnelles, n’abondent pas les moyens nécessaires à leur enseignement ou regroupent artificiellement les niveaux de lycée en dégradant davantage encore leur statut. De ce fait, ils fragilisent l’ensemble des études de langues anciennes : il est rare que sur la totalité de leur scolarité, les élèves latinistes et hellénistes aient connu un horaire complet. Il faudrait donc que le latin et le grec cessent d’être des cibles privilégiées de mesures d’économies.

- La deuxième concerne la liberté de choix du latin ou du grec. L’accès à l’étude des langues anciennes est souvent empêché au collège par des mesures comptables ou par une concurrence maladroite entre options. Tout d’abord les rectorats limitent ou réduisent le nombre de groupes de latin en 5°, empêchant de fait les élèves de devenir latinistes alors même qu’ils en font la demande. Nos associations demandent donc l’abandon de ces numerus clausus, car la baisse artificielle des effectifs devient trop souvent l’alibi de suppressions ultérieures. Par ailleurs, la langue ancienne est trop souvent mise en concurrence avec les Langues Vivantes lorsque l’établissement propose une section européenne ou internationale. On présuppose - souvent contre le vœu des familles - qu’un élève qui étudie plus particulièrement les Langues Vivantes sera surchargé de travail s’il étudie aussi une Langue Ancienne. On lui demande donc d’abandonner le latin à la fin de la 5° s’il veut entrer dans l’une de ces sections. Il suffirait d’une circulaire émanant du Ministère et adressée à tous les principaux de collège, spécifiant que la possibilité de continuer le latin en 4°, ou de commencer le grec en classe de 3°, doit pouvoir être offerte aux élèves des sections européennes et internationales. Ce serait un signe fort d’une volonté clairement exprimée de ne pas opposer les langues entre elles. Cela ne dispense pas par ailleurs d’une réflexion, indispensable, sur la pédagogie mise en œuvre depuis une vingtaine d’années dans l’enseignement des langues anciennes.

Les deux suivantes concernent le lycée où le choix d’une langue ancienne est devenu plus difficile depuis la réforme.

- En classe de Seconde, les langues anciennes peuvent être proposées en enseignement d’exploration et en enseignement facultatif. Mais, pour deux enseignements d’exploration offerts, un seul est véritablement libre puisque l’enseignement Sciences économiques et Sociales (ou PFEG) est obligatoire et diminue de fait les possibilités de choix d’une langue ancienne. Quant à l’enseignement facultatif, il est loin d’être proposé partout. Une mesure à effet immédiat serait d’autoriser un 3° enseignement d’exploration, afin de faciliter le choix d’une langue ancienne et avant que ne soit remise à plat la réforme du lycée.

- Quant aux classes de Première et de Terminale littéraires, il paraît incompréhensible que le latin n’y soit pas une discipline obligatoire. L’argument consistant à dire que la langue ancienne n’est pas suffisamment attractive et détournerait les élèves de la filière littéraire ne vaut pas, d’abord parce que la rénovation pédagogique qui est engagée et soutenue par ce colloque entend y remédier, ensuite parce que l’exemple des CPGE littéraires prouve que l’obligation d’étudier une langue ancienne n’a pas détourné les étudiants de cette voie : depuis qu’une réforme les a rendues obligatoires en HK, le nombre d’inscrits n’a pas baissé comme l’annonçaient ses détracteurs, mais est resté parfaitement stable. Et c’était avant que ne soit mise en place la BEL - banque d’épreuves littéraires – qui diversifie désormais les débouchés pour les filières littéraires. Rappelons de surcroît que Jean-Pierre Vernant et Jacqueline de Romilly voyaient tous deux dans cette mesure une proposition "raisonnable et légitime".

- La hausse des effectifs au lycée est en effet un enjeu majeur pour la formation de futurs professeurs de Lettres. Les élèves ayant étudié une Langue Ancienne au lycée pourront plus facilement envisager de faire des études de Lettres Classiques, en CPGE ou à l’université, puisqu’ils n’auront qu’une seconde Langue Ancienne à étudier en tant que débutants. Or, le nombre de candidats au CAPES de Lettres Classiques a considérablement diminué, au point que tous les postes nécessaires n’ont pu être pourvus. Une cinquième mesure d’urgence s’impose par ailleurs, qui est de réintroduire immédiatement au CAPES de Lettres Modernes l’épreuve de latin dont on ne s’explique toujours pas la suppression il y a deux ans, tant il est indispensable qu'un professeur qui enseigne le français connaisse le latin.

La mise en œuvre rapide de ces cinq mesures, concrètes et efficaces, serait le signe fort qu’une volonté politique accompagne et soutient toutes les innovations pédagogiques dans le domaine des langues anciennes, en attendant que s’ouvre l’indispensable réflexion que nous appelons de nos vœux sur la place des langues anciennes dans notre pays, dans le cadre d’un enseignement rénové des Lettres.