La figure de Nestor Makhno, ou les tribulations d'un héros révolutionnaire

En attendant la parution des actes du colloque LE RETOUR DES HEROS : LA RECONSTITUTION DES MYTHOLOGIES NATIONALES à L'HEURE DU POSTCOMMUNISME quelques conclusions sur la traversée du siècle de la figure du leader anarchiste:

Dans l'Ukraine d'après la « Révolution orange », l’association La Dernière barricade organise à Gouliaï-Polé depuis l’été 2006 un festival rock intitulé « Le jour de l’indépendance avec Nestor Makhno ». Pour paraphraser le défunt Jdanov, la manifestation est libertaire dans la forme et nationale dans son contenu. Pour une ambiance « à la Woodstock », on « choque le bourgeois » en faisant du body-painting alors que fleurissent les drapeaux ukrainiens. On y vend entre autres un tee-shirt qui affirme que « Makhno, c’est plus fort que Che Guevara »... L’intelligentsia orangiste était en passe de réussir là où Nicolas Sarkozy a échoué avec Guy Môcquet : transformer une figure de l’extrême gauche en garante de l’unité nationale...

La diffusion du feuilleton Les neuf vies de Nestor Makhno à la télévision russe qui a rencontré un succès public en juillet 2007, a ébranlé cette construction. La série a provoqué l’ire des commentateurs. Des Ukrainiens regrettent que « leur » héros soit filmé pas des Russes. Les communistes critiquent la réhabilitation d’un bandit et, de l’extrême gauche antistalinienne à l’extrême-droite nationaliste, on subodore une manipulation du pouvoir russe à cause du populisme primaire du feuilleton... Difficile pourtant de reconnaître la propagande poutinienne dans l’appel de Makhno : « Je ne vous promets pas une vie facile, mais la liberté, on l’aura ! ».

Une fois de plus, profitant de l’affrontement entre ses différents ennemis, Makhno se sera échappé. En effet, son aura a toujours profité de l’unanimité des haines qu’il suscitait comme elle se sera nourrie d’un perpétuel porte-à-faux entre plusieurs archétypes. Chef de guerre, leader paysan et militant politique, il était l’un des rares à cumuler ces trois raisons sociales. Pour le disqualifier, l’image de suppôt de koulak était moins efficace que celle, fantasmée, d’un génie du mal exorcisant les peurs nées de la violence révolutionnaire. Cela a terni les dernières années du Batko mais l’a inscrit durablement dans les mémoires. L’affirmation d’une contre-culture « jeune » a favorisé sa réémergence à l’ouest puis à l’est, sous forme iconique. En Occident, la persistance de l’aspiration révolutionnaire a préservé une certaine authenticité, alors qu’en ex-URSS, il ne doit son salut qu’aux tensions ukraino-russes et aux vertus paradoxales de l’autoritarisme poutinien.

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