Vira Kravets

Q : Pourquoi la commune s'est-elle désintégrée ?

R : Jusqu'en 36 il y a eu la commune, après c'est devenu un Kolkhoze parce que la commune avait des dettes vis à vis de l'Etat. Avant, l'Etat avait donné des nippes [trjapky], et maintenant nib de nib [bul'ka]. Et notre président a filé [?] à Okhtyrka après s'être acheté une bicoque [xalupa].

En 24-25, des gens avaient attaqué les communards avec des épieux et des bâtons [kopačy] et les communards se sont défendus. Après, sont apparus des bœufs, des vaches, des moutons. On a semé des tomates, des pastèques. Et moi je courais derrière le semoir. On répartissait les légumes entre communards et on rentrait les graines à l'entrepôt. Il y avait aussi un verger.

[Hypothèse d'A. : tout ça, c'est surtout fruits et légumes alors que dans les années 30 l'Etat préfère le grain]

Q : Pourquoi votre père est-il entré dans la commune ?

R : Là-bas vivait V. Kurylo, dans une maison à deux étages, comme un propriétaire [pomjechtchik – NB : il était propriétaire de la brasserie]. Sous le pouvoir soviétique, on lui a tout pris et on a amené des Komsomols [jeunes communistes]. Et un neveu du père avait précédemment adhéré à la commune, avant la collectivisation, il dit au père : << viens à la commune, là-bas ils donnent un appartement, on mange séparément >>.

[Hypothèses d'A. : 1) on nourrit les enfants séparément à la crèche ? à l'école ? Ou en dehors du logement ? 2) Dans cette maison, selon toute vraisemblance, il y avait le club de la commune, car les communards vivaient dans l'ancien entrepôt de la brasserie réaménagé en immeuble avec appartements, selon les mots de la dernière habitante de la maison. D'après moi, c'est peut-être le contraire : la maison du maître est devenue logement, l'entrepôt, le club]

Entretien en "sourjik" du 15/08/2000, prise de notes par Andréï.

paysanne de Sosonka (région de Soumy), née en 1913.

Q : Où vivaient les communards ?

R : On vivait dans la maison à deux étages, où il y avait 12 appartements. En 33 (la famine), on relogeait les communards dans les maisons où des gens étaient morts.

R : Nous avons laissé notre maison dans notre village, nous avons pris le cheval, la charrette, le veau, la vache grosse et, du village de Jouravné (r-n d'Okhtyrka), nous sommes arrivés à la commune en 31, avec le père, la belle-mère [marâtre] et les cinq enfants.

Q : Y-avait-il une crèche ? Une école ?

R : Il y avait une école.

Q : Quelles fêtes y-avait-il ?

R : On ne fêtait que les fêtes soviétiques. Et pas les fêtes religieuses (comme Mokovej) parce que le travail nous attendait [robota vymaha – A. : saison des travaux des champs].

Q : Comment le travail était-il organisé dans la commune ?

R : Il y avait un intendant [Zavkhoz], un brigadier (des gens efficaces, ordonnés, raisonnables). [ils décidaient] où seraient les carottes, où seraient les bettraves rouges, les pastèques. On travaillait jusqu'au coucher du soleil. On comprenait les communards, ils se mordaient la langue [c'est à dire que les chefs ne tombaient pas sur le dos des communards]. Il y avait de l'ordre, un bon verger, des allées, des fleurs, une fontaine, des poissons qui nagent, les enfant qui regardent. Mais, ce qui avait été gardé sous la commune a décliné avec le Kolkhoze [tout ce qui restait de l'ancien propriétaire]. Sous le Kolkhoze, on a commencé à semer de la betterave à sucre alors que sous la commune [on cultivait de la betterave] fourragère pour le bétail.

Q : Participiez-vous aux votes, à l'élection du président ? [c'est à dire, en tant que fille de communard, aviez-vous des droits entiers ?]

R : C'est au niveau du rajon qu'il était confirmé.

R : En 31, un instituteur est arrivé à la commune, il a commencé à enseigner à l'école primaire, je lui ai plu et nous nous sommes mariés. Le père était contre : je suis une personne sans importance [peška – pion, marionnette] (j'ai seulement suivi les cours d'alphabétisation) et lui est instituteur. Le père a dit : <<il tombera amoureux d'une autre, il prendra une institutrice et te laissera [tomber]. Et ça s'est passé comme ça : il s'est [re]marié à une institutrice. Et je suis restée avec deux enfants; je ne me suis pas remariée; il y avait des prétendants, mais ça me faisait de la peine pour les enfants.

[Plus tard, son ex-mari est venu la voir pour lui dire que si sa nouvelle femme mourait, il reviendrait vivre avec elle.

Son premier fils l'a laissée pour aller vivre avec son père.]

Q : Comment étaient organisés les repas ?

R : Dans la commune, on cuisinait des pois, des lentilles dans des marmites, des galuški [boulettes de pâte cuites à l'eau]; il y avait un moulin; les galuški étaient faits avec de la farine de sarrasin; ils étaient excellents. Les gars se bourraient de pois; ensuite ils pétaient et rigolaient. On mangeait au réfectoire. Tu vas au guichet et on te donne; le pain est déjà coupé, tu en prends autant que tu veux.

Quand le temps était beau, on courait à Okhtyrka pour aller au club. Quand il pleuvait, il y avait un pianino, une domra, une balalaïka, une guitare dans le hangar; les garçons savaient jouer; on dansait.

En 33, à la commune, personne n'est mort. On cuisait des galettes de son. Mais le long de la route d'Okhyrka, il y avait des cadavres.