Sons du quotidien

Quand les sons ponctuaient le quotidien !

7 heures 20, le gueulard ou brailleux de l'usine "Sommer" ordonnait à ses employés de se rendre au travail. Il les invitait à quitter l'établissement pour se sustenter à 12 heures, puis les appelait à nouveau pour la reprise de 13 heures 20 et enfin poussait son dernier coup de gueule à 18 heures, pour annoncer la fin de l'épreuve : le plus apprécié, attendu et entendu de tous.

Les sirènes de la mairie, haut perchées dans leur lanternon, association de trompes orientées aux quatre points cardinaux, hurlaient leur colère quand les pompiers sollicités pour une intervention tardaient un peu. Le garde champêtre, monsieur Henri, quittait le secrétaire de mairie avec en poche les derniers arrêtés destinés aux administrés dont il attirait l’attention en agitant nerveusement sa cloche d'alliage. De quartier en quartier, le garde poussait le vélo, l'avis suivait la cloche.

Puisque le bruit attirait l'homme, les commerçants l'avaient bien compris, en particulier le ferrailleur-marchand de peaux de lapin, monsieur Pinto. En fonction du but recherché, il utilisait soit le vélo pour le ramassage des peaux, soit la camionnette pour les objets métalliques plus encombrants. Sur sa machine motorisée, un avertisseur à poire éveillait les débarrasseux de grenier qui en échange de menues monnaies se libéraient de l'inutile. Une corne assujettie à sa bicyclette suffisait pour aguicher, et près des lieux connus de lui-même, il poussait un tonitruant "peau de lapin, peau eau eau...!" En fin de tournée de ramassage de peaux, seul le bas des roues était visible. Tout le reste était amoncelé, ligoté en tas informes. Monsieur Pinto ayant pris soin de prolonger le guidon d’un bâton pour conduire la mécanique qu’il accompagnait à pied. Ce petit homme à la mine réjouie savourait sa collecte d’un sourire de contentement qui en disait long sur le bénéfice à en tirer.

Monsieur Lesage, marchand de charbon, avait un tout autre procédé pour avertir les clients de son passage. Une cloche, à peine plus grosse que celle du garde-champêtre, était installée à la partie supérieure de la porte de la cabine du camion. Il suffisait de l'agiter avant de s’installer dans la cabine, avertissant le prochain client de son passage. Il avait expérimenté ce procédé avec son ancien plateau, tracté par son cheval noir, aux deux fonctions : il servait aussi à tirer le corbillard, mais sans la cloche, car celles de l’abbatiale l’auraient ridiculisé.

La cité avait un avantage certain de posséder une abbatiale. Cet imposant édifice rythmait toutes les cérémonies religieuses avec une fougue à enrouer le brailleux jaloux. Les sonneries étaient connues de tous les bambins friands qui ne se déplaçaient qu'aux mariages et aux baptêmes, s'éreintant à ramasser les sous et les dragées jetés à leur intention. L'église Sainte Geneviève timidement balançait son bourdon en écho bien lointain dans le faubourg.

Inlassablement, le plus vaillant de tous, le clocheton de l'hospice aux deux horloges qui égrenaient sa litanie tous les quarts d'heure, jour après jour, nuit après nuit. Il meublait le silence quelque peu retrouvé. Nous l'entendions de partout, de l'école, des jardins, de la maison et la nuit de notre chambre. Était-il encore nécessaire d'utiliser le gros Jaz pour nous réveiller le matin ? Après avoir entendu celui des parents à 4 heures 30 pour le père et à 5 heures 30 pour la mère, il surgissait sur notre table de chevet pour son dernier service, l'heure de l'école. Sa grosse tête en forme de cloche frappée vigoureusement par un bras rageur armé d'un petit marteau nous faisait bondir. Nous le maudissions : « Il faut être dingue pour se marteler la tête ainsi ! » Le clocheton et le réveil-matin étaient aussi nos compagnons de nos nuits blanches. On comptait les coups de l'horloge et on subissait le tic tac métallique du réveil qui ajoutait encore à notre insomnie.

L'obsession de l'heure exacte s’opérait aussi à la T.S.F. (à la radio) où une voix emphatique, s'obligeait, dans le plus pur respect de l'événement, à attirer l'attention de l'auditeur : « au 3ème top, il sera exactement... ». Fallait-il encore en rajouter ? Exemple : recevoir en cadeau, à l'occasion de la communion solennelle, un bracelet-montre (de 17 rubis, s'il vous plait). Combien de fois ses jeunes possesseurs avec un air affairé portaient à l'oreille ce nouvel intrus qui justifiait de son état de marche par une profusion de tics tacs à peine perceptibles mais combien rassurants : son cœur battait et les aiguilles marquaient inlassablement le temps présent.

Au loin sur le canal le mugissement d'une sirène de péniche avertissait l'éclusier de son arrivée imminente et, au passage délicat, prévenait une autre péniche qu'elle s'y était engagée. La micheline en gare imitait la péniche et annonçait sa présence au garde-barrière avant de poursuivre sa route vers Verdun ou Sedan à son retour. Plus tard, elle fut remplacée par le bus Les rapides de la Meuse. Là-haut sur la route nationale, son misérable klaxon enroué serrait un peu plus le cœur des partants pour des horizons nouveaux.

Oh ! Comble… les Mouzonnais consommaient et généraient de ce fait des ordures. Afin de les débarrasser, le maire, en bon gestionnaire, fit qu’il leur alloua les services de ce bon monsieur Goffette. Un tombereau tracté suffisait pour la collecte des ordures de la cité Sommer et de la cité Saint Laurent du Jura. Discrétion assurée, car monsieur le préposé ne passait que le samedi et encore, seulement le matin. Une lessiveuse désaffectée et cabossée regorgeait de toute la richesse d’une semaine de surconsommation. C’était vite fait, en deux temps, deux sons pour ainsi dire : un grand coup sur l’arête de la ridelle et la lessiveuse sonore dégueulait son contenu, un autre coup sur son cul percutant le sol signifiait à la patronne qu’elle pouvait à nouveau en disposer. Un « hue ! » autorisait le cheval à se remettre au travail et à aller rêvasser une poubelle plus loin. Parfois, un trognon de chou ou de salade s’offrait à sa convoitise, bien maigre consolation qu’il fallait avaler en peu de temps. Monsieur Goffette s’insurgeait, en agitant la pelle et le balai, contre les chiens qui avaient eu l’audace de se servir en abandonnant les reliefs de leur repas et le reste du contenu sur la chaussée, laissant en quelque sorte, une carte de visite.

Ces bruits créés par l'homme pour l'homme complétaient, bien sûr, ceux de la nature qui chacun dans sa diversité, destiné à son espèce, n'ont pas changé à l'inverse de ceux décrits ci-dessus qui ont disparus depuis en raison de la modernité évolutive de l'imagination humaine. Les bruits sont devenus plus discrets et personnels, doit-on le regretter ?

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