Foot en 1953

L’ACM , une saison en enfer

 

A-t-on le droit d’usurper un titre qui appartient à l’illustre Rimbaud ? j’en prends le risque puisqu’il sied bien à la saison éprouvée par ma modeste personne au sein de l’ACM. J’aurais pu l’intituler autrement mais j’avoue être intellectuellement un brin paresseux, physiquement aussi, là est une autre histoire. Pour ne pas avoir d’ennui avec la société des auteurs, j’ai ajouté le sigle d’ACM, aux lecteurs de le décrypter. Assez baratiné, passons au fait.

Le recrutement : Septembre 1953, j’avais alors 16 ans révolus. Par une belle journée ensoleillée, comme disait mon père : « Bénie des Dieux », vient à frapper à la porte de mon domicile, monsieur François LOIR qui, sans préliminaires, s’adressa à mon père tout en m’observant du coin de l’œil. Il est question du recrutement de jeunes gens pour renforcer les effectifs du foot mouzonnais sous la houlette bienveillante de monsieur MORISSEAU, lui-même délégué par François SOMMER pour raviver la flamme du sport qu’il comptait bien sponsoriser.  Monsieur Morisseau reprenait le flambeau des mains de monsieur Ch. GEOFFROY qui avait  mis sur pied la première équipe de cadets pour la saison 52/53, secteur B. Ces cadets passaient juniors à la saison qui nous concerne.

Les arguments du recruteur ne manquaient pas  de superlatifs à mon égard. Il osait même  affirmer à mon père qu’il connaissait ma réputation pour m’avoir vu jouer à la balle avec les copains de classe et qu’il avait été subjugué par ma fougue. Par ces mots je venais de me découvrir tout autre. Des matchs de foot sur la place St Louis ils y en eurent, sans règles et sans autre ambition que de taper dans le ballon pour taper et de meubler le temps entre deux cours. Depuis j’étais employé chez SOMMER comme arpète électricien. Alors le ballon ce n’était plus pour moi, les heures de travail de l’époque meublaient suffisamment mon temps et mes loisirs, car j’assurais les dépannages les samedis toute la journée et les dimanches matin. 

Sans mon consentement, j’étais invité le dimanche après-midi à frapper quelques balles sur le terrain de foot de la Route nationale. 

La description du terrain s’impose, si l’on veut comprendre la suite. Malgré les efforts consentis par tant de manœuvres qui avaient brouetter la terre du haut vers le bas pour en aplanir l’aire afin de le rendre praticable qu’il demeura une pente douce jamais éradiquée. Cette pente avait le mauvais goût de se trouver dans le sens de la largeur, plus haut au nord, plus bas au sud. Par mauvais temps, la terre argileuse se dévoilait peu coopérative, on s’embourbait et nos chaussures pesaient une tonne. J’avais saisi la raison pour laquelle les jeunes filles ne perdaient pas leur temps avec ces fauves bouseux qui après bien des efforts surhumains n’avaient pas l’air très appétissants. Le teint blafard, la gueule démesurément ouverte pour happer le moindre oxygène, la bouche grimaçante cernée par la bave et l’habit méconnaissable par une couche de boue épaisse et tenace.  S’ajoute l’heure proche du repas de midi, vite avalé qui vous pesait sur l’estomac car le terrain, il fallait le libérer ensuite aux véritables seigneurs du foot qui attiraient la foule.

Pas de vestiaire pour se changer, on repartait chez soi en traversant la ville tels des gorets après les ébats dans une souille. Rentrer au domicile dans cet état aurait fait hurler la ménagère, alors on passait au canal ou à la Meuse pour laver le plus gros, quelque soit le temps. Lors des déplacements, on avait plus de mansuétude pour les invités, il y avait toujours un lavoir pas très loin du terrain et on se changeait dedans après un bref toilettage. Fallait en vouloir à cette époque. Après quelques négociations, nous eûmes le droit d’utiliser les vestiaires des grands, sorte de cabane en parpaings bruts avec un toit de tôles, pas d’eau évidemment, ça changeait quoi ? Pendant un temps, en 1951, ce fut le café bari  qui servait de vestiaire.

Les déplacements : Lors de nos invitations en extérieur, fallait pourvoir à notre transport, vu qu’à l’époque personne ou peu était nanti d’un véhicule. SOMMER dans sa grande générosité nous affrétait un U55 bâché, conduit par le chauffeur habituel, monsieur Rodriguez dit Mano. Ce camion , propriété SOMMER servait au transport des matières premières ou manufacturées de l’usine à la gare et vice versa. Cet engin n’avait rien d’une Ferrari, tout juste 40 km/h en vitesse de pointe et  par beau temps. La bâche assurait notre protection contre la pluie ou le vent, Par froid glacial, elle avait le mérite de nous rapprocher des uns des autres pour gagner un peu de chaleur animale, car sans douche après match, on sentait le fauve. Ces longs déplacements réduisaient les moments chauds au foyer. Avec le travail du matin, il m’arrivait de ne prendre qu’un morceau de pain à peine tartiné pour assurer ma survie. Rentré tard, voire très tard quand le match se réalisait à Warcq, inutile de prendre un somnifère pour l’endormissement, la nuit se dévidait en continu sans en avoir conscience.

Description d’un match : Je ne vais pas tous les narrer, j’en prends un au hasard de mes souvenirs, c’est le plus marquant et le moins glorieux, à contredire assurément mon recruteur. Nous recevions SEDAN, les  juniors, bien entendu ! J’étais à peine entraîné, entraîné tout de même dans une sale affaire. Attendez ! il faut bien me trouver une excuse car elle est de taille si je peux me le permettre. J’avais grandi trop vite dans mes 174 c/m, le poids n’avait pas suivi, vous voyez l’échalas. C’est pas tout, on m’avait affublé d’un costume de goal trop grand et trop lâche, une bannière flottant au vent. Mêmes les gants étaient démesurés, je recroquevillais les doigts pour ne pas les perdre. Les protège-tibias flottaient librement dans des chaussettes trop larges, mes mollets de coq en étaient responsables, mais on ne va pas ergoter plus longtemps la dessus. Un chandail immense et un béret… à ma taille, c’était le mien. Goal, c’est la seule place que l’on m’a trouvée, vu que j’entrais dans un cercle déjà formé ou tous les équipiers se connaissaient. Le titulaire était absent ou malade.

Voilà le tableau dépeint sans fioritures ni animosité, c’était ainsi à l’époque. J’avais une grande appréhension, la cage était immense et détrempée, il avait plu. J’avais de la peine à me mouvoir tant les chaussures s’ enlisaient, impossible de les  décoller de la fange. Devant moi le sol était plus accueillant, je pris la décision de m’y installer. Qu’elle erreur !

 Le match débuta. Très rapidement les Sedanais prirent un net avantage et envahissent mon domaine à plusieurs reprises. Sans coup férir les buts se succèdèrent sans que je touchasse une seule fois le ballon. Décidément je n’étais pas à la bonne distance et je rectifiais la position, c’est-à-dire je retrouvais la gadoue. Mal m’en a pris, j’étais à nouveau englué. Tel un pantin désarticulé, je me démenais tant bien mal dans cette cage maudite, plongeant à droite quand le ballon passait à gauche, plongeant à gauche quand le ballon passait à droite. Tous les adversaires s’en donnaient à cœur joie. Puis à la mi-temps, changement de camp, même situation bourbeuse. Le goal adverse n’avait pas été inquiété. Cette fois je n’avais plus devant moi, les onze joueurs,  les dix autres s’y sont associer par dérision ou par divertissement. On avait perdu, 13 à zéro, mais comme précisaient mes copains ce fut une franche rigolade tant j’étais cocasse dans cette pantomime involontaire. On en rit encore dans les chaumières.

La saison se poursuivit avec des hauts et des bas, en tant qu’ailier droit, j’avais meilleure allure sans être un bon, je n’étais pas mauvais non plus.  En tant que tel, j'ai failli avoir ma revanche à Sedan même. Un ballon vient mourir à mes pieds alors que j'étais le plus avancé dans la ligne de défense adverse. D'un bond je fis face au goal sous les encouragements des supporters et des membres de l'équipe. Dans ma précipitation, ne sachant quel pied utilisé, j'ai roulé sur le ballon à quelques mètres du but. Quelle chute... et quelle engeulade !

Ma saison s’est terminée volontairement, j’y ai mis un terme, car je n’avais pas ma place dans cette équipe où rayonnaient des as dont certains ont été sélectionnés pour renforcer les séniors. 

Je goûtais cette fois au spectacle offert par mes anciens compères en donnant de la voix pour les conseiller ou les engueuler, c’est selon… J’avais acquis de l’assurance, c’est sûr et gagné le paradis, pardi ! L’enfer c’est pour les autres, ceux du terrain qui doivent mériter leur titre et qui se battent comme des diables pour une gloire éphémère. Bravo les petits !

Roger Louis

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