Macaque

Un singe en hiver

 

Daniel L… bénéficiait d'un congé de fin de campagne à l'issue de son séjour en Indochine. Célibataire il se retirait chez ses parents résidant à la Porte de Bourgogne. C'était pour ses frères et sœurs une grande joie de revoir le grand frère, d'autant qu'il avait été généreux en petits cadeaux. Les anciens copains aussi ont largement profité de sa générosité, invités qu'ils furent à maintes soirées de ribote. Que lui restait-il de ses économies ? Economies qui se composaient de ses soldes cumulées pendant ce long séjour dans les rizières et les arroyos d'où s'exhalait la pestilence au quotidien et l'imprévisible  coup de feu des indépendantistes qui pouvait vous faire passer de la vie à trépas.

La bourse devenue inévitablement plate lui engendrait une mélancolie aggravée par l'indifférence de ses amis qui l'avaient délesté financièrement et qui ne lui trouvaient plus l'intérêt comme aux premiers jours, lassés également par ces histoires exotiques  auxquelles ils ne comprenaient rien. Il ne lui restait plus que sa moto, achetée dès son arrivée. Mais une moto, en plein hiver ardennais, après un séjour subtropical, n'a pas l'attrait qu'il avait rêvé et de jour en jour, sa passion s'amenuisait à cause du froid ou de la pluie glacée. Néanmoins, dans les rares journées de radoucissement, il avisait  à sortir son petit compagnon d'infortune qui comme lui venait d'horizons plus cléments.

D'où l'avait-il ramené? D’Indochine ? Ou, à l'occasion d'une escale à Colombo ou bien encore à  Aden? Ce macaque juvénile manifestement n'appréciait pas les randonnées, assis sur les genoux de son maître, qui menait bon train son engin à travers la ville. La pauvre bête gigotait de tout son soûl, affirmant sa désapprobation par des cris perçants tout en tournoyant autour de son attache qui manquait de l'étrangler. C'était peine à voir. Une voix intérieure avait beau me morigéner "cela ne te regarde pas!" Je confiais tout de même ma déconvenue à son frère de mon âge qui comme moi souffrait de cette situation insoutenable. Cependant, les courtes absences de l'animal du foyer soulageaient les parents qui s'effrayaient des agissements  extravagants du singe qui ne tenait pas en place dans l'appartement. Il chipait tout  ce qu'il convenait de saisir avec une rare dextérité. Toute la famille prêtait la main pour coincer le chapardeur et tenter de lui faire rendre l'objet convoité. Au début, ces trémoussements amusaient les parents, les amis et les voisins. On s'était vite lassé de ses stratagèmes réitérés et incessants sans compter le tapage d'enfer que le macaque manifestait nuit et jour.

 Fallait-il trouver un prétexte fallacieux pour s'en débarrasser à l'insu du propriétaire nullement troublé par les turpitudes occasionnées. Un secours providentiel y pourvoira à brève échéance. Le singe prit froid et une congestion pulmonaire eut raison de son apparente solide constitution. Cette inconscience impardonnable affectait la famille qui avait déjà souffert que la pauvre bête soit délogé de son milieu naturel.

Daniel, s'en remis et oublia la triste affaire,  avait-il pour autant tirer un enseignement? Quelques semaines après le drame, il rejoignit sa nouvelle affectation en Afrique. Ses excentricités avaient eu un impact certain sur les jeunes de sa rue, qui à l'âge venu, se sont empressés de signer un contrat pour la coloniale. Aldo et Michel, ses proches voisins, y feront une carrière. Daniel, dans ce sens, n'a pas été totalement négatif puisqu'il y multiplia la vocation par deux. RL

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