Le Figaro article 14 nov 2009

Débat sur le prix du livre numérique

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Delphine Denuit

12/11/2009 | Mise à jour : 08:18

Un livre papier bénéficie d'un taux de TVA de 5,5 %,tandis que son support virtuel est taxé à 19,6 %. Une aberration aux yeux de l'ensemble de la filière. Crédits photo : AP

L'ensemble de la profession plaide pour une harmonisation de la TVA à 5,5 %.

C'est une première qui pourrait bien marquer un tournant dans l'histoire de l'édition. Le 2 décembre prochain, le dernier livre de Marc Lévy, La Première Nuit, sortira simultanément en version papier et numérique (au format standard ePub). C'est un joli coup de pub pour la maison d'édition Robert Laffont, qui s'inspire de la stratégie déployée par l'éditeur de Dan Brown, en septembre dernier, pour promouvoir son dernier opus. Mais c'est surtout l'occasion pour l'éditeur comme pour l'auteur de lancer un pavé dans la mare. La version papier sera en effet mise en vente 21 euros, tandis que celle numérique bénéficiera d'une décote de près de 25 %, à 16 euros… Une véritable ristourne sans commune mesure avec la remise d'à peine 15 % accordée pour l'achat numérique du dernier prix Goncourt, Trois Femmes puissantes de Marie NDiaye.

Stratégique, ce choix tarifaire relance le débat du prix du livre numérique. À l'heure où les tablettes de lecture se multiplient, le livre numérique doit bénéficier d'un prix attractif s'il veut séduire un large public. Ce qui est loin d'être le cas. Son prix est jugé encore trop élevé tant par ses éventuels clients que par les distributeurs et libraires en ligne, la Fnac et Amazon en tête. Pour être attrayant, «le livre numérique doit être moins cher de 25 % à 30 % par rapport au livre papier parce qu'il n'offre pas le même service», a plaidé Christophe Cuvillier, président de la Fnac, au «Buzz Média Orange-Le Figaro». Les remises actuelles de 15 % sont insuffisantes, selon lui, pour permettre à ce nouveau marché de décoller. Le député UMP de Savoie Hervé Gaymard va même plus loin : «Le prix du livre numérique doit être significativement inférieur à celui du livre papier, de l'ordre de 30 % à 40 %», précise-t-il dans son rapport «Situation du livre» remis mi-mars au ministère de la Culture.

S'ils réclament un prix attrayant pour la version numérique, Hervé Gaymard, les distributeurs et les éditeurs plaident pour l'instauration d'un prix unique du livre numérique sur toutes les plates-formes électroniques, afin d'éviter une guerre commerciale entre Amazon, Barnes & Noble, Fnac.com et autres Google. Pour cela, il faut soumettre le livre électronique à la fameuse loi Lang du 10 août 1981, qui à l'époque n'avait pas prévu les développements numériques. Le prix unique permettrait aussi aux éditeurs de garder la maîtrise de leur prix et de leur équilibre économique sans en être dépossédé comme c'est déjà le cas outre-Atlantique. Sur ce sujet, le député UMP entend «mobiliser le gouvernement sur le sujet dès 2010».

Dernier combat, l'harmonisation du taux de TVA. Un livre papier bénéficie d'un taux de TVA de 5,5 %, tandis que son support virtuel est taxé à 19,6 %. Une aberration pour l'ensemble de la filière. «Il faut harmoniser le taux de TVA du livre numérique sur celui du papier, qui bénéfice d'un taux réduit à 5,5 %, résume Marie Allavena, directrice générale des Éditions Eyrolles. Le livre numérique est bien une œuvre et non un service !» Conscient de ce handicap, Hervé Gaymard prévoit déjà de déposer une proposition de loi dès le début 2010 pour ramener à 5,5 % le taux de TVA applicable aux livres numériques. Reste que la loi française devra ensuite faire l'objet d'un accord communautaire pour entrer en vigueur.

Dépoussiérer la loi Lang

Hervé Gaymard, auteur du rapport «Situation du livre», a trouvé dans le livre numérique son nouveau cheval de bataille. L'ancien ministre va porter l'affaire devant le Parlement en rédigeant deux propositions de loi dès le début 2010 pour soutenir son développement. La première vise à ramener le taux de TVA applicable au livre numérique à 5,5 %, la seconde est, elle, relative au prix unique du livre. À l'instar de la loi Lang de 1981 qui imposait un prix unique du livre - un prix égal pour tous, quel que soit le lieu d'achat - pour soutenir l'édition française, il proposera la mise en place d'un dispositif similaire dédié au livre numérique.

S'il s'avère délicat de toucher à la loi Lang, Hervé ­Gaymard a déjà trouvé la parade en proposant «le développement de la pratique du mandat qui existe par exemple dans la presse», souligne-t-il.

Le mandat consisterait donc à assimiler les livres numériques à ceux imprimés sur papier pour leur faire bénéficier des mêmes avantages, à l'image de la presse qui publie des ouvrages considérés comme entrant dans son périmètre d'activité. «2010 sera l'année de la révolution numérique», prévient l'ancien ministre.

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Marie-Catherine Beuth et Delphine Denuit

03/11/2009 | Mise à jour : 19:50

Le Kindle d'Amazon. Crédits photo : AP

Amazon et Google sont lancés dans une course effrénée pour s'imposer sur un marché stratégique. Mais l'arrivée attendue d'Apple pourrait rebattre les cartes.

Ce sera le gadget tendance de Noël 2009. Et dès 2010, le livre numérique deviendra à l'édition ce que l'iPod est à la musique : un terminal qui décidera de l'avenir numérique d'une filière. À l'instar de la position dominante acquise dans la musique en ligne par Apple, de nombreux acteurs se mettent en ordre de bataille pour conquérir l'édition numérique. Aux États-Unis, où le marché est le plus développé, 3 millions de lecteurs devraient être écoulés cette année, estime le cabinet d'études Forrester Research. Les ventes devraient doubler en 2010.

Un leader sort déjà du lot. Selon Forrester, Amazon détiendrait près de 60% de part de marché. À la fois distributeur de biens culturels et d'électronique grand public, Amazon s'est lancé dans la bataille dès 2007 avec son propre lecteur numérique, le Kindle. Amazon a opté pour un modèle économique redoutable : il achète aux éditeurs les versions numériques de leurs ouvrages au prix du papier pour ensuite les revendre à un prix très inférieur sur son site, souvent à moins de 10 dollars.

Cette politique de vente à perte fait grincer les dents des éditeurs américains, inquiets de se voir imposer un prix du livre numérique bradé. Mais Amazon peut ainsi offrir un accès direct à plus de 360 000 ouvrages numériques sur son Kindle Store, sa boutique en ligne, qui propose aussi de s'abonner à des journaux. Fort de son succès américain, il s'attaque depuis le 19 octobre au marché international.

Or, sur celui-ci, Google a déjà pris ses marques, avec une stratégie axée sur le contenu plutôt que sur les terminaux. Depuis 2004, en partenariat avec des bibliothèques et des universités du monde entier, Google numérise des millions de titres à ses frais. Il compte se rembourser de deux manières. D'une part, Google accroît ses recettes publicitaires en incluant les ouvrages numérisés dans son moteur de recherche. D'autre part, il tire des revenus de la location de sa base d'ouvrages à des tiers (biblio­thèques, librairies, institutions…).

Dans un accord avec les éditeurs et auteurs américains, le géant de l'Internet a prévu de verser 63% des revenus générés aux ayants droit d'ouvrages protégés. Un règlement remis en cause par la justice américaine, à qui Google doit remettre une nouvelle mouture lundi. Jouant la carte du volume et du format d'édition ouvert (ePub), Google multiplie les contrats.

La tablette multimédia d'Apple

Parmi les premiers signataires, on retrouve le fabricant de lecteurs numériques Sony. Si le géant japonais de l'électronique se concentre sur la fabrication de lecteurs, il a profité de son partenariat avec ­Google pour enrichir sa propre librairie The eBook Store. De son côté, l'américain Barnes & Noble, libraire depuis 1932, veut développer son activité d'origine. Il propose donc des livres téléchargeables sur PC, BlackBerry, iPhone, iPod touch et vient de lancer son propre lecteur, Nook.

Mais le marché attend qu'Apple sorte du bois. Le groupe a déjà imprimé sa marque dans la musique. Il a d'abord lancé un logiciel gratuit (iTunes) pour conquérir les PC, puis un baladeur dédié (iPod) avant de créer une boutique compatible avec ce seul terminal (iTunes Music Store), et d'imposer un tarif (0,99 cents par titre). L'inventeur de l'iPod pourrait rééditer l'exploit dans le livre. Tous les regards sont tournés vers la tablette multimédia qu'il devrait lancer prochainement.

Les éditeurs de journaux comme le New York Timesont déjà signifié leur intérêt pour ce lecteur polyvalent. Et «si Apple intègre le format d'édition ePub dans son iTunes Store, il s'imposera en une nuit comme un acteur majeur du livre numérique» , prédit Forrester Research.

Les éditeurs redoutent de perdre la main

Signe des temps, Trois Femmes puissantes de Marie NDiaye, Prix Goncourt 2009, existe en version numérique avec une décote de 10% (à 16,50 euros) sur le prix de vente de sa version papier. Avec le numérique, les éditeurs ne veulent pas se laisser dicter la valeur de leurs livres, à l'instar de ce qu'Apple a imposé dans la musique.

En France, les éditeurs ont créé leurs propres plates-formes de distribution en ligne, comme Eden-Livres (Gallimard, La Martinière, Flammarion), Numilog (Hachette Livre) ou E-plateforme (Media-Participations, Editis).

Aux États-Unis, le bras de fer est engagé entre éditeurs et distributeurs de livres numériques. Les éditeurs doivent défendre leurs intérêts : être distribués le plus largement possible tout en obtenant la meilleure rémunération. Or, aujourd'hui, ce sont les distributeurs numériques qui tentent d'imposer leurs règles et leurs prix. Amazon, estimant que son terminal permet aux éditeurs de conquérir de nouveaux lecteurs, proposerait 30% aux ayants droit et conserve 70% de chaque vente. A contrario, Google reverse 63% des recettes et en conserve 37%.