Numériser notre patrimoine

VENDREDI 4 DÉCEMBRE mise à jour à 15h35

Quelle numérisation du patrimoine pour demain?

Créé le 04.12.09 à 10h15

Après Google Books, Google va lancer Google Editions/(montage/DR)

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CULTURE - Alors que Frédéric Mitterrand chiffre à 750 millions d'euros son coût, différents scénarios peuvent être envisagés...

Avec ou sans Google? La problématique de la numérisation du patrimoine peut se résumer à ce choix. Si on ignore encore à qui reviendra ce chantier – entreprise privée ou publique – la France semble vouloir accélérer le mouvement. François Fillon a d’ores et déjà confié une mission de réflexion sur l’édition à l’heure du numérique à l’ex-ministre de la Culture Christine Albanel et Frédéric Mitterrand multiplie les déclarations sur les enjeux de ce dossier. Quels scénarios peuvent être envisagés? Réponse sur 20minutes.fr.

Scénario n°1: Google à la barre

Ses atouts: le site a les compétences, les outils et le budget pour le faire. Avec l’ambition de faire de Google Books une référence, il a déjà signé un accord avec les éditeurs américains, s’engageant notamment à leur verser 125 millions de dollars (83,5 millions d'euros) pour rémunérer les auteurs dont les oeuvres ont été numérisées sans autorisation. La Bibliothèque nationale de France a d’ailleurs ouvert des négociations avec le géant américain. «Nous n'arrêtons pas pour autant notre propre programme de numérisation. Mais si Google peut nous permettre d'aller plus vite et plus loin, pourquoi pas?» a lancé le directeur général adjoint de la BNF Denis Bruckmann cet été.

Ses handicaps: sa situation de monopole, contre lequel s’est emporté l'ancien président de la Bibliothèque nationale de France, Jean-Noël Jeanneney, dans une tribune au Figaro, fin août. C’est d’ailleurs sur ce point que le dossier bloque aux Etats-Unis, le ministère américain de la Justice attendant toujours des garanties avant de donner son feu vert. Autre défaut de Google, la méfiance qu’il inspire. Si Frédéric Mitterrand se dit prêt à discuter avec le géant américain, il entend poser des conditions. «Il faut que nous régulions le marché, il faut que ce soit l'Etat qui le fasse et pas tel ou tel groupe privé, si efficace soit-il», juge le ministre. Un accord ne se fera donc pas sans l’aval de l’Etat. Par ailleurs, les éditeurs français, déjà hostiles au projet de Google, sont aussi en procès avec la firme qu’ils accusent d’avoir numérisé certaines œuvres sans leur autorisation. Pour l’emporter, le site devrait donc lâcher du lest et assurer le respect et la rétribution des ayants droits. «Un accord avec Google devrait forcément respecter intégralement le droit d'auteur, ce qui n'est pas actuellement la démarche de Google, et serait forcément différent pour les livres sous droits et les livres tombés dans le domaine public», a prévenu la secrétaire d'Etat chargée de la Prospective et du Développement de l'économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, en août dernier. Enfin, Google ne s’intéresse pour l’instant qu’aux livres. Or, la France cherche un moyen de numériser tout son patrimoine (musique, livre, oeuvre d'art).

Probabilité du projet: faible. Ni le gouvernement ni les secteurs concernés par la numérisation ne devraient laisser les coudées franches au groupe américain.

Sandrine Cochard

Le site de l'Institut national de l'audiovisuel, ina.fr/DR

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Scénario n°2: l’Etat poursuit son effort

Ses atouts: il peut s’appuyer sur le travail déjà fait. Selon Frédéric Mitterrand, le Louvre a déjà numérisé 85% de ses œuvres tandis que le Centre National de la Cinématographie (CNC) a numérisé 13.000 films et 70.000 oeuvres audio. D’autres établissements ont également lancés un vaste travail de numérisation, notamment l’Institut national de l’audiovisuel et la Bibliothèque nationale de France avec Gallica.

Ses handicaps: le budget. Frédéric Mitterrand évalue à 750 millions d’euros le coût d’une telle numérisation. Une somme colossale pour le ministère. Son budget 2010 présenté le 1er octobre dernier, ne prévoit qu’un appel à projets doté de 3 millions d’euros. Il rappelle par ailleurs que «plus de 30 millions sont consacrés par la BnF, l’INA et les autres établissements publics et services du ministère à la numérisation du patrimoine culturel». Frédéric Mitterrand espère encore plaider cette cause auprès de Nicolas Sarkozy, qui doit encore attribuer les sommes du grand emprunt. «J'ai demandé que 750 millions d'euros soient consacrés à la numérisation des contenus culturels français» a-t-il déclaré au Buzz Média Le Figaro-Orange, le 20 novembre dernier. On ignore encore s’il a reçu l’accord du chef de l’Etat.

Probabilité du projet: une chance sur deux. Les efforts financiers à fournir sont trop importants pour être supportés par le seul ministère de la Culture. La solution, avancée par Frédéric Mitterrand, serait d’y associer des entreprises privées (reste à savoir lesquelles). A moins que Nicolas Sarkozy débloque les 750 millions d’euros réclamés par le ministre…

Sandrine Cochard

Europeana, la bibliothèque virtuelle européenne/DR

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Scénario n°3: Un projet européen

Ses atouts: un catalogue riche et une mutualisation des compétences. Sous l'initiative de la France, les ministres de la Culture de l'UE ont décidé à Bruxelles, fin novembre, de créer un «comité des sages» pour définir les modalités de futurs partenariats public-privé dans le domaine de la numérisation culturelle. Objectif: éviter le monopole par certains géants de l'Internet comme Google. L’Allemagne a annoncé jeudi qu’elle allait débloquer 5 millions d'euros pour mettre en place une bibliothèque virtuelle allemande qui sera reliée à la bibliothèque européenne. «Il est évident que nous souhaitons qu’Europeana ait un véritable rôle pour la suite, a assuré récemment Frédéric Mitterrand au JDD. Jusqu’à présent, l’Europe finance l’institution au coup par coup. Nous avons souhaité aujourd’hui lui donner des moyens permanents et améliorer sa gouvernance. »

Ses handicaps: Europeana, la bibliothèque développée pour concurrencer Google (qui veut lancer une bibliothèque virtuelle en ligne baptisée Google Books), fait pâle figure. Son lancement en 2008 avait été entaché par une panne. Depuis, Europeana s’est (un peu) développée mais se limite pour l'instant aux oeuvres libres de droits. Elle dispose tout de même de ressources plus larges que Google, avec près de 4 millions de documents en 26 langues dont des livres, des partitions, des tableaux ou encore des bandes sonores et audiovisuelles. Elle doit connaître un nouveau lancement en 2010.

Probabilité: c’est le projet le plus consensuel. Il s’appuie sur des outils et des ressources déjà existants et devrait susciter l’adhésion des Etats et des ayants droits. Reste le problème du financement, qui suppose une réelle ambition nationale (chaque pays contributeurs doit aider à la numérisation nationale) et un élan européen. Là encore, les 27 pourraient tendre la main à des entreprises privées triées sur le volet dont pourrait faire partie Google... sous certaines conditions bien sûr.

Sandrine Cochard