Les deux faces du Dhamma
Bhikkhu Bodhi
© 1998
Au premier abord, le bouddhisme nous confronte à un paradoxe. Intellectuellement, il semble être un délice pour les libres penseurs : sobre, réaliste, non dogmatique, presque scientifique dans ses perspectives et sa méthode. Mais si nous entrons en contact avec le Dhamma vivant de l'intérieur, nous découvrons rapidement qu'il a un autre côté qui semble l'antithèse de tous nos présupposés rationalistes. Nous ne rencontrons toujours pas de credo rigides ou de spéculations aléatoires, mais nous tombons sur des idéaux religieux de renoncement, de contemplation et de dévotion ; un corps de doctrines traitant de questions transcendant la perception des sens et la pensée ; et - ce qui est peut-être le plus déconcertant - un programme de formation dans lequel la foi figure comme une vertu cardinale, le doute comme un obstacle, une barrière et une entrave.
Lorsque nous essayons de déterminer notre propre relation avec le Dhamma, nous nous trouvons finalement mis au défi de donner un sens à ses deux faces apparemment inconciliables : la face empirique tournée vers le monde, qui nous dit d'enquêter et de vérifier les choses par nous-mêmes, et la face religieuse tournée vers l'Au-delà, qui nous conseille de dissiper nos doutes et de faire confiance au Maître et à son Enseignement.
Une façon de résoudre ce dilemme est d'accepter un seul visage du Dhamma comme authentique et de rejeter l'autre comme fallacieux ou superflu. Ainsi, avec le piétisme bouddhiste traditionnel, nous pouvons embrasser le côté religieux de la foi et de la dévotion, mais éviter la vision du monde et la tâche de l'enquête critique ; ou, avec l'apologétique bouddhiste moderne, nous pouvons exalter l'empirisme du Dhamma et sa ressemblance avec la science, mais trébucher avec embarras sur le côté religieux. Pourtant, si l'on réfléchit à ce qu'exige une véritable spiritualité bouddhiste, il apparaît clairement que les deux faces du Dhamma sont également authentiques et qu'il faut les prendre en compte toutes les deux. Si nous ne le faisons pas, non seulement nous risquons d'adopter une vision biaisée de l'enseignement, mais notre propre implication dans le Dhamma risque d'être entravée par la partialité et les attitudes conflictuelles.
Le problème reste cependant de réunir les deux faces du Dhamma sans tomber dans l'auto-contradiction. Nous suggérons que la clé pour parvenir à cette réconciliation, et donc pour assurer la cohérence interne de notre propre perspective et de notre pratique, réside dans la prise en compte de deux points fondamentaux : premièrement, l'objectif directeur du Dhamma ; et deuxièmement, la stratégie qu'il emploie pour atteindre cet objectif. L'objectif est de parvenir à la délivrance de la souffrance. Le Dhamma n'a pas pour but de nous fournir des informations factuelles sur le monde, et donc, malgré sa compatibilité avec la science, ses objectifs et ses préoccupations sont nécessairement différents de ceux de cette dernière. Principalement et essentiellement, le Dhamma est une voie d'émancipation spirituelle, de libération du cycle des naissances, des morts et des souffrances répétées. Offert à nous comme le moyen irremplaçable de délivrance, le Dhamma ne cherche pas un simple assentiment intellectuel, mais commande une réponse qui ne peut être que pleinement religieuse. Il s'adresse à nous au fondement de notre être, et là, il éveille la foi, la dévotion et l'engagement qui conviennent lorsque le but ultime de notre existence est en jeu.
Mais pour le bouddhisme, la foi et la dévotion ne sont que des éperons qui nous poussent à entrer et à persévérer sur le chemin ; par eux-mêmes, ils ne peuvent assurer la délivrance. La cause première de l'esclavage et de la souffrance, enseigne le Bouddha, est l'ignorance de la véritable nature de l'existence ; par conséquent, dans la stratégie bouddhiste de libération, l'instrument principal doit être la sagesse, la connaissance et la vision des choses telles qu'elles sont réellement. L'investigation et la recherche critique, à froid et sans engagement, constituent le premier pas vers la sagesse, nous permettant de résoudre nos doutes et d'acquérir une compréhension conceptuelle des vérités dont dépend notre libération. Mais le doute et le questionnement ne peuvent se poursuivre indéfiniment. Une fois que nous avons décidé que le Dhamma doit être notre véhicule vers la liberté spirituelle, nous devons monter à bord : nous devons laisser nos hésitations derrière nous et entrer dans le cours de formation qui nous mènera de la foi à la vision libératrice.
Pour ceux qui approchent le Dhamma en quête de gratification intellectuelle ou émotionnelle, il montrera inévitablement deux visages, dont l'un restera toujours une énigme. Mais si nous sommes prêts à aborder le Dhamma dans ses propres termes, comme la voie de la libération de la souffrance, il n'y aura pas du tout deux visages. Au contraire, nous verrons ce qui était là depuis le début : le visage unique du Dhamma qui, comme tout autre visage, présente deux faces complémentaires.
Source : https://accesstoinsight.org/lib/authors/bodhi/bps-essay_02.html
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