Repères historiques


De grandes controverses entourent historiquement le bilinguisme, en particulier quand il est question de celui qui caractérise les jeunes issus de groupes minoritaires, dont la langue des parents s’inscrit en rupture avec celle de l’école.
Les difficultés d’adaptation, les décalages linguistiques et culturels souvent observés sont autant de facteurs d’inquiétude qui justifient souvent l’éradication pure et simple de la langue autre dans l’espace scolaire.
La non-réussite scolaire d’un nombre important des enfants issus des groupes minoritaires accuse leur relation à plus d’un code linguistique (ou plus exactement la représentation qu’on se fait de cet échec).
Au niveau de la recherche, on peut distinguer trois grandes périodes (qui se chevauchent en partie) dans les travaux consacrés au bilinguisme de la petite enfance :
la période des “détriments” la période des “effets neutres” la période des “effets favorables”.
Les premières recherches entreprises signalent essentiellement les effets négatifs du bilinguisme sur le développement de l’intelligence chez les jeunes bilingues.
La seconde période est marquée par la prise en compte des facteurs sociaux dans la recherche, et la mise en évidence que le bilinguisme n’a pas d’effets notoires sur le développement de l’intelligence.
Enfin, les travaux développés notamment au Canada au début des années 1960 marquent le commencement d’une véritable revalorisation du bilinguisme, en avançant la possibilité d’effets bénéfiques, liés en particulier à un mode de fonctionnement cognitif plus flexible et abstrait, et la possibilité pour les bilingues de transférer les acquis d’une langue vers l’autre.

Le bilinguisme et la conscience métalinguistique


Ces rappels étant faits, il convient néanmoins de s’interroger plus avant sur certaines implications du développement bilingue sur l’organisation des connaissances, et nous allons nous intéresser en particulier aux atouts d’ordre métalinguistique qu’on attribue généralement aux bilingues.
On peut donner une définition très rapide de la conscience métalinguistique en disant qu’il s’agit de la capacité de se servir du langage pour réfléchir sur la nature et le fonctionnement du langage. Cette capacité est très largement valorisée par l’école, on considère en effet qu’elle joue un rôle clef notamment dans l’apprentissage de la lecture.
Dès 1962, le linguiste Vygotsky déclare que le bilinguisme permet à l’enfant de concevoir les langues comme des systèmes particuliers parmi d’autres, de considérer les phénomènes linguistiques sous des catégories plus larges, et par conséquent de développer une conscience “métalinguistique” des opérations langagières. À la même époque, les Canadiens Peal et Lambert considèrent la possibilité d’une pensée plus flexible, moins déterminée par le rapport au mot.
Dans une même optique, un certain nombre de recherches tentent dans les décennies qui suivent de tester l’hypothèse d’une séparation entre le sens et le son chez les enfants bilingues. L’étude de Ianco-Worrall menée dans les années 1970 reste la plus citée. L’expérimentation est menée avec une trentaine d’enfants bilingues en afrikaans et en anglais, âgés de 4 à 9 ans, et deux groupes d’enfants monolingues présentant les mêmes caractéristiques d’âge, de sexe, d’appartenance sociale, et avec les mêmes résultats scolaires. On leur demande, à titre d’exemple, de réagir à trois mots : CAP, CAN et HAT, et de décider lequel est le plus semblable à CAP. Choisir HAT suggère une relation établie sur le signifié des mots (casquette, chapeau), tandis que choisir CAN suggère une relation construite sur le son. Les résultats obtenus montrent qu’il n’y a pas de différences notables dans les choix entre les enfants bilingues et monolingues dans les tranches d’âges comprises entre 7 et 9 ans. Les groupes bilingues comme les monolingues répondent par le choix d’une relation établie entre les signifiés des mots. En revanche, chez les enfants plus jeunes, une nette différence s’établit : les bilingues établissent une relation entre les signifiés, comme le font les enfants plus âgés. Mais les enfants monolingues eux tendent à réagir aux similarités de sons. Ianco-Worrall en conclut que les enfants bilingues ont tendance à développer une compétence appuyée sur le sémantique plus jeunes, environ deux à trois enfants avant les enfants confrontés à une seule langue.
D’autres expérimentations menées dans d’autres contextes (celles de Cummins par exemple avec des bilingues en anglais et irlandais) étayent ces premiers résultats et attestent la plus précoce et la plus grande conscience de l’arbitraire du langage chez les enfants bilingues, qui paraissent pouvoir plus facilement sortir des langues pour en dégager les formes et les propriétés.

L’interdépendance de la compétence bilingue


Nous avons vu que certains chercheurs, en particulier ceux qui s’attachent à étudier les contextes où l’une des langues en contact est fortement minorisée, ont eu peu l’occasion d’éprouver les effets positifs du bilinguisme pourtant repérés dans des contextes plus favorables.
Pour Cummins, l’école joue un rôle déterminant dans le développement de ces effets plutôt bénéfiques ou négatifs, et est en mesure de remédier, au moins en partie, aux effets stigmatisants que la société élargie peut imprimer sur les langues et les groupes minoritaires. Pour lui, c’est le traitement accordé par l’école aux enfants issus des minorités, et à leur bilinguisme, qui est la cause majeure de l’échec scolaire souvent enregistré chez ces jeunes bilingues, et non leur bilinguisme comme on a souvent préféré le croire.
Expliquez la représentation du double iceberg de la compétence bilingue par J. Cummins et quelles sont ses implications pour l'éducation.
Pour vous aider, voir un ppt de Cummins (2015) ici.