Le rôle de la L1 en classe de français L2


La question du rôle et de la place de la langue L1 (ou langue de référence) dans la classe de langue seconde relève d’un débat ancien, qui a connu des fortunes diverses. On a par le passé beaucoup défendu l’idée d’interdire le recours à la langue 1 des apprenants dans une classe de langue seconde. Cette position s’argumente (entre autres) sur l’effort de chercher à exposer l’apprenant à la langue seconde sur le modèle de l’enfant qui acquiert sa langue première, tout en fournissant des données langagières déjà triées et ordonnées (de manière à accélérer l’apprentissage car on ne dispose pas du même temps d’exposition). On parle notamment d’apprentissage par imprégnation, de bain linguistique, d’immersion. On se situe ici clairement dans une conception de l’apprentissage facilité par le contact avec la langue-cible, dans des conditions qui s’approchent au mieux des conditions « naturelles » d’acquisition des langues.
On se souviendra toutefois que dans les pages précédentes, nous avons évoqué la difficulté à parler de langue « maternelle » dans un contexte de contact. On trouve dans la recherche la notion de langue première (L1) par référence à langue seconde (L2), sans que ces dénominations ne recouvrent nécessairement l’ordre des langues dans les apprentissages pour les apprenants.
Louise Dabène a proposé de parler de langue de référence, pour signaler qu’elle constitue le socle des nouveaux apprentissages, celle qui joue le rôle de repère, de manière implicite ou explicite. Celle-ci peut être la langue principale de l’école, sans être nécessairement celle parlée par les apprenants dans leur famille. Dans les cas de contacts multiples avec des langues, des études ont aussi montré que l’anglais joue le rôle de langue de référence pour de nouveaux apprentissages, en particulier quand il s’agit pour les apprenants de la première langue étrangère apprise dans un cadre scolaire.
Pour une mise au point très claire sur l’état de la recherche, on pourra se référer à l’ouvrage de Castellotti (2001). La langue maternelle en classe de langue étrangère. Clé International, Paris.
La recherche montre l'importance de partir du connu pour apprendre : le système linguistique dont disposent déjà les apprenants, mais aussi l’ensemble de leurs savoirs d’expérience. On considère alors que les deux langues doivent servir de voûte dans la construction des nouvelles compétences.
En particulier, il est important de pouvoir s’appuyer sur les savoirs déjà-là (savoirs linguistiques ou autres) pour amener l’apprenant à développer des stratégies de passage d’une langue à l’autre, pour favoriser l’apprentissage de la nouvelle langue ou l’accès à de nouveaux savoirs. On considère en effet qu’il est illusoire de chercher à séparer l’apprenant de sa langue et de ses savoirs repères, qui constituent de fait des points d’ancrage pour ses nouveaux apprentissages.
Même si la langue et la culture de l’apprenant sont absents de la classe, celui-ci va s’appuyer sur ses savoirs antérieurs pour accéder au sens, comparer, s’essayer à construire de nouveaux mots (par analogie, etc), interpréter les situations, faire sens de son nouvel environnement. La question qui se pose alors est celle des moyens à mettre en oeuvre pour canaliser et orienter (didactiser) ce retour à la langue repère et aux savoirs antérieurs, afin qu’ils deviennent l’enjeu d’une véritable aide à l’apprentissage.
Nous avons vu précédemment que les alternances de langues qui émaillent le discours des plurilingues sont à la fois normales et qu’elles remplissent des rôles importants, notamment d’affichages des identités. Les alternances restent pourtant perçues le plus souvent négativement à l’extérieur des groupes d’appartenance, et en particulier sur le terrain scolaire.
À l’école, les enseignants peuvent se trouver confrontés à différentes formes d’alternances : celles qui mettent en œuvre les langues des répertoires plurilingues des élèves, celles qui mettent en œuvre les langues de l’école.
À l’école, ces alternances sont généralement analysées comme des traces du déséquilibre des compétences et, donc, comme les indicateurs d’une maîtrise précarisée, ou en cours de développement, des langues. Elles sont alors généralement évaluées par les enseignants comme des énoncés fautifs relevant d’interférences, surtout quand ceux-ci ignorent les usages linguistiques locaux. Les affichages identitaires que ces alternances permettent de remplir pour leurs locuteurs peuvent facilement leur échapper, ou passer pour de simples outrages à l’autorité scolaire.
Pourtant, les rôles identitaires de l’usage des langues ne doivent pas être sous-estimés, en particulier dans le champ scolaire. L’usage de ces variantes permet en effet aux locuteurs plurilingues d’afficher discursivement des identités distinctes, d’adhésion ou de transgression des normes validées dans les groupes. Les alternances servent aussi parfois à se sécuriser pour certains élèves qui se sentent démunis dans la classe (Canagarajah 2004 parle par exemple de « safe houses »).
Les passages sont aussi en ce sens à considérer dans leurs liens avec des mouvements de réaffirmation d’une identité (qui pourrait être dans certains cas une identité d’apprenant) mais aussi avec les mouvements d’étayage qui, potentiellement, les accompagnent, et donc, dans leurs relations avec des processus d’acquisition et des progrès d’apprentissage.
Pour aller plus loinCanagarajah, S. (2004). Subversive identities, pedagogical safe houses, and critical learning. In B. Norton & K. Toohey (eds). Critical Pedagogies and Language Learning. (Pp. 116-137). Cambridge, Cambridge University Press.