Pratiques plurilingues

et apprentissages

Beaucoup de conceptions relevant d’une sorte de « sagesse populaire » circulent à propos des langues, de leur apprentissage et du bilinguisme.Ces conceptions sont solidement ancrées, elles circulent largement dans nos sociétés et, pour la plupart très peu fondées, elles fonctionnent comme des « mythes » pour les locuteurs de certains groupes. Parmi celles-ci, les représentations attachées au développement bilingue, à l'utilisation d'autres langues en classe de français, et celles qui agitent l’opinion autour de la migration et de la diversité mettent en jeu des croyances déficitaires largement répandues.
Alternances et apprentissages
Nous avons vu dans les pages précédentes que les plurilingues, parce qu’ils disposent de plusieurs langues dans leur répertoire, ont un rapport plus souple (et probablement plus complexe) au langage, qui leur permet, par exemple, de générer des images mentales plus complexes, et de circuler avec plus d’aisance entre différentes espaces linguistico-culturels.
Nous avons aussi noté que les plurilingues mettent en œuvre des pratiques alternées des langues (ou parlers bilingues), qui relèvent de pratiques courantes et s’observent dans les conversations ordinaires entre bilingues.
Nous avons aussi pu mettre en avant que ces pratiques ne sont pas des preuves, ni même des indices, de compétences défaillantes dans les différentes langues du répertoire des locuteurs, qui seraient justement dues à leur bilinguisme. Au contraire, la recherche a pu montrer que les alternances n’apparaissent pas n’importe où dans les énoncés, mais qu’elles obéissent à certaines règles qui en permettent l’émergence, et qu’elles remplissent des fonctions particulières dans les conversations, en attirant l’attention, en sélectionnant l’interlocuteur, etc.
La meilleure connaissance de la richesse et de la complexité des parlers bilingues dans les conversations a encouragé, chez les didacticiens, à envisager que les alternances de langues en classe pouvaient remplir, de la même manière, des rôles particuliers, notamment en lien avec les processus d’apprentissage.
Ce déplacement de perspective a encouragé un nouveau regard sur la salle de classe, et de nombreuses études ont permis d’observer de manière détaillée comment et pourquoi les élèves et leurs enseignants changent de langue, et quels en sont les impacts sur la transmission et la construction des savoirs.
Surtout, ces travaux ont permis de considérer que les compétences plurilingues (incluant la capacité à passer d’une langue à l’autre, à "naviguer" les langues) peuvent constituer, selon certaines circonstances, un atout d’apprentissage.
Pour une mise au point très claire sur l’état de la recherche, on pourra se référer à l’ouvrage de Véronique Castellotti (2001). La langue maternelle en classe de langue étrangère. Clé International, Paris.
(...) la coexistence de deux langues dans un même mouvement alternatif de construction de concepts, non seulement peut contribuer à enrichir ces derniers et à les autonomiser par rapport aux mots, mais en outre est de nature à favoriser une certaine prise de distance réflexive et constrastive par rapport à telle ou telle des langues activées. (Coste & Pasquier, 1992, p. 16).
Tiré deCoste, D. & Pasquier, A. (1992). Principes et méthodologie. Langues et Savoirs, Due lingue per sapere. Matériaux pour un apprentissage bilingue à L’école primaire de la Vallée d’Aoste. Supplément à l’École valdôtaine 14, 13-26.
Dans votre milieu professionnel, comment pensez-vous que vos collègues et les parents d'élèves considèrent l'emploi d'autres langues que la langue scolaire dans la classe ? Et vous ? Pourquoi ?