Sarah P. Struve: ASPHALTE BLUES.

Sarah Struve.

ASPHALTE BLUES.  

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     "(...) Les âmes sont des univers inéluctablement parallèles, où les embrassements, les fusions les plus intimes ne révèlent que le désir à jamais inassouvi d'une vraie rencontre (...)"

            (La Dentellière : Pascal lainé.)  

  

    Essai

    (1977)

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À Michèle Lazurko sans qui, ces textes n'auraient jamais vus le jour.

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      Chapitre 1°

 

      - Puce. -

 

      

          Mes pas me précipitaient sur l'asphalte humide d'une pluie matinale,  l'esprit vagabondant encore aux creux d'étoiles somnambules, le corps,  quelque part au nord d'en France, cheminait sur une route grisâtre et vide vers l'oasis. C'était un petit matin de septembre 71. Imbriquée dans mon  sac à dos, la nuque se fondant dans mes omoplates. Un vent naissant et  déjà si vieux ! Un vent d'une attente électrifiée.

            - Cette fois ma vielle ! -

            Oui, cette fois je sentais au plus profond de mes os l'approche du  tournant, la porte du devenir s'entrouvrir.

 

            Des douaniers moroses aux moustaches tombantes et jaunes, portiers  effrayants de la liberté, caissiers de l'évasion, me laissent passer.

            Les voitures, les villes se succèdent au rythme d'un macadam lourd,  enivrant.

            Asphalte terre de printemps, béton et métal aux racines suintantes !  

      Le blues décrochait de poteau en poteau télégraphique. Découverte que tout  est rond.

 

            Au buffet de la gare d'Amsterdam, j'écris une missive à une vieille  amie brumeuse.

 

            Le sang est triste de tiédeur, la vie ennuyeuse d'inlassables  révolutions. Lecteur ne lis pas ce blues si tu ne veux pas t'évaporer de tristesse, puisque n'importe quelle gare ressemble à n'importe quelle gare, puisque tu seras là, toujours où tu seras.

              Cinq ans après, devant ma machine à écrire. Quelques nouvelles  cellules ont germées... D'autres sont mortes de vieillesse inachevée. Cinq  ans après, la terre est toujours ronde alors que le passé s'estompe telle la condensation des réacteurs d'un jet déjà lointain.

              Mais il faut que je reprenne ce récit pour quelques raisons  obscures. Que me reste-t-il de cette fraction d'espace-temps ?  Je vivais d'inconscience en inconscience. Quelques clichés fossilisés. 

 

                   Amsterdam sur blues

                          Amsterdam vert-de-gris

                                 Amsterdam la courtisane.

                   Le cerveau empli d'herbe apatride, balade en vol plané dans  l'antre de la ville. Une vieille prostituée découvre des jambes gainées de varices. Attroupement d'hommes/corbeaux aux yeux barbelés. Rougeoyante  des feux de la cité.

 

                   Rencontre d'avec un visage. Puce, une gamine que les chats ont oubliée - Les humains oublient encore plus vite... -  Vagabonde de treize ans, digne d'un film de Chaplin, bouille impossible, sale, encadrée  d'une tignasse brune. Se dit en fugue d'une maison de redressement, être  interdite de séjour en Allemagne, n'a aucun papier. Son compagnon de  route, une sorte de frère fou, déguenillé. Ses yeux électrifiés louchent  perpétuellement vers un soleil d'une autre dimension. Lui, doit avoir dans  les dix-huit ans, il couve Puce comme une petite sœur.

                   - Puce, tu peux me recoudre mon falzar, tu auras un "Yellow Sun Shine".

                   - Puce tu veux bien faire la manche, je te filerai un acide.

                   Puce avale des acides comme des bonbons, mine de rien. Le frère fou se fait appeler "Mikey", a d'énormes pieds, un regard  perpétuellement éclaté...

 

                  Les journées se passent au Melkweg. Ancien temple protestant  à la façade peinturlurée, renfermant toutes sortes de merveilles à travers  un dédale de couloirs, de salles obscures et enfumées: Buffet de nourriture végétarienne, marché aux haschischs. Des disciples de Krishna haranguent des corps défoncés, de petits vieux bavardent paisiblement  autour d'un shilom.

                   Au gré des errances, je prends un acide.

                                        La ville se consume à travers une bruine métallique... Les rues sont parcourues d'une tempête d'asphalte. Liquides, les trottoirs s'entrouvrent en voûte par-dessus nous. Mais est-ce vraiment nous, Suis-je ici... Ou dans ce soleil monstrueux vers le quel Puce   s'envole. Je veux la retenir et ne peux...Non ! Ne peux.  

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