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LA FUITE ! LA FUITE ! LA FUITE !
Seule solution.
- Margot, je vais partir pour quelques temps.
- Tu ne reviendras pas...
- Je reviendrai.
Regard triste de Margot, sans espoir d'un retour.
- Margot, je reviendrai mais il faut que je parte un temps.
La route folle coure à l'infini sous les bandes de dépassement. Fuir la nuit qui me suit, me précède et me tue. Paris à l'horizon: Besoin de replonger mes racines, un temps, dans la mère patrie de béton. Plus vite, toujours plus vite ! Paris m'encercle et m'étouffe.
Je passe une semaine enfermé dans ce qui fut ma chambre. L'ombre de ma mère, inquiète, se profile de temps en temps derrière la porte à la vitre de verre dépolit. Je repars vers Lausanne où habite un ami en angle droit. Balthazar Donskoff, grand blond à l'apparence tranquille des jurassiens. Au fil des kilomètres la paix m'enveloppe, la mort se meurt.
Je suis pris en stop par un anglais flegmatique comme il se doit. Au détour d'une route montagneuse, apparition irréelle dans la nuit coulante de brume, deux bûcherons juchés sur une souche, fument tranquillement une cigarette. Sont- ce des lutins gardiens de la forêt, de ses errants ?
Gare de Neufchâtel. Je cherche un endroit où dormir, un type m'indique une boîte où je trouverai sûrement quelqu'un pouvant m'héberger. A travers les rues pentues et glissantes, la brume m'accompagne toujours. Dans la boîte Jimmy Hendrix éclate posthume autour de lycéens défoncés, affalés sur des poufs oranges.
- Tu n'aurais pas un joint ?
- Oui, viens, on va fumer dehors.
J'ai abordé un type sympathique aux longs cheveux gras, aux yeux se dilatant de fumée d'apesanteur. Dans un jardin public aux pins sombres/stylisés, au bord du lac, nous grillons un stick de hasch. Discutions apaisante à propos de rien... de tout. Retour vers la boîte dans une envolée cardiaque. Les lumières dansent une lente valse très ancienne. Un garçon accepte de m'héberger à l'asile psychiatrique du pays, sa mère y étant médecin.
A califourchon sur sa mobylette, nous traversons la campagne assoupie. Fraîcheur régénératrice de l'air.
Dans des draps blancs, épais, sentant bon la propreté, je m'endors, l'esprit au repos. Sommeil profond...
Au matin, déjeuné avec le petit frère de mon hôte, tartine de pain campagnard au beurre succulent. Le garçonnet me regarde de ses yeux immenses, interrogateurs. Certains regards d'enfants m'intimident, je plie bagages. En traversant le parc de l'établissement, dans ma folie, j'ai peur que l'on ne me prenne pour un pensionnaire en fugue et je me mets à courir ! Et puis la route reprend ses droits. La route suisse, nette, droite de ses bandes blanches fraîchement repeintes, route jouet.
A Lausanne, je téléphone à Balthazar qui me dit de venir chez ses parents. Intérieure de vieille bourgeoisie aux lumières de parchemin jaunis. Aux murs d'étranges cosaques moustachus essaient de survivre sous l'écrasant joug de propreté suisse que la mère de Balthazar fait régner. Son père, petit vieux silencieux, inlassablement, il revit des chevauchées héroïques dans la steppe immense au creux bleu de ses yeux délavés. Étrange coexistence d'icônes mystérieuses et d'encaustique brillant.
Dans la chambre de Balthazar, nous écoutons, recueillis, Léo Kottke vriller de sa guitare de cristal "Crow river walz."
Le soir nous regardons à la télévision une émission sur des junkys. Balthazar, se moquant de moi, me demande si je ne me pique pas encore ?
- Désolé, mais non... pas encore.
- Ne t'inquiète pas, un jour on te retrouvera mort dans une cabine téléphonique une seringue entre les dents.
Mes journées se passent en vagabondages dans le vieux Lausanne. Planent des heures rêveuses à écrire tout en écoutant Léonard Cohen et Joan Baez au "Lapin vert," café d'étudiants. Visites chez des antiquaires où trônent de vieux casques coloniaux, des orgues de barbarie aux décorations baroques muettes d'éternité. La cathédrale accueille en silence mes méditations paisibles durant de longues minutes d'entre deux eaux.
Vient le jour où, rassasié de solitudes, je me sens, à nouveau, capable d'affronter l'inconnu. Nostalgie de l'étoile qui brûle. Le regard muet de Margot m'appelle, la route m'aspire irrésistiblement.
- Adieu Balthazar !
- Adieu Maxime ! - et mi-sérieux, mi-blagueur. - Je prierai pour toi... pour que l'on ne te retrouve pas, un jour, dans une cabine téléphonique...
Déferlement nostalgique et mélodieux sous les feux de sang crépusculaires de la terre natale, terre russe, quelque part sur la route de Bourges.
Crépuscule, sève de la vraie vie, je te retrouve ! Bouillonnement d'un ciel de lave, délavé par la nuit venante.
Il doit faire aux alentours de moins dix degrés, j'essaye de dormir au creux d'un arrêt de cars, tout habillé, le sac de couchage remonté au-dessus de la tête. Le froid est tellement intense que je m'éveille toutes les cinq minutes. Au loin, résonnent d'étouffement cristallin les sonorités d'un bal.
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